21. Confessions
Alexis s’était étonné de nous voir arriver ensemble. Je vis dans son regard qu’il soupçonnait quelque chose. Il était bien loin de la réalité. J’aurais préféré que ce soit pour ce qu’il pensait. Céleste l’ignora tout bonnement. Je l’en remerciai intérieurement. Pas une seule fois, elle ne mentionna le fait que je squattais chez elle.
— Vous voulez pas sortir, ce soir ? nous demanda-t-il à voix basse, pendant notre dernière heure de cours.
Céleste me lança un coup d’œil discret, avant de trancher par la négative. D’après elle, elle était fatiguée. Moi je savais surtout que c’était parce qu’elle comptait me faire passer un interrogatoire auquel je pourrais pas échapper. Je fus même tenté d’accepter de suivre Alex’, rien que pour repousser l’échéance. Mais j’avais pas une thune, la question était réglée.
— Demain si tu veux, lui proposa Céleste.
— Ouais, chaud ! Mika ?
— Euh nan, j’ai un entraînement demain soir… Enfin je peux pas cette semaine, marmonnai-je.
Je sentis les yeux de Céleste me transpercer. Elle enregistrait ce que je disais, pour mieux me questionner plus tard. En plus j’avais le culot de dire que j’étais pas dispo alors que je vivais chez elle pour le moment. J’espérais tout de même que, vendredi, je gagnerais mon combat pour m’émanciper de cette contrainte et ne plus dépendre d’elle. Non pas que j’aimais pas le fait de vivre chez elle. Au contraire, même s’il y avait eu de beaux moments de malaise entre nous, j’avais jamais passé une aussi bonne nuit qu’avec Céleste blottie contre moi. Mais c’était une question de dignité, d’égo. Et surtout, je voulais la protéger de toute la merde qu’était ma vie.
— Bon, bah ce week-end, soupira Alexis, mais on bouge, en tout cas. J’ai besoin de faire la fête.
— Tu as passé ta semaine de vacances à picoler, je te rappelle, rit Céleste. Et à vomir le lendemain matin dans la cuvette de mes chiottes.
Elle pouffa de rire tandis qu’Alexis s’offusquait qu’elle raconte ça, sans aucune gêne. Et elle en rajouta une couche, si bien qu’on finit par se faire fusiller du regard par la prof, tellement on faisait de bruit. Alexis avait plaqué sa main sur la bouche de Céleste, qui avait répliqué en lui mordant la paume. On s’était faits sortir.
— T’es chiant, Alex, râla Céleste.
— Non mais je rêve ! s’indigna-t-il, tandis que je les suivais d’un pas las.
On venait de précipiter notre retour chez Céleste. Et ses questions.
— C’est toi qui t’es pris pour un vampire, là ! Mika, je te jure, méfie-toi, on sait jamais ce qu’elle pourrait te faire.
Je répondis rien. Mon esprit divaguait complètement. La main de Céleste effleurait la mienne à chaque pas, je frissonnais à chaque fois. C’était comme des décharge électriques dans mes doigts quand les siens les touchaient. Je comprenais pas pourquoi. Enfin, si, j’avais une petite idée. Mais jamais je ne l’admettrais.
— Bon, à demain, s’exclama Alexis, en tournant à gauche.
Lui retournait vers BFM. J’étais bien content de faire le trajet seul avec Céleste. Encore plus quand elle s’accrocha à mon bras et y posa sa tête en soupirant. Tout le chemin se fit en silence. On savait tous les deux comment se solderait la journée, alors c’était comme si on s’y préparait mentalement. J’osais même pas essayer de deviner ce qu’elle s’imaginait avec mon histoire d’illégalité. En tout cas, ça l’inquiétait, à en juger par ses sourcils froncés.
— Faut qu’on s’arrête faire quelques courses, m’informa-t-elle. Je n’ai plus rien à manger dans les placards. Ou sinon, on se fait livrer par l’italien trop bon pas loin des buttes Chaumont.
— J’ai pas les moyens de…
— C’est de ma faute si tu ne les as pas, donc je t’offre gracieusement leurs délicieuses pâtes au gorgonzola. T’as pas le choix, de toute façon.
— Et si je te dis que j’aime pas le gorgonzola ? la défiai-je.
— Alors, tu prendras des lasagnes.
Je levai les yeux au ciel, amusé. Elle avait réponse à tout, et elle en était fière, à en juger par son petit sourire en coin. Puis, elle éclata de rire quand je me renfrognai. J’aimais pas dépendre d’elle à ce point. Mais j’avais clairement pas le choix. Et elle le faisait pas par pitié, même si, parfois, j’en avais l’impression, parce que j’étais con. Je savais qu’elle voulait m’aider parce qu’elle m’aimait bien, parce qu’elle tenait à moi. Et je réalisai que, moi aussi, je tenais à elle, bien plus que ce que j’aurais pu imaginer.
— Alors, tu veux bien me raconter ? me demanda-t-elle d’une petite voix, quand on arriva enfin chez elle, après avoir dû faire un détour à cause d’un incendie dans un immeuble.
Ça m’avait presque soulagé de faire trente minutes de marche supplémentaires en silence. Mais on y était finalement arrivés. Une fois installé dans son canapé, moi avec une bière et Céleste avec un verre de vin blanc hyper sucré et imbuvable, elle s’était tournée vers moi et m’avait dévisagé d’un air triste. Elle avait effleuré la blessure sur mon nez du bout des doigts, j’avais reculé. Et là, j’avais compris que je pouvais plus reculer.
— C’est compliqué, soupirai-je.
J’avais tellement pas envie de lui en parler. J’avais honte. Trop honte. C’était ridicule. Elle allait me prendre pour qui ? Un pauvre gamin incapable de se défendre contre son père. J’étais hyper baraqué et j’avais peur de mon daron. J’avais qu’une peur : qu’elle se moque ouvertement de moi. Même si je savais qu’elle le ferait jamais, parce que c’était de Céleste dont on parlait.
— Tu sais que tu peux me faire confiance, Mika, me sourit-elle timidement. Tout ce que tu me diras restera entre nous.
Je le savais aussi, ça. Mais, n’empêche, c’est dur à admettre, que j’étais qu’une petite fiotte et que je le deviendrais à ses yeux aussi. Pour le moment, quand elle me regardait, je voyais qu’elle me trouvait fort. Après ça…
Elle but une gorgée de vin et reposa son verre sur la table. Je soupirai. Pourquoi j’avais accepté. Je pouvais toujours revenir en arrière, non ? Je voulais pas voir à quel point je la dégoûterais dans ses yeux.
— Mika, murmura-t-elle, tu n’es pas obligé de...
— Qu’est-ce que tu veux savoir ?
Il fallait que je lui montre que je lui faisais confiance.
— Je ne sais pas… Si tu commençais par le début ? me souffla-t-elle, d’une voix douce.
J’aimais pas quand elle faisait ça, quand elle était si… douce. Je voyais pas d’autre mot. Elle était la douceur incarnée. Son regard sur moi était doux, ses doigts tripotaient doucement ma gourmette, son sourire était doux. Je détestais ça. Pas qu’elle soit comme ça, non au contraire. Je détestais me rendre compte que j’aimais ça, quand je croisais ses yeux pleins de tendresse pour moi.
— Je suis monté à Paris l’an dernier pour rentrer à la fac… Je suis allé vivre chez mon père, à Saint-Denis. Et… il a commencé à me taper dessus.
Putain, la honte.
Céleste noua ses doigts aux miens. Je les regardai, entrelacés. Elle avait la peau vachement plus foncée que la mienne, j’avais jamais fait gaffe. Un hâle naturel, permanent, qui la rendait encore plus belle.
— J’ai eu trop honte pour venir en cours avec… bah avec cette tête, soupirai-je.
Je détournai le regard. Elle caressa ma main du bout du pouce. Je resserrai ma prise sur la sienne. C’était apaisant, de la sentir me soutenir comme ça.
— Et… j’ai commencé à chercher un taff pour pouvoir me casser. Sauf que personne a envie d’engager un mec avec ma gueule. Alors, j’ai rien trouvé. Et là… j’ai rencontré Vadim…
— Qui est Vadim ? m’interrogea-t-elle, la gorge nouée.
Je crus même voir quelques larmes brouiller sa vue. Je lui faisais de la peine. Voilà, j’aurais pas dû lui dire. Elle me prenait pour une pauvre merde, un fragile sans intérêt.
— Mon bookmaker… D’après lui, j’avais du potentiel, de la rage ou je ne sais quoi. Alors, il m’a proposé des combats de boxe payés. Sauf qu’en fait… c’est illégal.
— C’est comme ça que tu gagnes ton argent ?
J’acquiesçai. Elle resta silencieuse quelques secondes. Je ne savais plus trop quoi dire. Je me sentais étrangement vide.
— C’est dangereux ? couina-t-elle.
J’hochai la tête. Je ne comptais plus les fois où j’avais cru que j’allais mourir, là, au milieu de l’arène. Mais ça, je lui dirais pas. Fallait que je la rassure. Mais, comment faire après lui avoir dit tout ça ? Déjà, j’aimais pas la tristesse que je voyais dans ses yeux. Ça me rappelait pourquoi j’avais voulu garder ça secret. Céleste voyait la vie en rose, toujours du bon côté des choses. Elle méritait pas que je lui rappelle que, moi, je voyais tout en noir. Enfin, depuis qu’elle avait fait irruption dans mon existence, avec sa longue cigarette au coin des lèvres et ses yeux vairons, mon film se colorisait un peu.
— T’inquiète pas pour moi, je suis le meilleur, lui dis-je.
C’était pas entièrement faux, si on oubliait le géant qui me mettait une pile à chaque fois. Elle n’en sembla pas convaincue et ce fut quand elle se blottit contre moi que je compris que je lui avais vraiment fait peur. J’aurais jamais rien lui dire. Quelle connerie.
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