25. Surprise
Affalé dans le train qui remontait à Paris, je regardais le paysage défiler devant mes yeux, malgré le mal de crâne affreux qui me torpillait. De temps à autre, je fermais les paupières, pour me soulager un peu, mais c’était plus fort que moi. Il fallait que j’ai quelque chose à observer, sinon, dans l’obscurité il y avait toujours cette même image qui se manifestait. Deux grands yeux, l’un vert et l’autre bleu. Un nez légèrement retroussé. Quelques tous petits grains de beauté éparpillés sur sa peau hâlée. Un sourire éclatant, aux dents du bonheur. Céleste, perdue dans les étoiles.
J’avais avancé mon retour au premier janvier. On reprenait les cours le quatre et je voulais avoir un peu de temps pour me poser avant de rattaquer. Parce que, chez ma mère, il y avait toujours autant d’agitation. Comme d’habitude, elle avait pleuré en m’emmenant à la gare. Je la soupçonnais de se douter de quelque chose, parce qu’elle me demanda un million de fois de l’appeler plus souvent, de lui dire si ça n’allait pas, que je n’étais pas obligé de rester à Paris si je voulais rentrer etc. Max avait peut-être cafté ? Ou alors elle était tombée sur mon paquet de thune, au fond de mon sac à dos.
— Mesdames, Messieurs, nous arrivons en gare de Lyon, merci de ne rien laisser à vos place, pensez à récupérer vos bagages et attendez l’arrêt complet du train à quai pour descendre.
Je m’étirai longuement. J’avais fini par m’endormir en me demandant ce que j’allais faire en arrivant. Réserver un hôtel, déjà. Dormir ? Manger ? Aller voir Céleste ? J’en savais rien. Parce que je m’étais pas encore décidé sur ce que je voulais avec elle. Il me fallait un temps de réflexion. Et en même temps, si je rentrais plus tôt, c’était aussi pour elle. Parce qu’elle avait déjà passé une semaine et demie seule, elle avait besoin d’un peu de compagnie. Même si j’étais loin d’être à la hauteur de ce qu’elle méritait.
C’est toujours mieux que personne, ducon.
Je sortis de la gare et me retrouvai face à un dilemme. Si je voulais aller voir Céleste, je devais traverser le pont pour choper la 5 à Austerlitz, sinon la 14 ici serait très bien pour aller dans le centre de Paname. J’allumais une clope pour me laisser le temps de la réflexion. Mais toujours rien. Je savais pas quoi faire.
Ce furent les vibrations de mon portable dans ma poche qui m’apportèrent la réponse. Un texto, de mon frère, qui me disait que je devais foncer avec Céleste. Il me l’avait déjà dit de vive voix, mais il me trouvait plus calme depuis la rentrée. J’étais sûr qu’elle y était pour quelque chose. Alors, même s’il était du même avis que moi quant au fait que je la méritais pas, il était certain qu’elle était la meilleure chose qui pouvait m’arriver ici.
J’attrapai ma valise et je m’engageai sur le pont. La cité de la mode et du design brillait dans la nuit et se reflétait dans l’eau de la Seine. Le long tube vert ressortait plus encore. Ce bâtiment était vraiment bizarre. Il n’avait rien de beau, rien de très esthétique, on pouvait même pas vraiment dire que c’était de l’art comme à Beaubourg. Il était juste moche.
Arrivé devant la petite porte rouge de son immeuble, j’hésitai. Je l’avais même pas prévenue que je lui rendais visite. Si ça se trouvait, elle était même pas là. Ou elle voulait pas me voir. Mais, moi, j’en mourais d’envie. Je montai les petits escaliers et sonnai sans réfléchir. Fallait pas que je me laisse le temps de faire demi-tour.
J’entendis des pas dans l’entrée. La clé tourna dans la serrure. Merde, merde, merde. Qu’est-ce que je devais faire ? J’avais l’impression de m’être vidé de toute mon énergie et du peu d’intelligence que j’avais. J’avais aucune idée de la façon dont je devais réagir. Quand on s’était quitté en décembre, elle m’avait presque embrassé. Mais là ?
— Je croyais que tu ne devais rentrer que dans deux jours ? s’exclama-t-elle, en me voyant.
— Surprise… soufflai-je.
Elle sourit de plus belle. C’était pas possible de transmettre autant d’émotions en un sourire. Mais si. Céleste y parvenait, parce que ma morosité me quitta aussitôt. Et quand elle se jeta dans mes bras, je ne pus m’empêcher de l’étreindre à mon tour.
— T’es le meilleur, me susurra-t-elle à l’oreille.
— Je sais, ris-je. Tu crois que… je pourrais squatter chez toi du coup jusqu’au trois ?
Je tentais le tout pour le tout. Je devais bien avouer que mes longues soirées avec elle me manquaient. Je pris le parti de lui faire croire que j’avais réservé mon hôtel à partir de vendredi et que, du coup, j’étais à la rue en attendant.
— Sirius rentre demain, mais c’est pas grave, on trouvera une solution. Au pire, il y a le canapé.
J’acquiesçai. Au pire, j’irais à l’hôtel, mais j’aurais au moins pu passer une soirée tranquille avec elle. Lorsqu’elle se détacha de moi et rentra dans son appartement, en traînant ma valise derrière elle, j’eus tout le loisir de l’observer. Elle n’attendait personne, alors elle portait juste une nuisette légère qui tombait au milieu de ses cuisses, un gilet fin couvrait ses bras. Ses cheveux rebondissaient sur ses épaules. Elle n’était pas maquillée non plus. Pourtant, je l’avais jamais vu aussi belle. Et toutes mes bonnes résolutions disparurent.
— Tu veux boire un truc ? me demanda-t-elle depuis la cuisine, penchée dans le réfrigérateur.
Je me rapprochai d’elle pour voir ce qu’elle avait, surtout pour la sentir près de moi. Elle sursauta quand je posai une main dans son dos. Ses joues s’empourprèrent. Alors, j’attrapai une bouteille de bière, sortis celle de vin pour elle et refermai le frigo. Elle me dévisagea un instant, un sourire amusé aux lèvres.
— Tu n’as pas oublié les bonnes habitudes, pouffa-t-elle.
Je ricanai. Elle avait le don pour faire retomber la pression en une seconde, c’était fou. Heureusement qu’elle était plus maligne que moi, parce que je pense que, sinon, je lui aurais roulé la pelle du siècle, là, contre le plan de travail. Mais elle m’aurait repoussé. J’en étais certain. Enfin, je lui faisais de l’effet, je le savais, mais ça s’arrêtait là. J’étais pas assez bien pour elle, elle devait en être consciente.
— Tu ne retournes pas chez ton père, hein ? s’inquiéta-t-elle, à l’instant où je la rejoignis dans le canapé.
— Nan, j’ai encore de côté pour me payer l’hôtel jusqu’en février.
Elle sourit, soulagée, et se rapprocha de moi. Comme souvent, quand j’avais habité avec elle, Céleste se pelotonna contre moi en position fœtale, son verre posé contre sa poitrine.
— Sirius a rompu, c’est pour ça qu’il rentre, m’informa-t-elle, comme si ça m’intéressait.
Puis je tiltai. Si, ça m’intéressait. S’il avait plus de meuf, il reviendrait vivre là tout le temps. Je pourrais plus venir squatter chez eux. Du moins, j’aurais plus sa chambre. Et je serais plus tranquille avec Céleste.
— Rompu, rompu ?
— Oui… Je ne comprends pas. Ils avaient l’air bien ensemble…
— Tu sais, parfois on est bien avec quelqu’un et on ne veut pas ou plus être avec cette personne, parce qu’on pense que c’est mieux ainsi. Pas forcément pour nous, mais pour elle et…
— Je n’ai jamais vu les choses sous cet angle, dit-elle, pensive. Moi, quand je tombe amoureuse, je vis tout intensément, je n’arrive pas à prendre du recul comme ça. Toi, tu…
— Moi, je suis perdu.
— On n’est jamais perdu, en amour, me sourit-elle. Parfois, on a juste besoin que quelqu’un nous apporte une carte et une boussole et on comprend tout mieux.
— Ouais, bah si t’en as à me filer, je veux bien, marmonnai-je, avant de comprendre ce que je sous-entendais par cette phrase.
Merde.
Elle hocha la tête, glissa sa petite main au creux de la mienne et appuya sa tête sur mon épaule. Céleste ne dit plus un mot durant de longues minutes. Elle fixait un point invisible sur nos doigts noués. Par instinct, j’avais resserré mon bras sur ses hanches. Ses cheveux me chatouillaient le nez. Mais putain que j’étais bien, là.
Puis, tout à coup, elle se redressa et tourna vers moi pour planter ses yeux bicolores dans les miens. J’en fus aussitôt déstabilisé. C’était fou, le pouvoir qu’elle avait sur moi, quand elle me regardait comme ça. J’avais l’impression de flotter un nuage.
— Je sais que tu as peur, de tout ça, me chuchota-t-elle.
— De quoi ? haletai-je.
Elle me sourit, d’un air malicieux. Mon cœur battait beaucoup trop vite. Il allait sortir de mon torse, c’était pas possible autrement. J’étais complètement engourdi, encore plus incapable de réfléchir que d’ordinaire. Et quand elle écrasa enfin, après des secondes interminables, ses lèvres sur les miennes, je m’agrippai aussitôt à elle, comme pour l’empêcher de fuir. J’avais peur que d’un truc : qu’elle réalise sa connerie. Mais, en attendant, je profitais de ce doux parfum, de son souffle chaud, de ses légers tremblements, de sa poitrine heurtant brutalement mon torse. Putain, que c’était bon !
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