23. Départ

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Vendredi. Normalement, ce matin était mon dernier chez Céleste. Fallait que je gagne ce combat, que je me barre de chez elle et vite. J’y étais bien, hein. Mais justement, j’y étais trop bien. Et je peinais de plus en plus à réfréner l’attirance qui s’ancrait en moi quand je la voyais se trimballer à côté de moi en mini short en satin, avec son débardeur qui offrait une vue plongeante sur son décolleté et… Je voulais pas céder à la tentation, parce qu’elle méritait mieux, parce que je voulais pas la mêler à toutes les merdes de ma vie. Donc, il fallait que j’aille à l’hôtel. Mais pour ça, je devrais gagner.

Mon entraînement avec Hakim hier avait été productif. J’étais plus que prêt. Enfin… Je l’étais, avant que Céleste me tombe dessus au moment de partir. Elle avait compris ce que je m’apprêtais à faire et elle voulait m’en empêcher. Elle avait pensé à tout. Elle voulait m’aider à m’en sortir. D’après elle, je pouvais rester autant de temps qu’il me faudrait pour me retaper et être présentable lors d’un entretien d’embauche. Après, je pourrais me trouver un petit taff de serveur ou une connerie dans le genre et j’étais libre de mon père. Oui, c’était la meilleure solution, sauf que je n’en voulais pas. Parce que j’avais besoin de ces combats, pour me prouver qui j’étais. Mais ça, Céleste le comprenait pas, je ne lui avais pas expliqué non plus, remarque.

— Mika, ça sert à rien de…

— Laisse-moi passer, soufflai-je, exaspéré.

— Mais tu…

— Arrête. Si je t’en ai parlé, c’est pas pour que tu me casses les couilles après, m’énervai-je.

Elle se tut, baisse les yeux et se décala enfin, résignée. J’avais qu’une peur : qu’elle veuille me suivre. Il ne fallait surtout pas qu’elle vienne avec moi à l’usine. Elle en deviendrait folle. Et j’étais persuadé qu’elle le ferait. Elle était trop prévisible.

— Tu as raison, dit-elle, d’un ton froid. Je n’ai pas le droit de t’en empêcher. Mais je trouve ça stupide de ta part de te complaire dans ce mode de vie. Je te donne l’occasion de t’en sortir et, toi, tu…

— L’occasion de m’en sortir ? m’emportai-je. Tu m’as pris pour quoi, en fait ? Une œuvre de charité ?

Ferme-la ! Putain, mais c’est pas possible d’être aussi con !

Elle me fusilla du regard. Voilà, j’avais encore été trop bête pour réfléchir avant de parler. J’avais encore fait à l’instinct et maintenant j’avais peur qu’elle veuille plus me parler. Elle pouvait pas me faire ça. J’avais besoin d’elle dans ma vie. Pas pour avoir un toit, ça je m’en foutais, mais parce que j’avais besoin de ma Céleste, de sons sourire et de son humour cinglant.

— Très bien. Vas-y. Mais ne…

— Céleste, soufflai-je.

Je pouvais pas partir comme ça, avec l’impression qu’on ne se parlerait plus jamais. Je posai mon sac à mes pieds, fit un pas vers elle et l’attirai contre moi.

— Tu sais que je te remercierai jamais assez pour ce que t’as fait pour moi… Je sais que tu veux juste m’aider, mais laisse-moi gérer, ok ?

— Et s’il t’arrivait quelque chose ? gémit-elle. Tu m’as dit que c’était dangereux… Si…

— Je vais gagner. T’inquiète pas.

— Si, je m’inquiète.

Elle entoura mes hanches de ses bras et resserra sa prise. Une semaine. Il nous avait fallu une semaine, de nombreuses disputes, de nombreuses excuses, quelques larmes et beaucoup de sourires pour en arriver là. J’avais l’impression de la connaître depuis toujours. Son nez enfoui au creux de mon cou me chatouillait à chaque expiration, ses lèvres effleuraient ma peau. J’en frissonnai.

Résiste. Tu la mérites pas.

J’embrassai juste son front, posai mes mains sur ses épaules menues et lui offris mon sourire le plus rassurant possible. J’avais l’impression de partir à la guerre, avec ma femme qui tentait de me retenir. Y avait un peu de ça. Sauf que c’était pas ma femme, juste ma Céleste. Je savais même plus comment la qualifier. Meilleure amie ? Crush ? Les deux ? Elle embrassa ma joue. Je sentis une décharge électrique. J’étais sûr, en plus, qu’elle avait laissé traîner sa bouche près de la mienne exprès. J’avais eu envie de me ruer dessus. Mais c’était débile.

Enfin, je pus partir. Céleste me fit de la peine. Je l’appellerais quand je serais plein aux as, pour la rassurer.

Lorsque j’arrivai devant l’usine, il y avait déjà masse de monde. Un combat avait lieu. Je l’entendais aux beuglements du public et des parieurs. Je rejoignis Vadim et regardais qui se battait au centre de l’arène. Deux mecs que j’avais jamais vu. L’un d’eux était salement amoché.

D’après mon bookmaker, je prendrais le gagnant. Quoi qu’il arrive, les deux me semblaient faciles à battre. Ils se déplaçaient lentement, ils étaient tous deux épuisés et blessés. Le plus petit s’effondra et ne se releva pas. J’avais mon adversaire. Un blond, dix centimètres moins grand que moi et moins musclé que ma grand-mère. J’en ferais de la bouillie. Je sentais l’adrénaline monter en moi. J’aimais trop ce moment, juste avant d’entrer sur le ring. Quand je jaugeais mon adversaire, que je pensais à la façon dont j’allais l’éclater. Je me sentais fort, puissant. Plus rien ne comptait. J’étais plus le pauvre mec apeuré par son père. J’étais encore moins l’espèce de canard que me faisait devenir Céleste. J’étais juste moi, avec ma violence et ma haine.

Quand je commençai à frapper, je n’entendis plus rien. Je voyais quelques filets de sang voler quand mon poing heurtait le nez du mec. Il s’effondra. Je jubilai. J’étais acclamé. J’étais fort. J’étais un homme, un vrai, de ceux qui savent se battre et n’ont peur de rien.

Ridicule. Céleste, elle en a rien à branler que tu saches te battre.

Mais Céleste, j’en avais rien à foutre maintenant. Quand je me retrouvai face à mon deuxième adversaire, encore moins. Le gars fut facile aussi. Vadim me motiva pour en faire un troisième. Heureusement, la brute était pas là aujourd’hui, et le gringalet qui m’avait explosé deux fois non plus.

Trois combats. Trois victoires. Trois milles balles. Putain, j’allais être libre un moment avec ça ! J’allais pouvoir me prendre un bon hôtel cette fois-ci, pas trop loin de la fac. J’éprouvais quand même un petit pincement au cœur à me dire que j’allais justement pouvoir me payer un bon hôtel. J’aurais plus besoin de squatter chez Céleste. Une semaine. Je m’étais bien fait à ses petits câlins, l’air de rien, avant qu’on aille chacun dans notre chambre.

Je m’empressai de ramasser mes affaires et mon fric et sautai dans le premier RER que je trouvai. J’avais pas pris beaucoup de coups, en plus. Cette soirée était parfaite.

Mais tu vas la finir tout seul comme un con dans ta chambre d’hôtel.

— Voilà, chambre 302, troisième étage, m’indiqua la réceptionniste.

Je payai cash le premier mois. Presque deux mille balles. Un mois loin de mon père, bordel ! Je jetai mon sac sur le lit et fis le tour de la petite pièce sobre et propre. Ça me changeait tellement de ceux que j’avais l’habitude de fréquenter.

J’attrapai mon portable pour planifier un nouveau réveil, j’étais plus proche de la fac, je pourrais me lever plus tard. Et je vis un message de Céleste. Ma Céleste.

“Je pense à toi.”

Mon cœur bondit, fit un salto, s’arrêta. Pourquoi elle m’envoyait ça ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? Elle pouvait pas me faire un coup pareil. Moi, j’essayais de résister à la tentation. Elle devait faire de même. Sauf qu’elle, elle avait aucune raison de ne pas succomber.

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