Chapitre 20.3
Elle ne pourrait alors plus lui venir en aide, car elle avait sa propre mission. Tous les ponts vers sa Communauté, son Essaim d’adoption, la Multitude, seraient rompus définitivement.
— Tu ne pourras faire confiance à personne, ‘Ran. On t’empêchera peut-être de faire ce qui doit être fait. Lorsque nous nous reverrons, nous ne serons plus ce que nous sommes aujourd’hui. Tu ne me reconnaîtras sans doute pas, et je serai peut-être ton ennemie… Sans doute ton ennemie.
Elle se tut, un instant, une éternité avant de reprendre.
— Et si tu devais me tuer, ou tuer l’un d’entre nous pour que la clé soit sauvée, alors n’aie aucun remords, aucun regret, à le faire.
Nouveau silence.
— Le plus important reste que tu la protèges quoi qu’il t’en coûte. Si tu meurs, elle disparaît, et si elle disparaît, tout ce qui vit dans cet univers, connu ou non, disparaîtra avant l'heure.
— Que se passera-t-il ensuite ? Et vous ?
— Quelle que soit l’issue, bonne ou mauvaise, toi et moi, nous ne serons plus. Comme presque tout ce qui aura existé à ce jour. Entre-temps, moi, je vais poursuivre mon chemin. J’ai ma propre mission à mener pour que la tienne réussisse.
— Je ne comprends pas.
— C’est ainsi. Comprendre ici et maintenant est inutile.
Il devrait se contenter de cette réponse.
Il évalua les présences qui s’agitaient autour de lui.
— ILS vont me chercher.
Le chercheraient-ILS vraiment ? Après tout, il était banni de la communauté.
— ILS ne te trouveront pas, et moi non plus… Pas immédiatement, du moins.
— Alors, tôt ou tard, ILS me retrouveront quand même.
— Un jour, peut-être, oui. À ce moment-là, tu devras faire un choix. Mais, peut-être que tu n’en auras pas la force. Moi, je ne pourrai pas lutter. Ce n’est pas ma destinée… Espérons seulement que quelqu’un d’autre aura pris le relais et que la Gardienne, la Clé, quelle qu’elle soit, quels que soient son véritable nom et sa nature, soit à l’abri lorsque ce moment arrivera, et prête à faire ce que l’on attend d’elle…
— ILS me trouveront, répéta 'Ran. Que me feront-ILS ?
— Rien de bon. S’ILS te retrouvent, 'Ran, ils te tortureront jusqu’à ce que tu leur avoues tout ce que tu as fait et tout ce que tu sais.
— Je ne LEUR dirai rien.
— ILS chercheront ton point de rupture, et ILS le découvriront .
— Je n’ai pas de point de rupture.
— Tu es différent de nous. Je t'ai choisi pour cette raison. Aujourd’hui, tu n’es pas une créature très différente de nous en apparence. Tu le seras vraiment lorsqu’ils te trouveront. Tu seras comme bien d’autres créatures de cette galaxie : faite de chair et de sang. Tu auras une vie. Tous les êtres vivants ont un point de rupture.
— Alors, arrangez-vous pour que je n’en aie pas. Je sais que vous pouvez le faire.
— Alors tu souffriras encore plus… Longtemps, autrement et inutilement.
— Plus que maintenant ?
— Toute ton existence sera un leurre… destiné à les tromper, ‘Ran…
— Peu m'importe alors. Si mon existence peut avoir une utilité, je suis prêt à endurer le pire.
— Si tu le dis, en cet instant. Mais qu'en sera-t-il vraiment le moment venu ? Ne penses-tu pas que regretteras amèrement cette décision ?
Il ne répondit rien.
Elle ressentit sa colère monter comme une lame de fond. Elle envahit tout son être.
C’était si étrange. Cela confirmait son étrangeté... Et sa propre décision.
Les Tisseurs n’éprouvaient aucune émotion normalement. ‘Ran, lui, avait toujours détesté ce qui prédestinait les individus et leur ôtait toute liberté, tout libre-arbitre, en même temps que leurs sentiments et leurs émotions.
Il n’était pas loin de se révolter contre le COLLECTIF… Contre ELLE…
Elle devait l’apaiser coûte que coûte. Son agitation allait attirer l’attention des autres TISSEURS.
Esmelia se réveilla brutalement.
Du moins, C’était ce qu’elle avait supposé. Mais elle ne s’était pas retrouvée dans un lit, ni même dans son corps.
Elle se sentit complètement d’être estourbie, engourdie, désorientée.
Elle comprit rapidement…
Sans transition, elle était passée d’un rêve à un autre.
Un second rêve avait succédé au premier.
Cette fois, elle était une ombre qui se déplaçait dans les coursives labyrinthiques d’un vaisseau qui n’était pas celui de Baal.
Elle se déplaçait, silencieuse, rapide et légère, sans hésitation, dans des galeries d'acier à peine éclairées, vers une destination précise.
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