Vexer Morphée

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— Chaton… il faut dormir, il est presque vingt-deux heures.

— Maman… je n’arrive pas à m’endormir…

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Quelque chose te contrarie ?

— Non, je ne trouve pas le sommeil, c’est tout. Je commande à mon cerveau de s’arrêter, mais il ne m’obéit pas !

— Mais ça ne marche pas comme ça chaton, tu ne peux pas tout contrôler…

— Si je le peux !

— Pas le sommeil en tout cas. Laisse tes pensées se promener et sortir du chemin. Ne les retiens pas, n’essaie pas de les emprisonner. C’est en les laissant se perdre que tu croiseras le sommeil.

— D’accord maman, je vais essayer…

— Bonne nuit chéri, je t’aime.

— Oui.

En retournant dans le salon, elle s’arrête. Un homme est assis sur le canapé, une tasse fumante dans les mains. Il la regarde paisiblement, ses yeux très sombres oscillant entre la douceur et la menace. C’est perturbant, mais pas plus que trouver un inconnu dans son salon, alors elle avance, tire une chaise et s’assoit en face de l’homme.

Elle se rend bien compte qu’elle devrait avoir peur, mais franchement, après quatre nuits sans sommeil, elle ne s’inquiète plus de rien. Sans savoir pourquoi, elle sait qu’il ne fera pas de mal à ses enfants, alors le reste l’indiffère.

— Une tisane ?

— Qu’est-ce que vous faites chez moi ?

— C’est une camomille, ça va vous faire du bien.

— Je n’ai pas de camomille.

— Moi si.

— Qui êtes-vous ?

— Cela vous arrive souvent de rester stoïque face à des inconnus ?

— Mon chien n’a pas aboyé, donc vous n’êtes pas entré par la porte. Il continue à dormir alors que vous parlez. Vous êtes donc soit inoffensif, soit irréel. Vous n’êtes dangereux dans aucun des cas.

— Je suis peut-être un fantôme. Un esprit frappeur.

— Je ne crois pas aux fantômes.

— Leur existence se passe de vos croyances.

— Vous n’êtes pas un fantôme.

— Non c’est vrai.

— Je ne dors pas depuis quatre jours. Hier, j’ai discuté pendant trois heures avec ma tortue, alors je dirai que vous êtes irréel.

— Moins réel qu’une tortue ?

— Je n’ai pas de tortue.

— Ha.

— Vous n’avez rien de plus fort qu’une tisane ?

— Pas ce que vous imaginez.

— Alors je veux bien une camomille.

— Le conseil que vous avez donné à votre fils était plutôt bon, il dort profondément. Pourquoi ne le suivez-vous pas ?

— Je l’ai suivi, mais ça n’a pas marché.

— Savez-vous pourquoi ?

— Franchement, non.

— Moi si.

— Je m’en serai doutée… Vous êtes quoi ? Une représentation de mon esprit ? Je deviens folle ?

— Vous n’êtes pas folle, je peux vous l’assurer. Vous êtes un peu fatiguée c’est tout.

— Un peu ? Oui, probablement. Alors comme ça, vous savez pourquoi je ne dors pas ?

— Oui je le sais.

— Et vous allez finir par me le dire ? Cette discussion commence à me lasser.

— Vous m’avez mis en colère.

Elle le scrute avec attention, se demandant quand et comment elle a pu énerver cet homme.

— C’est idiot, je ne vous connais pas.

— Moi si.

Il se lève pour lui tendre une tasse sortie de nulle part. Lorsqu’elle la prend, ses doigts effleurent la main froide de l’inconnu et une scène lui revient immédiatement en mémoire. C’était un soir du début de la semaine, elle était assise à son bureau et remplissait des papiers. De la paperasse, encore. Depuis la rentrée, ça n’arrêtait pas. Un léger frisson lui avait fait prendre un châle et s’envelopper dedans. Elle avait baillé une fois. Puis une deuxième. Secouant la tête, elle s’était étirée avant de tenter de se reconcentrer sur la fiche de renseignement devant elle. Un léger picotement, comme une douce caresse était remonté le long de sa colonne vertébrale jusqu’à sa nuque. Le sommeil allait la prendre avec douceur quand elle avait sursauté et l’avait chassé sans ménagement. Elle s’était levée, et s’était fait couler un café en marmonnant contre ce besoin de dormir, somme toute, très secondaire.

— Quoi, c’est tout ?

— J’allais t’offrir un sommeil paisible et un rêve agréable. Dieu sait à quel point tu en as besoin !

— Vous êtes contrarié ? Sérieusement, c’est ça ?! Je vous ai repoussé et vous boudez ?!

— Je ne m’occupe pas du sommeil de tous les mortels ! La plupart d’entre vous sont au soin de mes subalternes, vous êtes trop nombreux. Mais toi ! Je m’étais rendu disponible exprès pour toi ! Et tu m’as traité comme un moins que rien !

— J’avais besoin de terminer mon travail !

— Hé bien après quatre nuits sans sommeil, j’espère que c’est fait !

— Quel mauvais caractère ! Non ce n’est pas fait, figure-toi ! Je parle à une tortue imaginaire, j’ai une tête de zombie, je fais n’importe quoi au travail, et je suis tellement fatiguée que j’ai lavé mon fils avec du ketchup et mis du savon sur ses coquillettes ! Heureusement que son grand frère s’en est rendu compte, sinon j’étais bonne pour une visite des services sociaux ! Alors excuse-moi de t’avoir vexé, mais le jour où tu élèveras seul trois enfants, on en reparlera !

Elle relève la tête en sursautant. Elle est allongée sur le canapé, un peu hébétée, emmitouflée dans son châle. L’horloge indique trois heures. En se rallongeant, elle repense au rêve bizarre qu’elle vient de faire. Au moins elle a dormi, c’est déjà ça. Ses paupières s’alourdissent déjà quand elle aperçoit deux tasses sur la table basse. Deux tasses qui ne sont pas à elle, mais qu’elle est persuadée d’avoir déjà vu. En rêve ? Peut-être…

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