Chapitre 6. Descente au royaume obscure

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L’heure du mal était tombée sur la ville. La nuit avait étalé son tapis étoilé dans le ciel. La lune, pleine et belle, n’avait aucun nuage pour la cacher, elle faisait de son mieux pour égayer les ténèbres qui s’étaient abattus sur la cité. Le couvre-feu à Mirona était d’habitude strictement appliquée et sévèrement puni. Mais à cause de la nouvelle situation les mesures existantes avaient été durcies et de nouvelles avaient été prises pour assurer la sécurité des habitants. Même après deux jours les cicatrices de cet horrible massacre étaient encore béante et visible. Certes plusieurs habitations avaient été détruites durant l’attaque mais pour palier à ce problème des abris de fortune avaient été créés autour des hôpitaux et dans les rues. Des religieux avaient pris l’initiative de distribuer de la nourriture pour réconforter les sinistrés. Même si un repas chaud pouvait facilement remplir le ventre et remontait le moral le temps de quelques minutes cela ne changeait rien au fait que la vie tel qu’elle avait été à Mirona ne serait plus la même. Le nombre de morts et de disparus ne cessait d’augmenter. Des gens avaient perdus plus que leur maison ce jour-là. Des abris étaient remplis d’orphelins qui avaient vu leurs parents se faire déchiqueter où écraser sous leurs yeux impuissants, certains mangeaient goulument ce qui leur était servis comme si c’était leur dernier repas tout en fondant en larme, d’autres, malgré les efforts des bonnes sœurs qui veillaient sur eux, se laissaient mourir de faim. Les docteurs et infirmiers faisaient de leur mieux pour apaiser la douleur de ceux qui étaient couchés dans les lits des hôpitaux. Il fallait au moins leur garantir une bonne nuit de sommeil, c’était la seule chose qui leur restait. Les rues étaient ternes et silencieuses. Eclairés par des torches, les soldats, sur leur garde, faisaient des rondes par groupe de quatre, prêt à intervenir pour punir les rebelles. Par moment il était possible d’entendre distinctement des miaulements, des aboiements ou des bruits de sabots au loin, rythmant cette sinistre nuit.

Debout devant les grilles de l’entrée des égouts de la ville, Parika et Elian attendaient patiemment aux côtés d’autres gardes, qu’on leur ouvre.

Le Croisé était extrêmement calme. Il ajustait l’unique spalière qu’il portait sur son épaule gauche et faisait quelques mouvements d’épaules pour vérifier si cette dernière n’entravait pas sa mobilité. On lui avait rendu son équipement poli et lavé. Rien ne semblait avoir était changé à part la côte de maille qu’il portait d’habitude qui avait été remplacée par une plus neuve. Il redoutait que dans sa bonne foi le Duc décida de lui fournir un tout nouvel équipement. L’armure qu’il portait, bien qu’étant hautement incomplète, lui convenait amplement car lui permettant d’être plus agile. Il éprouvait une certaine sérénité en ajustant la sangle de sa ceinture, enfilant et resserrant ses gantelets et préparant quelques flacons d’huiles qu’il utilisait généralement pour embraser sa lame où intoxiquait ses ennemies. Le rituel de préparations était pour lui une habitude à laquelle il ne dérogeait jamais. Il préférait être seul quand il le faisait car cette exercice demandait énormément de concentration. Il ne chassait pas n’importe qui après tout. La seule chose qui manquait à son équipement était son épée. Celle-ci avait été gravement endommagée par les attaques des démons qu’il avait tué avant d’arrivé à Mirona et par la Mah-Goule qui avait courbé la lame à différents endroits. Il espérait qu’on lui prête une épée de soldat qu’il avait eu le temps de voir. Selon lui, même si elles étaient inappropriées pour tuer des monstres à cause de leur taille, du moment qu’elle tranchait, il saurait se débrouiller.

Parika, quant à elle, n’avait pas la chance d’avoir un équipement qui lui était propre. Elle dut faire une liste de tout ce dont elle avait besoin. Par chance l’armée de Kalrédan était mixte et donc elle avait réussi à avoir tout ce dont elle avait besoin. Le métier d’archer nécessitant qu’elle soit fluide et rapide, elle aussi ne pouvait pas se permettre de porter un plastron ou une armure de lourde. On lui avait donc fourni un gambison de couleur gris qui lui arrivait jusqu’aux cuisses assortit d’un pantalon, de bottes et de gants d’archer. Et à cause des règles de l’Alliance du Continent un brassard bleu avait été cousu à la hâte sur sa manche. Elle avait grossièrement rassemblé ses cheveux à l’arrière de sa tête pour dégager sa vue et pour mieux se protéger, le gambison qu’elle avait enfilé avait une capuche qu’elle mit pour couvrir sa tête. Elle aurait largement préféré un casque mais il était impossible de le lui en fournir. L’odeur et la sensation du cuir ne l’avait pas spécialement manqué. Contrairement au chevalier, elle avait enfilé son équipement avec réticence. Personne ne l’avait forcée à accepter et elle en était parfaitement consciente, elle ne voulait en aucun cas revenir sur sa décision. Elle était effrayée et tremblait par moment alors qu’elle se tenait face à la grille et redoutait le moment où il fallait descendre dans les égouts de la ville. Elle avait l’impression qu’une aura maléfique émanait de cet endroit. Elle avait l’impression de sentir sur elle des milliers de regards démoniaque la brulant intérieurement. Savoir qu’il était possible qu’elle rencontre des monstres la terrorisait et elle perdait à ce moment-là tous ses moyens. Pour que ses compétences puissent être utile, la concentration était la clé. Sans elle, elle ne serait qu’une archère inutile, pire, c’était la mort. Elle se répétait en boucle dans sa tête qu’elle pouvait le faire, que tout se passerait bien. Elle se détestait presque pour réagir de la sorte. « Regarde-toi, on croirait une bleu » se dit-elle tout bas.

Tous les deux profondément plongés dans leurs pensées, les deux guerriers furent ramenés à la réalité par le bruit de sabots qui se rapprochaient d’eux. Un capitaine à cheval s’arrêta, arrivé à leur hauteur. Les soldats qui gardaient l’entrée des égouts se mirent au garde à vous dès son arrivé. Il descendit de sa monture et se dirigea vers le Croisé et l’Archère. Il avait dans sa main une épée et sur son cheval un arc et un carquois plein étaient déchargés par un soldat.

- Désolé pour mon retard, s’excusa-t-il en tendant l’arme au chevalier, le Duc a demandé à ce que vos armes soient dans les meilleurs conditions.

Le chevalier saisit l’épée qu’on lui tendit et s’agenouilla pour la dégainer et l’inspecter. La lame l’éblouit un instant, reflétant la lumière divine de la lune. Elian maniait ce que la plupart des bretteurs appelaient une épée longue. Cette arme nécessitait l’utilisation des deux mains ou d’une seule main pour effectuer certain mouvement au corps à corps. Elle était extrêmement versatile et offrait une excellente balance entre l’attaque et la défense. Cependant il fallait exécuter des mouvements précis et simple pour éviter de créer des ouvertures dans sa garde et donc un entrainement rigoureux visant à développer la masse musculaire du bretteur était nécessaire pour la manier proprement.

- La lame a été réparée et reforgée par nos meilleurs artisans, dit fièrement le capitaine, avec une lame comme celle-ci vous pourriez coupez un cheveu en long ! Dame Valto demande si votre lame possédait un enchantement ou des runes, elle est disposée à les renouveler

Il ne répondit pas sur le coup. Il passa son pouce sur le fil de la lame comme pour confirmer les dire de ce dernier. Une étincelle jaillit. Satisfait du résultat il la rengaina et se releva. De son côté Parika recevait un arc droit. Le bois était d’excellente qualité, l’un des meilleurs qu’elle a pu toucher depuis le début, la corde était bien tendue et l’arc était assez flexible. Les flèches étaient bien taillées, solides et équilibrées. La pointe de ces dernières permettait de facilement retirer la flèche des cibles sans la détruire, facilitant ainsi leurs réutilisations. Elle avait attaché à son dos le carquois qui contenait 20 flèches. Rapidement, d’un geste fluide, elle prit une flèche, l’arma et banda l’arc en guise de test. Des souvenirs resurgissaient progressivement dans son esprit, la lavandière s’évanouissait peu à peu pour laisser place au mercenaire. Ses sens étaient en alertes et elle avait pleinement conscience de tout ce qui l’entourait. Elle se retourna vers le capitaine et le remercia, Elian fit de même.

Le comportement des deux guerriers dont il avait eu la charge ne le gênait pas plus que cela. Et pourtant il était conscient qu’il armait deux personnes plus jeunes que son fils ainé. Il était sur le point de les envoyer dans les égouts de la ville, un endroit incertain où il n’aurait pas envoyé de soldats sans renforts. Mais le Duc était persuadé qu’ils pouvaient y arriver et avait insisté sur le fait que rien ne leur manque. Il faisait partie des quelques personnes au courant de cette mission et pour cela il n’allait rien questionner.

Parika et Elian avait pour mission d’inspecter le réseaux d’égouts de la ville. Selon une première expédition composait de soldats et d’ouvriers, les égouts de la ville était le seul chemin que les monstres auraient pu emprunter pour s’infiltrer dans la ville. Des marques de griffes sur les murs et le sol prouvaient cette hypothèse. Le problème était que le réseaux égouts était complexe et qu’il était facile de s’y perdre sans un plan précis de ce dernier. Les goules avaient respectivement fait irruption au centre du quartier marchand et ouvrier. Tous ces points ne faisaient que confirmaient l’hypothèse d’une attaque coordonnée. Leur seconde mission était de savoir ce qui était arrivé au groupe de soldat envoyé par le Duc le matin de l’attaque. Leur disparition n’avait peut-être rien à voir avec ce qui s’était passé mais à ce point là le mot coïncidence n’avait clairement plus sa place.

Le capitaine tendit ce qui ressemblait à des outils au chevalier avant qu’ils ne s’engouffrent dans le dédalle souterrain alors que les portes s’ouvraient lentement. Elian considéra le marteau et le burin qu’on lui donnait avant de relever la tête vers son interlocuteur

- Je ne sais pas ce que vous comptez en faire mais, tenez. Il est difficile de trouver des outils en bon état, j’ai donc dut les emprunter à mon beau-frère. Faites-y attention

- J’en prendrais grand soin, répondit le Croisé

- Faites attention à vous, s’exclama le capitaine alors que les portes des égouts étaient grandes ouvertes, il paraitrait que les premiers à être descendu auraient entendu des drôles de choses

La mise en garde retint l’attention des deux guerriers.

- Quel genre des bruits ? demanda Elian

- Des ricanements aigus, et ils sont persuadés que ce ne sont pas des rats

Le chevalier hocha la tête et s’engouffra suivit de près par l’Archère



Au coin d’une des nombreuses allées, une lueur se rapprochait doucement et envahissait peu à peu les murs de briques aux alentours. Elle apportait un semblant de lumière dans cette endroit où les rayons de la lune ne parvenaient que très rarement à pénétrer par les grilles qui se trouvaient au plafond. L’odeur sordide qui y régnait faisait tourner l’esprit, l’apparence générale, l’humidité pesante et les différents sons qui provenaient d’un peu partout donnaient l’impression d’être dans un monde différent, un monde chaotique. La lumière qui paraissait apporté un semblant d’ordre, émanait d’une torche guidant Parika et Elian à travers les couloirs du labyrinthe qu’étaient les égouts de la ville de Mirona. Ils marchaient près des murs, la voie centrale étant occupait par les eaux qui s’échappaient de la ville. Ils sortaient d’un des tunnels étroits et étouffant qui débouchaient sur une plus grande allée. Par moment ils rencontraient des tonneaux et des brouettes abandonnées çà et là et quelques déchets que l’eau ne pouvait pas évacuer. De minuscules paires d’yeux observaient, scrutaient les deux nouveaux arrivants qui définitivement, n’avaient pas leur place dans cette endroit.

Parika était nerveuse. L’idée qu’un monstre, caché dans un angle mort de sa vision, pouvaient les attaquer par surprise au détour d’une allé, l’a terrifiée. Elle jetait des coups d’œil dans tous les sens, elle était attentive à tous les sons, tous les mouvements qui évoluaient autour d’elle. Clairement, elle se détestait pour cela. Elle voulait avoir le contrôle sur elle-même comme Elian qui semblait ignorer la peur. Contrairement à lui elle avait l’impression d’être une proie que l’on avait lâché dans une fausse remplie de prédateur. Elle devait se calmer, c’était impératif. Son état émotionnel la handicapait sévèrement, elle devenait hautement vulnérable. Le contrôle était une chose essentielle au combat, cela faisait partie des premières leçons qu’elle avait apprise. En marchant dans ces allés incertaines, tenant son arc aussi fort qu’elle le pouvait, elle avait frappé du pied plusieurs rats qui venait à sa rencontre. Pour essayer de se rassurer, elle parlait au chevalier, elle lui posait toutes sortes de questions. Elle essayait d’entretenir une conversation avec ce dernier pour en savoir plus sur lui mais il n’était pas très loquace. En effet ses réponses étaient courtes et direct et donc avortait toute possibilité de réelles discussions.

Elian marchait à l’avant et tenait la torche dans sa main gauche. Il avait déjà dégainé son épée qu’il tenait dans son autre main par la base de la lame. Il était silencieux et attentif à tout ce qui pouvait se passer. Ses pas étaient régulier et silencieux en dépit de son équipement qui émettait un petit bruit de métal à chaque mouvement qu’il faisait. Il avait conscience que les démons avaient pour la plupart des sens plus aiguisés que la plupart des animaux et pour cette raison il fallait éviter les mouvements superflus. C’était la première fois qu’il partait en mission avec quelqu’un d’autre. Généralement il discutait avec l’échevin du village où le seigneur responsable du fief qui lui donnait la tâche et s’en allait sans attendre qu’on lui propose de l’aide. C’était mieux comme cela. Une personne inexpérimentée à ses côtés risquait de le gêner dans l’action. De plus il faisait peur à la plupart des gens qui l’entourait. Cependant la nature de cette mission nécessitait de l’aide et c’était pour cette raison qu’il n’avait émis aucune objection à travailler avec l’archère. Certes elle n’avait aucune expérience en ce qui concernait les démons et était complètement effrayée mais son aide dans la traque serait essentielle, il était sûr qu’elle verrait des indices qu’il manquerait. Elle parlait énormément et il comprenait que c’était un moyen pour elle de se rassurer. Cela aurait été une autre personne il aurait demandé d’être plus silencieux mais il avait remarqué qu’elle prenait d’immenses précautions : elle parlait à voix basse et aussi faisait comme lui, le moins de mouvements inutiles. Et pour cette raison il se laisser portait par la conversation sans être dérangé plus que cela.

Un autre rat couina alors que les deux vétérans s’avançaient prudemment, des gouttes d’eaux tombaient d’en haut et atterrissaient par moment sur leurs épaules où dans une flaque non loin.

- Est-ce qu’on va rencontrer des fantômes, demanda-t-elle soudainement

Le chevalier s’arrêta net. Parika ne comprenait pas, avait-elle posé une question de trop ? avait-elle poussé sa patience à bout ? elle appréhendait la réponse de son équipier

- Des … fantômes ? répéta-t-il d’une voix confuse et métallisée

- Oui, continua-t-elle encouragée, si on rencontre des fantômes, c’est sûr que je n’arriverais pas à les toucher. J’ai entendu dire qu’ils aimaient se réfugier dans les endroits comme ici, sale et sombre

- Les fantômes n’existent pas

Elian vit que son interlocutrice était confuse. Il était vrai que les fantômes faisaient parties de certains contes du folklore populaire et servait surtout à effrayer les enfants turbulents. Mais en vérité les fantômes n’étaient qu’une légende comme une autre, il vit une occasion de la réconforter

- Quand une personne meurt, elle se retrouve sur le Pont des Esprits. Durant ce moment elle peut se manifester à ses proches mais pas plus, ils ne peuvent pas nuire.

Il l’entendit relâcher un soupir de soulagement, comme s’il venait de lui retirer un poids de ses épaules.

- Mais il n’est pas rare de croiser un nécromancien et sa suite dans un endroit comme celui-là, dit-il emporté par son explication

- Un né … nécro … un quoi ? essaya-t-elle de répéter

- Un nécromancien, un sorcier qui ressuscite des gens pour les asservir

Son sang ne fit qu’un seul tour. Elle commençait à suer à grosses gouttes et frissonnait. Ses mains devinrent moites et son ventre commençait à se tordre alors qu’elle avait l’impression que le sol se dérobait sous ses jambes. Son esprit était maintenant submergé d’images de mort-vivants la poursuivant et la déchiquetant.

Voyant que la pauvre archère ne parlait plus il en déduisit qu’il avait échoué à la calmer. Il avait empiré son état. La jeune fille ne dit plus un mot alors qu’il s’engouffrait de plus en plus. Ils n’avançaient pas aveuglément car on leur avait fournis un plan des égouts. Les deux guerriers purent en effet constater que les murs et le sol autour d’eux étaient couvert de marque de griffes, témoignant du passage des goules. En suivant ces dernières, il était possible pour eux de connaître leur point d’entrée. Cependant ils n’avaient pas encore entendu les ricanements dont le capitaine avait parlé à leur départ.

Plus ils passaient du temps dans cette endroit et plus ils s’y habituaient. L’odeur ne dérangeait plus autant qu’au début et les rongeurs se faisaient rare. Peut-être avaient-ils compris qu’ils n’étaient pas de taille face aux nouveaux arrivants et qu’ils finiraient écrasés ou noyés et emportés dans le cour d’eau qu’ils évitaient généralement. Par moment l’un d’eux évitait une flaque de vase qui se formait au sol. Le silence s’était installé entre eux. Le chevalier ruminait une pensée. Depuis leur audience avec le conseil pour déterminer leur culpabilité dans cette histoire, cette pensée le déranger. Cela n’avait jamais été un problème au départ mais depuis qu’il savait que l’objet de celle-ci se trouvait derrière lui, il ne pouvait pas faire autrement. Sans hésitation il s’adressa à Parika

- Hey, tu es toujours là ?

- Où veux-tu que j’aille, répondit-elle avec une voix qui trahissait le malaise

Elian tourna la tête un instant pour l’observer, elle avait armé une flèche, sur ses gardes, crispée, prête à se battre

- Tu me reconnais n’est-ce pas, tu sais qui je suis ?

La question était bizarre et sortait de nulle part. L’archère leva un sourcil un instant, elle pensait pendant un instant que les émanations nauséeuses lui avait fait tourner l’esprit. Mais en prenant quelques secondes de réflexion elle comprit sa question. Le Croisé faisait référence à la question que le Juge Falga avait posé pour les incriminer. Le Juge inquisiteur voulait savoir s’ils s’étaient connu avant d’arriver à Mirona. Sans l’aide du chevalier, le Juge l’aurait accusé de cacher des informations. En repensant à la réponse que ce dernier avait donné, elle avait fini par se rappeler pourquoi il lui était si familier.

- C’est vrai qu’on était un peu différent, dit-elle en se rendant compte qu’elle avait copié mot pour mot la réponse que le chevalier avait donnée au Juge

Une légère mélancolie remplaça son anxiété alors qu’elle répondait à la question, elle savait très bien ce qui allait suivre. Elle avait essayé de mettre tout ce qui concernait la guerre dans un recoin éloigné de son esprit mais maintenant que toute ses habitudes avaient refait surface, elle se rappelait de tout. Cela ne l’attristait, après tout, elle avait choisi cette voie et cela faisait partie des conséquences.

- Quand nous nous battions, pourquoi tu t’es arrêté ?

Là encore elle savait à quoi il faisait référence, il parlait de la guerre de Smess. Avant tout ça, tous deux étaient ennemies et s’était en effet rencontré sur le champ de bataille. Ils avaient furieusement croisé le fer. Elle redoutait ce qui allait se passer ensuite. Très vite elle comprit qu’il était possible qu’il l’attaque et l’idée qu’il fallait qu’elle se défende contre lui s’incrusta automatiquement dans sa tête. Rester silencieux n’était pas la bonne solution il fallait qu’elle donne la meilleure réponse qui soit.

Que sont les guerres ? La plupart des gens pensent qu'elles sont comme dans les balades et les récits chantés dans les tavernes. De glorieuses batailles avec de fantastiques charges à cheval, menaient par des chevaliers en armures splendides, modèles de piété et de vertu ; le soleil se levant sur le champ de bataille illuminant les bannières fièrement dressées ; une brise légère soufflant après la tempête pour emporter les âmes des valeureux guerriers tombaient au combat. Mais en vrai tout cela n’était qu’un rideau servant à péniblement masquer la réalité, aveuglant ceux qui le souhaitaient. La vérité était malheureusement bien plus cruelle. Ceux qui avait eu la malchance de se trouver prit dans l’étau de la déesse de la guerre avait la réponse gravée en eux pour l’éternité : la guerre était l’expression la plus pur de la violence humaine. Meurtres, massacres, viols, trahisons, champs rasés, greniers pillés, villages incendiés, tel avait été le quotidien de Parika pendant la guerre, les tas de corps s’amoncelant et créant des torrents de sang qui salissent les terres à jamais et les arbres aux pendus bordant les routes boueuses par centaine. La première fois qu’elle avait assisté à un tel spectacle elle n’y comprenait rien, elle n’avait que 10 ans. Ce n’était qu’une fois sur le champ de bataille, à quatre pattes dans la fange, couverte du sang de son premier adversaire, tétanisée, qu’elle comprit qu’elle était plongée dans la spirale violente et cruelle de la guerre. Elle se rappelait que son maître l’avait battu pour ça, lui rappelant pourquoi elle était là

« Je t’es entrainé dans ce seul but Parika. Sur un champ de bataille, personne ne s’arrêtera pour toi parce que tu es une enfant, si tu as une arme dans les mains, tu es une cible comme une autre. Si tu veux me suivre, prépare-toi, ce n’est que le début ».

N’importe qui aurait saisi cette chance pour déserter mais elle, elle ne pouvait pas s’en aller. Sa place était aux côtés de son maître, elle n’avait aucun endroit où aller, il était sa seule famille et elle avait tant à apprendre de lui. Après cela les semaines et les années passèrent avec à chaque jour un combat différent. Des guerriers sans nom étaient tombés sous ses flèches et ses coups de lames. Les victimes se succédait et leurs visages revenaient dans ses cauchemars quand elle arrivait à s’endormir. Hommes, femmes, elle avait même tué des enfants soldats, Parika s’y était habitué, c’était le seul moyen de survivre. Sans qu’elle ne s’en rendent compte elle avait atterri dans les marais de Helréina. Elle y avait vu ses compagnons d’armes et ses ennemies tomber un par un, leurs corps aspirés dans le bourbier au côté des chevaux et des canons. Elle avait épuisé les flèches de son carquois et se défendait comme elle pouvait. Les explosions et les ennemies l’avaient jetée à terre plusieurs fois, elle avait perdu son casque, désorientée, blessée, elle se frayait un chemin à travers les lignes adverses. Soudain un coup arriva sur elle, Parika l’esquiva et engagea son ennemie comme tous les autres. Ils s’affrontèrent en ignorant le monde qui les entourait. Ils avaient chacun jeté toute leur âme dans ce combat et leur volonté de survivre quand soudain leurs coups de lame sonnaient différemment. Parika le remarqua et se désengagea immédiatement pour regarder celui qu’elle affrontait. Elle fut surprise de voir que c’était un jeune garçon blessé comme elle. Il avait une épée courte et un semblant d’armure. Elle ne pouvait pas voire son visage car il était entièrement couvert de bandage. Elle regarda ensuite autour d’elle. Personne. Il ne restait plus que les cadavres et les armes des deux camps, tout le monde avait péri et ils n’étaient plus que les seuls survivants. Elle considéra ses dagues puis son ennemie pendant un moment avant de les ranger. Pris au dépourvu son adversaire voulu charger mais vit aussi qu’ils étaient seuls. Et comme son ennemie il rengaina son arme. Les deux enfants soldats se tenant sur le champ de bataille désert se regardèrent pendant un moment quand l’archère fit un signe de main pour saluer l’épéiste. Comme deux enfants qui se séparait après une journée de jeu il lui répondit avant de tourner le dos et de s’en aller.

Parika avait oublié cette rencontre, elle s’était facilement mélangée avec les autres souvenirs plus sombres, plus horribles. Etant revenu dans le moment présent après ce voyage forcé dans son esprit elle vit que le Croisé attendait toujours sa réponse.

- Mon maître m’a appris qu’il fallait éviter les morts inutiles, finit-elle par dire en serrant son arc dans le creux de sa main

- Tu as bien choisi ton maître, répondit-il

- Pourquoi cette question, tu veux venger tes camarades ? dit-elle sur un ton grave

L’atmosphère changea. Elian était resté silencieux et immobile. Elle n’était plus préoccupée par les monstres qui avait peut-être élu domicile dans ces lieux maudits. Parika était prête à se défendre s’il le fallait, même si elle savait qu’elle n’avait aucune chance face à un guerrier de Lode comme lui. Une blessure stratégique suffirait à lui donner du temps pour s’enfuir. Ses yeux commencèrent à s’illuminer et à changer d’apparence quand il finit enfin par répondre

- La guerre est finie et je n’ai personne à venger.

Cette réponse la rassura sur le coup. Elle avait entendu plusieurs histoires de soldats qui arpentaient le Continent à la recherche de leurs anciens ennemis pour venger leurs amis tombés au combat. Celles-ci ne se terminaient jamais bien. Elle se décrispa et tous deux reprirent leur route dans les égouts

- Je te fais confiance archère, surveille mes arrières et je te protégerai

Il avait délivré ces mots avec une telle simplicité que Parika se sentit rassurait automatiquement. Les imposantes traces de griffes sur les murs et le sol qui l’effrayaient au début ne semblait plus aussi menaçante qu’au début et le cœur soulagé, elle s’avançait libérée de ses peurs.

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