16. Révisions

6 minutes de lecture

— Elle est gentille ?

— Qui ?

— Ta Céleste ?

Ma Céleste. Comme si elle m’appartenait. N’importe quoi.

J’haussai les épaules. D’habitude, je confiais tout à ma mère, mais je savais pas trop quoi dire à propos de mon amie. Enfin, si, j’avais des tas de choses à lui dire. À commencer par cette manie qu’elle avait de sourire tout le temps quand elle croisait mon regard, même quand, la seconde d’avant, elle était plus concentrée que jamais. J’arrivais pas à comprendre, tout simplement parce que ça m’était pas arrivé pendant un an, de profiter d’une telle gentillesse, d’une telle affection. Mais ça, je pouvais pas lui dire. Puis, de toute façon, y avait Max dans le coin. Et je le connaissais. Il allait tout de suite me demander comment elle était, si y avait moyen qu’on couche ensemble, ou pire que je la lui présente. Je voulais pas parler de Céleste comme ça. Elle méritait mieux que ça.

— Comment tu l’as rencontrée ?

— Pourquoi tu me fais passer un interrogatoire comme si j’allais te présenter ma future femme ? ris-je nerveusement.

Le regard que me lança Max me fit comprendre que j’aurais mieux fait de me taire. Il se foutait de moi. J’imaginais ce qu’il imaginait dans sa tête de fêlé, rien qu’à voir son air débile.

— C’est la seule amie dont tu m’as parlé, j’essaie juste de savoir un peu comment se passe ta vie à Paris, m’expliqua ma mère. Mais… est-ce que tu…

— Quoi ? Non ! Pas du tout ! me défendis-je. Je te l’aurais dit si j’avais une copine.

Je dus devenir rouge tomate, parce que je sentis mes joues se réchauffer alors qu’on trainait dans les rues de Montmartre. Mon petit frère se marrait à côté de moi. Vraiment, lui, j’allais pas tarder à lui mettre un taquet, s’il continuait. Et ma mère qui en avait rien à faire. Elle continuait à marcher, accrochée à mon bras, et à me poser plein de questions sur Céleste.

Depuis que je lui avais dit que je ne pourrais pas passer l’aprem avec eux, parce que j’allais bosser avec Céleste, elle arrêtait pas. Elle voulait tout savoir d’elle. Au début, elle voulait même m’accompagner jusqu’au bar où je devais la rejoindre. Je le lui avais interdit. J’avais pas besoin de chaperon. Surtout, j’avais qu’une peur : qu’elle aille lui parler et qu’elle me ridiculise avec ses anecdotes nulles de quand j’étais gosse. J’avais pas besoin de ça. Céleste devait suffisamment me prendre pour un con.

— Tu en as pour longtemps ?

— Je sais pas, Maman…

— Tu passes la soirée là-bas ?

— J’en sais rien, je te dis ! m’énervai-je.

Elle voulait pas me lâcher avec ça ? J’accélérai le pas. Comme toujours, elle me fit culpabiliser. D’après elle : j’avais pas à régir comme ça, elle s’inquiétait juste pour moi, elle savait rien de ma vie parce que je ne l’appelais pas assez, et blablabla. Alors, agacé par ce comportement qui m’avait toujours énervé, je décidai de partir plus tôt que prévu. Je comprenais qu’elle se fasse du soucis pour moi. Après toutes les conneries que j’avais faites, avec ma gueule de déterré… Et puis, elle nous avait élevés seule, ça avait pas dû être simple. On lui avait mené la vie dure et Max, lui, continuait. Et moi, en fils indigne, je lui donnais jamais de nouvelles.

— Bon… bah, à ce soir alors, soupira-t-elle, déçue.

— Maman… Arrête de faire ça ! T’as pas le droit de me manipuler comme ça ! C’est pas juste !

— Je te dis que tu peux y aller ! Si ta Céleste est plus importante que ta mère.

— Tu vas pas me faire le coup de la jalousie, non plus ! Je te dis que c’est pour travailler.

Elle se renfrogna, pendant que Max se marrait toujours. Je dus me contenir pour pas me retourner et lui écraser la tête contre la grille à laquelle il s’était adossé pour fumer. Je l’aimais, hein, mais c’était mon petit frère. Il m’avait toujours énervé. Et quand il faisait ça, c’était encore pire.

— C’est bon, va travailler, m’ordonna ma mère. C’est important.

Elle se radoucit. Elle était comme ça, ma mère. Elle réagissait toujours sur le vif, elle était sanguine, comme moi. Puis après, elle réfléchissait et elle revenait sur ses propos. C’était ce que je faisais toujours avec Céleste.

Putain, arrête de tout ramener à elle.

Je commençais sérieusement à me saouler. Chaque truc me faisait penser à elle. C’était débile. En plus, j’envisageais rien avec elle ! Alors pourquoi ? C’était n’importe quoi.

Ma mère embrassa ma joue et me tira de mes pensées, mon frère tapa dans ma main. C’était le départ. J’étais bon pour me taper un peu plus de trente minutes de métro pour rejoindre Céleste dans un bar, près de la fac.

Quand j’arrivai, elle était déjà là, installée en terrasse, un plaid sur les épaules, plongée dans la lecture d’un bouquin énorme. Ses cheveux lâchés, contrairement à d’habitude où elle les relevait toujours sur sa tête pour former un chignon bizarre, lui chatouillaient le nez. Elle soufflait dessus de temps en temps pour les virer. Et, comme toujours, lorsqu’elle croisa mon regard, elle me sourit de toutes ses dents. Elle avait vraiment un truc, cette meuf.

— Ça va ? me demanda-t-elle. T’as l’air énervé.

Je haussai un sourcil. En fait non, j’étais pas vénère du tout, c’était juste ma tête normale. Elle me sourit encore, alors je m’efforçai de faire de même et m’installai à côté d’elle.

— J’ai trouvé un truc super intéressant, regarde.

Elle tourna son ordi vers moi. Je crus rêver. Elle m’avait dit au téléphone qu’elle avait vaguement commencé à bosser sur le truc. En réalité, elle avait pondu un truc hyper complet.

— T’en penses quoi ?

— C’est génial !

— T’es sûr ? J’ai fait ça vite fait hier. J’arrivais pas à dormir, du coup je me suis dit que…

— Céleste… Tu sais que la plupart des gens regardent la télé quand ils arrivent pas à dormir, ils font pas un exposé digne d’une thèse, me moquai-je.

Elle rougit et reprit son ordinateur, comme si elle avait honte. Je la rassurai aussitôt. C’était juste qu’elle m’impressionnait à être aussi studieuse. Moi, j’avais déjà du mal à m’y mettre en rentrant de cours, alors en pleine nuit, fallait pas y compter.

— Ça se passe bien les vacances avec ta famille ? m’interrogea-t-elle, d’une petite voix.

— Ouais, si on oublie mon frère qui passe son temps à me faire chier, ricanai-je. Et ma mère qui m’a fait passer un interrogatoire digne des plus grands polars quand je lui ai dit que je devais venir bosser avec toi.

— Je suis désolée d’avoir insisté… T’aurais peut-être voulu profiter d’eux…

— Mais non, t’inquiète.

— T’as de la chance qu’ils puissent venir te voir, soupira-t-elle.

Elle baissa les yeux et tritura nerveusement le collier qu’elle portait. C’était un truc qu’elle faisait souvent, quand elle se perdait dans ses pensées. J’arrivais pas trop à savoir ce que c’était, sur le pendentif. Une espèce de grosse médaille, du genre où on voit la vierge, d’habitude. Mais là, y avait juste des trucs gravés, je pouvais pas lire ce que c’était.

— Ça doit faire trois ans que je n’ai pas vu mes parents, souffla-t-elle.

— Ils viennent jamais te voir ?

— Non. Ils ne peuvent pas quitter la réserve et les trois étés précédents, j’étais en stage, donc je n’ai pas pu retourner en Afrique du Sud.

Elle posa sa tête sur mon épaule et soupira encore. Son regard s’était teinté de tristesse. J’imaginais pas me passer de ma mère aussi longtemps. Quand j’étais petit, c’était mon héroïne, on était très proches. Alors, sans plus réfléchir, je passai un bras autour de son cou et l’attirai vers moi.

— Faudrait qu’on s’y mette, je voudrais pas t’accaparer toute la journée.

Si elle savait comme j’en avais rien à foutre. Ça me dérangeait pas d’abandonner ma famille quelques heures, ou même toute la soirée s’il le fallait, pour passer mon temps avec elle.

Annotations

Vous aimez lire Elora Nipova ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0