Chaque matin, comme tous les blaireaux, je vais au boulot en faisant toujours les mêmes gestes, ruminant les mêmes pensées. J’ouvre ma portière, je m’installe, je boucle ma ceinture parce que Collomb me l’a dit et ...j ’allume mon autoradio en espérant un évènement majeur qui fera me sentir moins seul ou moins malheureux. Un tremblement de terre. Un acte terroriste de grande ampleur avec si possible un maximum de morts.
Un journaliste annonce une catastrophe. L' information la plus importante que mon cerveau reptilien espère s ’entendre dire est, le plus souvent, le nombre de morts suffisamment acceptable médiatiquement, d'une part et d' autre part, celle qui sera réconfortante pour mon cerveau d’auditeur-consommateur exigeant. Enfin, l'information miracle, la phrase salvatrice pour le moral, la phrase qui va m’aider à supporter ma vie d’esclave gattazien moderne pour toute la journée:
” le bilan est sans doute provisoire”.
Plus il y a de morts, mieux c’est. Et plus mon moral s’améliore.
La société médiatique a forgé en nous des monstres involontaires. Des montres qui s’ignorent. On consomme comme des bêtes et on pense en monstres. Des monstres malades de la “francinfoïte”. Nous devenons des bêtes de consommation dès lors que l’on s’engouffre dans sa grosse bagnole fumante et prêts a écraser un hérisson penaud ou un pigeon idiot. 105.5 le matin et 105.5 le soir en sortant de l’usine. Toujours à l’affût. La guerre, la souffrance chez les autres engendre en moi une jubilation coupable. Mais je m’en branle, ma bagnole et mon confort 105.5 d’abord. Un salaud me direz-vous. Oui, un salaud fabriqué de toute pièce par Goldman Sachs. Rare, désormais, la pensée spontanée qui fait de moi un être civilisé. Le Système a anéanti, annihilé en moi toute velléité naturelle à l’humanité. Je suis un cochon qui a fait de la mort des autres un divertissement pascalien. La mort des autres me distrait de la mienne prochaine et inéluctable. La société du tout ne peut s’embarrasser du rien, de l’insignifiant. Ce qui n’est pas monnayable n’a aucune importance. Les espèces sonnantes ont chassé de moi le dernier représentant l’espèce humanoïde que j’étais. On m’a délogé de ma grotte. J’attends avec impatience l’annonce de la mort d'un tel ou d'un tel. La société du spectacle fait de la mort une invitée. Elle s'invite à table, s'installe entre la poire et le fromage. Oui, comme il ne se passe rien, j’attends l’évènement avec une certaine impatience. On ne se sent vivre qu’avec la mort des autres. Je m’ennuie, donc j’attends. C’est en bonne voie. La nouvelle va tomber d’un instant à l’autre, c’est une question d’ heures, de jours. La mort d'une personnalité ou d'un "moins que rien" à la faveur d'un attentat, ce n’est pas tous les jours que cela arrive.
Cela fera des beaux discours tout neufs à notre actuel président. La mort lui va si bien. Et puis, cela fera les choux gras de franceinfos et de BFMTV. Le sang est le carburant des chaînes infos.
Voilà où nous en sommes.
-C’est grave docteur?
-Je confirme , vous êtes un con
-Je vous dois combien?
Adrien de saint-Alban