Chapitre 5

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J’arrivai à la salle et retrouvai les quelques habitués que je côtoyais. Des espèces de brutes pleines de muscles qui ressemblaient plus à des taureaux dopés aux hormones qu’à des humains. Je ne voulais surtout pas leur ressembler. Je me contentais de m’entrainer à boxer trois fois par semaine. Il le fallait pour être prêt à combattre. Puis surtout, j’évacuais ma rage dans les coups portés au sac de frappe, quand je ne pouvais pas taper sur un vrai gars. Combien de fois avais-je imaginé la tête de mon père à la place ?

— Alors, la fac ? me demanda Abdel.

Je fronçai les sourcils pour le faire taire. Il était le seul ici à savoir que je m’étais inscrit à la Sorbonne. Aux yeux des autres, j’étais une brute sans cervelle, comme eux. Je ne leur parlais pas, je me contentais de les saluer d’un signe de tête et s’arrêta là. Je préférais garder cette information pour moi. Si Vadim apprenait ça, j’étais foutu.

— Une meuf de ma promo vient de jeter mon portable sous le métro, mais à part ça, tout va bien, râlai-je.

Je n’avais même pas envie de vraiment m’entrainer. Je voulais juste cogner pour me libérer l’esprit. Abdel le comprit vite et me tendit le badge de la salle de boxe. Il devait être le seul mec de Paname à qui je m’étais confié sur mes galères. Enfin, il y avait lui et Hakim, son neveu. Abdel m’avait proposé plusieurs fois de m’héberger quand j’étais dans la merde, mais je n’étais pas du genre à profiter de la bonté des gens. De toute façon, il savait que mon père était un énorme enculé, il le connaissait bien, mais il était loin de se douter que c’était à ce point. Si je débarquais la gueule en sang chez lui tous les deux jours, il aurait fini par me claquer la porte au nez. Je ne pouvais pas me permettre de me le mettre à dos.

— Hak’ est pas là aujourd’hui, m’informa-t-il.

— C’est pas grave, je vais pas rester longtemps, de toute façon. J’ai du taff pour les cours, précisai-je à voix basse.

Il hocha la tête et me laissa gagner la salle. J’allais claquer la porte quand il ajouta :

— Au fait ! Vadim te cherchait tout à l’heure.

Merde…

Que me voulait-il ? Je n’avais aucun combat prévu avant un bon mois. Ou alors, il m’en avait trouvé un, avait essayé de me joindre tout à l’heure, mais comme Céleste avait tué mon portable…

Elle fait chier !

J’étais dans une sacrée merde à cause d’elle. Vadim n’aimait pas attendre. Quand il appelait, il fallait rappliquer, sinon j’allais morfler. J’envoyai un premier coup dans le sac, sans m’échauffer. Je grimaçai de douleur. Mes blessures étaient loin d’être cicatrisées. Mais je n'avais pas le temps pour guérir, j’étais trop en colère pour me retenir de frapper. De toute façon, il fallait bien que je m’entraine si je voulais garder ma place de favori à l’usine. Sans ça, j’étais mort.

— Salut, mec, l’interpela Hakim en entrant.

Je me retournai et lui serrai la main. Il ressemblait à Abdel, trait pour trait, mais avec dix ans de moins. Je l’avais connu en même temps qu’Abdel et on avait sympathisé. Lui aussi faisait des études. Lui était carrément un crack de l’informatique. Il avait été sélectionné dans l’une des meilleures écoles. Il aidait son oncle de temps en temps à la salle, notamment pour m’entrainer.

— T’as pas l’air très en forme, constata-t-il.

— Qu’est-ce que vous avez tous à me dire ça, en ce moment ? grognai-je.

— Je sais pas, peut-être parce que tu ressembles plus à Elephant Man qu’à Mikaël Burton ? Qu’est-ce que tu fais là ? Je croyais que tu devais ralentir au moins pour la première semaine de cours.

Je lui racontais mes deux dernières journées. Il éclata de rire.

Merci pour le soutien, mon pote…

Pour une fois, je le regardai me montrer les mouvements sans râler. Je n’avais pas le courage de contester quoi que ce soit. Je pensais ne rester à la salle qu’une heure, histoire de me défouler, mais quand j’en sortis, il faisait déjà nuit. Il était trop tard pour aller m’acheter un nouveau portable. Merci Céleste, hein ! Vadim allait criser. Probablement qu’il me péterait la gueule si je croisais son chemin. C’était même sûr.

Je poussai un soupir interminable en entrant dans ma chambre d’hôtel pourrie. Un putain de cafard venait encore de me passer entre les pieds. Dire que je dormais là-dedans… Je n’avais pas le choix, alors je m’y faisais, mais je rêvai de retourner chez ma mère, retrouver ma toute petite chambre douillette et la bonne odeur de sa cuisine. Elle me manquait et je ne pouvais même pas l’appeler. Je fonçai directement dans ma douche minuscule qui me donnait l’impression que j’y resterais coincé au moindre faux mouvement. Je profitai de la minute d’eau chaude avant de greloter sous l’eau froide. Après l’entrainement que je venais de passer, j’aurais aimé pouvoir rester des heures sous l’eau chaude, dans la vapeur de la pièce. Ça m’aurait sûrement permis de me détendre. Mais au bout de cinquante secondes, la tuyauterie fit un bruit bizarre, l’eau se coupa, puis coula à nouveau, glaciale.

Fais chier !

Comme d’habitude, je passai une sale nuit. Je ne supportais plus cet hôtel. Pendant des heures je tournai dans mon lit comme un lion en cage, sursautant à chaque fois que j’entendais les souris cavaler dans les murs, voire sur le parquet. Plus d’une fois, j’allumai la lumière à la hâte pour surprendre la saloperie de rongeur qui me rendais fou, mais je n’en vis jamais la queue. Peut-être que j’avais des hallucinations ? En tout cas, une chose était certaine, je ne rêvais pas la sensation désagréable que des insectes me marchaient dessus quand j’avais le malheur de laisser un pied ou une main sortir de sous la couverture. Oui, oui, la couverture. Ils n’avaient même pas de couette. On était encore à l’ancienne, avec les draps et la couverture en laine qui gratte, et imprégnée de poussière.

— C’est le ménage ! cria une bonne femme avec un accent venu de je ne sais où en Afrique.

Elle n’attendit pas que je réponde et entra en trainant les pieds et un chariot plein à craqué de produits ménagers, de trois balais complètement morts et d’une bassine d’eau devenue marron, tant l’hôtel était crasseux. Ça ne lui était, de toute évidence, pas venu à l’esprit de changer l’eau.

— Allez, dehors ! m’ordonna-t-elle.

Je m’empressai de ramasser mes fringues, sautai dedans et filai avec mon sac à dos. Cette conne ne venait jamais à la même heure et elle ne me demandait pas mon avis. Quand elle était là, je devais quitter les lieux sous peine de me prendre un coup de balai. Le pire, c’était qu’elle ne faisait même pas vraiment le ménage. En tout cas, je ne voyais jamais aucune différence entre l’avant et l’après. La poussière recouvrait toujours les meubles. Si je ne lavais pas moi-même la douche et les chiottes, j’aurais sûrement choppé un sale truc. Mes draps n’avaient sûrement pas été changés depuis vingt ans. Ça me dégoûtait rien que de l’imaginer. Un jour, je l’avais retrouvée assise sur mon lit, pendue au téléphone. Elle n’avait pas raccroché, elle n’était pas partie. Non ! Elle avait continué et m’avait prié de sortir de MA chambre parce que JE la dérangeais. La blague !

— Sortez de là ! s’écria-t-elle.

En traversant le hall, j’aperçus une horloge. J’étais en retard. Encore. Mon réveil n’avait pas sonné et mon prof allait sûrement me faire une réflexion. Tout ça, je me répète, à cause de Céleste et de sa maladresse. Elle n’avait pas intérêt à croiser mon chemin, parce que je ne décolérais pas. Enfin… Elle avait quand même fait quelques apparitions dans mes rêves les plus obscènes, cette nuit.

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