Chapitre 23.2

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Quelques Drægans renâclèrent, autant en réntendant le mot achi qu’ils ne prononçaient que très rarement et avec le plus grand respect que le nom de Baal, et en visualisant très clairement le sort qu’Amaterasu réservait au Phénicien.

Elle ne manquait pas de culot.

Malgré tout, Esmelia eut le sentiment que du côté de Lara, Scáthach et Erra, il n'y aurait pas beaucoup d'oppositions à cette demande.

Apollon secoua la tête. Il se pencha légèrement en avant, les coudes posés sur les bras de son fauteuil. Ses yeux ne recélaient pas la moindre complaisance envers sa comparse.

— Je te conseille d’oublier ton projet de vengeance, la prévint-il avec calme et froideur.

Elle le foudroya du regard.

— Ce n’est pas à toi que je m'adressais, Apollon. Mais puisque tu souhaites intervenir, pourquoi, selon toi, renoncerais-je à cette "vengeance" ?

— Peut-être qu’entre toi morte, et Baal vivant, je préfère la seconde solution, riposta-t-il immédiatement. Si tu persistes à t’attaquer à lui, c’est forcément ce qui arrivera. Et cette fois, nul n’en blâmera Baal. Par ailleurs, personne ne peut le tuer. Même le plus acharné d’entre nous. Il y en a, ici même, qui ont essayé. Ils peuvent donc en témoigner.

Quelques têtes se tournèrent en direction de Scáthach qui émit un gloussement étrange et inhumain.

Rentrant la tête entre ses épaules, elle leur renvoya un regard meurtrier.

Et vers Erra qui le confirma d’un signe de tête. Il avait bel et bien essayé à deux reprises, et avait bien failli réussir au moins une fois. Il n’en éprouvait aucune honte.

Amaterasu fulminait toujours, mais de manière plus intérieure.

— Me menacerais-tu, Apollon ? minauda-t-elle.

— Bien sûr que non. Entre Chanceliers, ce genre de chose n’a pas lieu d’être.

Rhadamanthe ne cachait pas que la joute entre Amaterasu et Apollon ne l’amusait guère. Il avait l’impression qu’un gros matou jouait avec une petite souris.

Toutefois, la souris n’était pas seulement maligne. Elle était aussi diablement dangereuse.

Il décida d’intervenir avant que les choses tournent mal.

— Nous n’avons ni le temps ni d’intérêt à mettre un duel en place entre vous, Apollon.

Puis il s’adressa directement à la déesse :

Amaterasu, nous allons réfléchir à ta demande. Expose-nous tes arguments et, à leur lumière, nous déciderons.

— Parce qu’on a le temps pour cela, Rhadamanthe ? s’insurgea Anat.

Il lui répondit en réprimant une bouffée d’agacement :

— Nous le prendrons. Quelqu’un y voit-il une objection ?

Personne n’en vit, même si Anat et Enki cachèrent moins leur réticence que les autres.

D’un signe de tête, Rhadamanthe invita Amaterasu à s’exprimer.

— Ce que j'ai à dire tient en une seule phrase : j'accuse Baal, Chancelier et Dieu déchu et banni du Conseil et de la Source, d’être un voleur et un meurtrier, et je réclame un châtiment exemplaire envers lui, et envers tous ceux qui l’ont aidé à quitter Tartar.

Elle se tut, espérant avoir fait sa petite impression.

En plus de sa beauté saisissante, cette Dræganne respirait la toute-puissance. Elle le savait, et tels des charmes magiques, elle utilisait ses atouts au maximum de leur influence.

Mais ce n’était pas cela qui les avait impressionnés, ni son discours. Encore que…

En évoquant la planète Tartar, la plupart d’entre eux avaient frémi d’horreur.

Cette planète, à peine pourvue d’une atmosphère permettant la vie, était pourtant l’une des plus inhospitalières de la galaxie. Elle se situait à la limite des territoires connus en direction de l’Inkus, l’une des six directions géospatiales utilisées par les Drægans pour la navigation.

Ce système de repérage avait été créé plusieurs millions d’années auparavant par une civilisation dont il ne restait que peu de traces en dehors de quelques vestiges archéologiques sur des planètes isolées, ou des artéfacts abandonnés auprès de différentes espèces d'intells. La méthode d'orientation avait été conservée et transmises de génération en génération par les navigateurs spatiaux, parfois assimilée par les civilisations colonisatrices, comme celle des Drægans. Elle restait un bon moyen de se faire comprendre par tous en cas de naufrage ou de lecture de coordonnées.

Après un long moment de silence qui laissa à chacun le temps d’assimiler la requête d’Amaterasu et d’en peser, soit les bénéfices qu’ils pourraient en tirer, soit au contraire les dommages qui en découleraient, et en même temps d'éprouver sevrètement un certain respect envers celui qui était parvenu à quitter Tartar en vie, Rhadamanthe reprit la parole.

— Voilà qui n’est pas nouveau. Baal a toujours été un menteur et un manipulateur. C’est dans sa nature comme dans la nôtre. Quant à être un meurtrier… Il n’est pas un seul Drægan dans ce cas. Le contraire aurait fait de lui un être d’exception.

Il fixait Amaterasu d’un œil de faucon à l’affût de la moindre erreur de sa proie.

— Je m'étonne seulement que ton frère ne soit pas mort plus tôt, continua-t-il un rien provocateur. Son ambition et son manque de discernement, entre autres, l’ont souvent conduit à se heurter à des adversaires plus puissants que lui, ou plus avisés. Bacchus, Shamash et Ishkur, ici présents, pourraient en témoigner.

Ishkur redressa la tête, furieux.

Deux fois ! Il avait été pointé du doigt deux fois en quelques minutes.

De plus, il n’appréciait pas du tout de se voir donner en exemple contre son propre camp. Il savait que les trêves et les pactes y étaient fragiles, plus encore avec certains de ses congénères. Depuis qu’il avait établi une alliance avec Amaterasu, il jouissait d’une paix divine. Il souhaitait que cela demeure ainsi aussi longtemps que possible. Du moins le temps de se refaire une santé. Il avait quelques vues sur des territoires apparemment peu explorés et prometteurs. Il lui faudrait un moment avant de pouvoir s'y rendre en toute discrétion, et plus encore avant de se les approprier. Surtout si ces mondes étaient habités, et que les autochtones opposaient une résistance.

À plus court terme, il comptait obtenir un poste de Haut Chancelier. Bien sûr, il fallait que l'un des chancelier présents laisse sa place.

Aucun ne la laisserait de gré, et il ne comptait pas attendre un nouveau siècle pour cela. Au début, il avait compté sur Lara et Erra pour expédier Teutatès, Anat ou même la petite Circé au pays de leurs ancêtres, mais l'ancienne déesse asiatique semblait être un meilleur parti. Quel prestige ce serait pour lui de prendre la place de Rhadamanthe, d'Apollon ou mieux encore du Haut et Vénérable Chancelier Horus... Il avait donc bien trop à perdre s’il devait affronter Amaterasu comme ennemie.

Il ne pouvait donc se permettre de confirmer l'affirmation de Rhadamanthe aussi énergiquement que Bacchus et Shamash, mais rester en retrait pouvait le rendre suspect aux yeux des autres Drægans et, en particulier, à ceux de son alliée.

Il se contenta alors d’un hochement de tête. Juste ce qu'il fallait de dignité et de retenue feintes.

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