Chapitre 25.4
Elle avait raison. Ils avaient tous des pouvoirs liés à leurs anciennes charges divines. La plupart d'entre eux étaient des métamorphes. Pas au point de se tordre les os et de se faire pousser des poils, des plumes ou des écailles sur le corps, mais ils excellaient dans l'art d'en donner l'illusion. Même Erra qui haïssait les magiciens en avait fait usage en son temps... Pourtant, ce n'était pas de ce genre de pouvoir dont Amaterasu voulait parler.
— Vous en êtes toujours à ces rumeurs ? grommela Divona. Vous pensez encore qu’il a des bases secrètes et des ressources que nous ne connaissons pas ?
— À propos de dettes, pourquoi ne pas lui faire payer les nôtres ? suggéra Freyr. On pourrait l’utiliser comme monnaie d’échange… Il y a bien un peuple ou une civilisation qui accepterait de s’allier à nous en échange de sa tête, ou même d’un dieu vivant pour avoir le plaisir de le juger et de l’exécuter ?
— On pourrait aussi faire ça avec Cottos, renchérit Enki.
L’idée lui plaisait profondément.
Pas autant qu’à l'ancienne déesse du soleil.
— Deux têtes pour le prix d’un traité d’union avec deux ou trois civilisations étrangères, cela me parait être un bon arrangement, non ? Je serais même curieuse de savoir lequel des deux ferait la meilleure monnaie d’échange.
— Eh ! Moi, je ne marche pas là-dedans ! Je ne veux rien avoir à faire avec Cottos, mort ou vif, de près ou de loin.
La vive protestation de Derceto fut accueillie par une longue série d'assentiments de part et d'autre de l'assemblée.
— Suffit ! On se sent déjà assez mal comme cela chaque fois que quelqu’un prononce son nom, dit Priape d’une voix grave et calme. Si Cottos a conclu un pacte avec nos ennemis, je ne vois aucun problème à pactiser avec quelqu’un qui n’est pas son ami. Quitte à nous en débarrasser une fois qu’il ne nous sera plus utile.
— Pactiser avec Baal est sûrement moins pire que d’attraper le tem’pphus, fit remarquer Divona avec un sens de l’à-propos qui en surprit plus d’un.
À commencer par Apollon qui se retint d’éclater de rire. Que pouvait-elle savoir des maladies de créatures aussi débauchées que les Keynaanides ?
— Nous n’attrapons pas le tem’pphus, lui fit remarquer Erra. Ni aucune autre maladie qu’elle se situe au siège ou ailleurs.
— C’est certain. On le saurait forcément parce que tu ne serais sûrement pas le dernier à être atteint par un mal ou par un autre, lâcha Divona. En dehors de Priape et de Circé, bien sûr.
— Nous ne sommes pas malades, la contredirent-ils de concert.
— Je vois bien mieux que vous, ajouta la petite magicienne.
— Nous non, mais certains de nos alliés… renchérit Dercéto.
Horus les rappela à l’ordre dans un soupir mêlé de lassitude.
— Dercéto, Divona, Erra… et Circé, ce n’est pas le sujet de ce conseil.
Ils se conduisaient tous parfois comme des enfants. Des enfants assez mal éduqués.
— Et si nous nous trompions d'interlocuteur ? fit Freyr. Baal pourrait s'être allié à nos ennemis... Ne serait-ce que pour nuire à Cottos.
— Comme s'il n'avait pas déjà assez de raisons pour nous nuire directement, soupira Derceto.
— Baal n'est pas un lâche, assura Rhadamanthe. S'il souhaite nous attaquer, il le fera lui-même, de front. Quitte à y perdre la vie. Que peut faire un ancien dieu, seul contre nous tous réunis ?
Il ne le disait pas, mais il songeait bien qu'il leur serait difficile de rester unis.
Amaterasu semblait de son avis sur ce point.
— Vous craignez un ennemi plus puissant que nous tous réunis ! s’emporta-t-elle. Et vous êtes prêts à remettre nos pouvoirs entre les mains d’un assassin… parce que vous pensez, sans en avoir la certitude, qu’il est le seul à pouvoir nous sauver tout en sachant qu’il peut nous trahir à la première occasion. Rien que des hypothèses, des possibilités, des rumeurs ! Autant le dire : DU VENT !!
Plus bas, pour elle-même :
— Cela dit, je comprends mieux votre réticence à ma demande.
— Je ne l’aurais pas formulé ainsi, mais cela me semble bien résumé, reconnut Horus sur un ton ironique. Cependant, je vois les choses de manière légèrement différente. Nous ne lui donnerons rien. Nous ne lui apporterons aucune aide. Nous aurons assez affaire à nous sauver nous-mêmes. Baal ne devra compter que sur lui…
— Enfin… Mais soyez réalistes, les adjura Amaterasu.
— Et sur ceux qui accepteront de l’aider, ajouta Circé. Je ne m’inquiète pas pour lui. Il trouvera des alliés, j’en suis certaine, quelle que soit sa situation actuelle ou à venir. Il est capable de se sortir de n’importe quelle situation, et d’en retirer quelque chose. Il est comme un mgi’au … Il retombe toujours sur ses pattes.
— Je suis de l’avis d’Amaterasu, fit Freyr, à retardement.
— Personne ne t’a demandé ton avis ! le rabroua Divona.
Ainsi donc, c’est toi qui es à l’origine de ce conseil...
Esmelia sut immédiatement que cette pensée venait d’Erra qui fixait Circé comme un chat fixerait la souris sur le point de sortir de son trou.
Toutes ces discussions pour en arriver là, parce que la petite sorcière a sûrement eu une vision, songeait Erra sans se départir de son habituel sourire, un rien carnassier.
— Un quoi ? demanda Ishkur qui ne savait comment le consigner, et s’il le devait.
— Un tigre à dents de sabre, si tu préfères. En plus petit mais aussi teigneux, voire plus, lui fit savoir Erra. Vraiment une sale bête dont il est difficile de se débarrasser.
Esmelia sentit qu’il était plus inquiet qu’il ne le montrait. Les paroles d’Erra restaient gravées dans sa mémoire. L’ancien dieu avait négligé l’influence de la magicienne sur les vieux Chanceliers. Au moins sur deux d’entre eux, Horus et Rhadamanthe.
— Et toi, Teutatès, qu’en penses-tu ? l’interrogea Erra.
Teutatès mit quelques secondes de réflexion avant de répondre. Il pesa ses mots lorsqu’il s’exprima :
— Lorsqu'il se bat, ce n’est pas uniquement la victoire qui l'importe, c’est la manière avec laquelle il parvient à vaincre son ennemi et, surtout, qu’il y ait des témoins pour le raconter.
Ishkur mit quelques secondes à réaliser que Teutatès ne parlait pas du mgi’au.
— C’est vrai que Baal s’y entend pour ça, fit Bacchus. Qui ignore qu’il a tenu tête à Héra, il y a deux millénaires, et qu’il l’a battue sur son propre terrain ? Cela lui a d’ailleurs valu son premier et séjour chez qui nous savons.
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