9. Les débuts
J’étais assis dans le couloir, le nez plongé dans un bouquin que je venais d’emprunter à la BU, histoire de rattraper mon retard monstrueux. Deux semaines que les cours avaient commencé et j’avais déjà l’impression d’être à la ramasse totale. Entendre Céleste intervenir toutes les deux minutes pour répondre à une question du prof ou poser des questions m’aidait pas. J’avais l’impression d’être un gros con. Et de pas être à la hauteur. Je profitais alors de la moindre seconde pour bosser. C’était ma chance de m’en sortir, fallait que je travaille dur. Mais c’était pas facile quand je passais mes soirées à me faire péter la gueule.
J’avais encore perdu trois combats. Vadim voulait me buter. J’avais plus une thune pour m’en sortir. Il me restait juste de quoi tenir deux nuits. Deux nuits et après je devais retourner chez mon père. J’étais mort. Et putain, j’arrivais pas à me concentrer sur ce bouquin !
— Salut, s’exclama Céleste, d’une voix enjouée.
Elle jeta son sac à côté de moi et le poussa d’un coup de pied pour s’installer là. Et sans un mot, elle embrassa ma joue. C’était ce qu’elle faisait tous les matins pour me saluer. Les premières fois, j’avais trouvé ça bizarre, qu’elle soit aussi familière avec moi alors qu’on se connaissait à peine. Mais finalement, j’y avais pris goût. Enfin, pas aujourd’hui, parce que ça me fit grimacer de douleur.
— J’avais pas envie de me lever, ce matin, une horreur, soupira-t-elle, d’un air désespéré.
Moi non plus.
Encore moins en sachant que c’était une des dernières nuits que je passais dans cet hôtel miteux. Mais même s’il était pourri, c’était toujours mieux qu’être réveillé par un taquet de mon daron.
— T’es prêt pour trois heures interminables d’histoire moderne ? geignit-elle. Alex vient pas en plus aujourd’hui.
Ça expliquait donc pourquoi elle se montrait si sympathique avec moi aujourd’hui. Non pas qu’elle fut désagréable les autres jours, mais même si elle était de nature bavarde, d’ordinaire elle passait plus de temps à glousser avec Alexis qu’à me faire la discussion. Mais elle semblait m’avoir trouvé cool et s’être donnée pour mission de m’aider à prendre mes marques, j’allais pas cracher dessus. Surtout en si bonne compagnie.
Je tournai la tête vers elle et haussai les épaules. J’aimais bien le cours d’histoire moderne, je trouvais ça intéressant. Mon seul problème avec cette matière, c’était le prof. Le connard qui m’avait humilié le premier jour et qui se faisait un mal plaisir de continuer à chaque fois qu’on avait cours avec lui. Il trouvait toujours le moyen de m’interroger au seul moment où j’avais été distrait (souvent par Céleste qui n’arrêtait pas de parler avec Alexis) et alors là, il loupait pas l’occasion de me rappeler que j’avais pas ma place ici, que les racailles dans mon genre devaient retourner se battre et dealer, mais certainement pas étudier.
— T’en penses quoi, de ce bouquin ? m’interrogea-t-elle, en me l’enlevant des mains.
Elle étudia avec attention la couverture et lu le résumé, les sourcils froncés sur ses yeux bicolores. Puis, elle plongea dans son énorme sac à main rempli de bordel et en sortit un autre, tout écorné et plié dans tous les sens. Une chose était sûre, elle prenait pas grand soin des livres. Il y avait masse de ratures dessus, de phrases surlignées, de pages cornées, etc.
— Tiens, tu devrais lire celui-ci aussi.
Je l’attrapai, un sourcil arqué. Ses joues s’empourprèrent aussitôt.
— Ouais… Je suis une sauvage quand je lis, pouffa-t-elle. Je comprendrais que tu veuilles pas de ce torchon…
— Nan, t’inquiète.
Je la remerciai d’un sourire discret. J’arrivais pas à faire plus. Elle m’intimidait. C’était vraiment la honte. J’étais pas comme ça, normalement. Mais elle avait un truc, un charisme de fou, en fait. Je savais pas trop à quoi c’était dû. Peut-être à son intelligence hors norme. J’avais toujours l’air stupide à côté d’elle. Ou alors c’était ses yeux qui la rendaient si unique et intrigante.
— Tu veux pas venir fumer une clope avant que le cours ne commence ?
J’acquiesçai, sans un mot. J’avais jamais été très bavard, de toute façon, encore moins avec elle. Je savais jamais quoi dire. C’était encore pire depuis que j’étais monté à Paris. J’avais appris à fermer ma gueule pour pas m’attirer les foudres de mon père. J’avais passé un an à parler à personne, à part un peu à Abdel, Hakim et Vadim. Et j’avais encore moins approché de meuf depuis que j’avais quitté mon sud. Alors je la laissais parler, elle savait très bien faire la conversation toute seule. Et ça semblait pas la déranger.
— Dis ? me demanda-t-elle, alors qu’on entrait dans l’ascenseur.
— Quoi ?
— Tu fais vraiment de la boxe ? Je sais pas, t’es vraiment bien… amoché, c’est pas censé être si violent normalement.
Merde. Elle m’a cramé ?
Je serrai les dents.
Putain.
Qu’est-ce que j’étais censé répondre à ça ? J’allais clairement pas lui raconter ma vie. J’en avais bien trop honte. Un espèce de clochard qui se faisait tabasser, c’était pas très glamour. Et pire encore, j’avais déjà l’impression d’être une petite merde quand j’y pensais, j’avais pas envie de voir dans les yeux chelous de Céleste qu’elle le pensait aussi.
— Ouais, marmonnai-je, sans vouloir m’étendre sur le sujet.
Je profitai que les portes s’ouvraient sur le hall pour tracer à travers la foule d’étudiants. J’avais pas envie de subir l’interrogatoire qu’elle s’apprêtait à me faire passer. Ça faisait que deux semaines que je la fréquentais, mais je la connaissais assez pour savoir qu’elle allait pas me lâcher avec ça.
— Mikaël ! Attends ! s’écria-t-elle, derrière moi.
Elle me rejoignit sur les marches du parvis et se planta devant moi alors que j’allumais ma clope.
— Excuse-moi… J’ai dit quelque chose de mal ?
— Laisse tomber, soupirai-je, trop fatigué pour me battre avec elle.
J’en avais pas envie, de toute façon. J’aimais bien sa compagnie. Elle me faisait oublier un peu la merde dans laquelle j’étais. J’avais pas envie qu’on en parle ensemble. Elle aurait pas compris, de toute façon. Elle, elle savait pas ce que c’était qu’être dans la merde. C’était une fille à Papa. Elle avait de la chance et elle s’en rendait même pas compte.
— Pardon, bredouilla-t-elle. Je voulais pas… te mettre mal à l’aise.
Elle était rouge pivoine. Elle s’en voulait. Comme à chaque fois que je me braquais pour une connerie. Ça arrivait tellement souvent que je me demandais même pourquoi elle continuait de me parler. Ça devait être gonflant pour elle.
— On est ensemble en TD, cet aprem, m’informa-t-elle, pour changer de sujet.
Elle était super forte pour ça. Quand elle voyait que je commençais à faire la gueule, elle parlait juste d’autre chose. Et ça marchait. Parce que j’arrivais pas à lui en vouloir quand elle me souriait et que le coin de ses yeux bizarres se plissaient joyeusement.
— Par contre… c’est avec le prof de ce matin aussi.
Génial.
— Tu sais ? Tu devrais lui répondre. Il n’a pas à te traiter comme ça, c’est dégueulasse.
— Je veux pas de problème.
— Mais tu…
— Mais rien du tout. Je suis là pour avoir mon diplôme et pas faire de vagues. J’ai déjà suffisamment d’emmerdes comme ça, j’ai pas envie d’en rajouter une couche.
Maintenant, s’il te plait, tais-toi et arrête de te mettre toi-même dans la merde en me mettant de mauvaise humeur.
— Ok, c’est toi qui décides. Mais fais-moi plaisir et envoie chier Adrien quand il se fout de ta gueule.
Adrien, c’était le connard qui jouait les gros durs beaux-gosses auprès des pétasses qui gloussaient en cours. Il prenait un malin plaisir à me lancer des piques dès qu’il en avait l’occasion. J’avais jamais rien dit. Mais, dans ma tête, je prenais un malin plaisir à lui éclater la gueule contre sa table. Si même Céleste en rêvait...
— Je verrai ce que je peux faire, souris-je.
— Parfait. Je veux être là quand il se sentira con devant son harem, rit-elle. T’as du feu ?
Deux semaines et elle s’était toujours pas racheté de briquet. Elle me taxait toujours le mien. Et je me plaisais à me dire qu’elle le faisait exprès, juste pour passer toutes ses pauses avec moi.
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