Chapitre 31.1
Mais comment avait-elle pu la trouver dans un vaisseau aussi vaste que celui-ci ? Sauf à avoir un espion à bord, ou à lui avoir collé une forme de GPS extraterrestre lorsque Baal et elle se trouvaient sur le vaisseau de Rhadamanthe. Y avait-elle seulement croisé Anat ou sa générale ? Elle aurait tout aussi bien pu se trouver en présence d’une simple labirée ayant pour ordre de lui poser un mouchard… Elle ne voyait pas comment. Elle ne portait plus rien de ces journées sur elle depuis des semaines. Si elle avait ingéré quelque chose d’étranger lors d’un repas, ses senseurs l’auraient prévenue.
Par précaution, Mead' lança un rapide scan de son hôte. Elle ne trouva rien. Esmelia en serait quitte pour une demie journée de picotements désagréables sur tout le corps. Mead’ pencha alors pour sa première hypothèse.
Baal allait être heureux d’apprendre qu’il avait encore un espion à bord. Sauf s’il le savait déjà, ce qui n’aurait rien d’étonnant de sa part.
— Vous êtes garés sur quel pont ?
— Je l’ignore. Ce vaisseau a donc plusieurs ponts ? Il n’y a pas un endroit sur ce vaisseau où il serait possible de manger. Je suis affamée.
L’art de l’esquive. Par ailleurs, difficile d'imaginer qu'un tel vaisseau n'ait pas plusieurs ponts.
Entrée de plain-pied dans le jeu de la Générale, Mead’ ne s’en formalisa pas.
— Le réfectoire se trouve au cœur du vaisseau. C’est un endroit où il y a pas mal de passages. Quelqu’un saura sûrement vous dire où est exactement stationné votre appareil.
La Générale hésita très furtivement lorsqu'elle porta sa main gauche à l’un de ses peignes et fit mine de le remettre en place. Ses yeux fixaient la coursive devant elle sans la voir.
Elle réfléchissait aux options qui se présentaient à elle, songea Mead’. Aucun doute, il s’agissait bien de peignes… Sûrement aussi acérés qu’une lame, et pointus qu’un poignard… Capables de trancher des cous, de transpercer une artère ou un cœur…
— On y va ? demanda-t-elle sans laisser paraître la moindre de ses pensées.
La Générale acquiesça et marcha à ses côtés, silencieuse.
— Vous avez toujours travaillé pour Anat ?
La question n’était pas innocente.
Elle sentit sa voisine se raidir. Elle était sur ses gardes. Ce qui confirmait, une fois encore, ce que pensait Mead’ qui lui décocha un sourire faussement bienveillant.
Cela ne rassura pas la Générale pour autant.
Mead' n'avait aucun besoin de fouiller dans son esprit pour savoir que cette femme était au service d’Anat depuis un moment, mais pas assez pour l’affirmer, sans y réfléchir. Ses gestes, ses hésitations parlaient pour elle, mais moins que son faux maquillage pourtant. Peut-être aurait-elle pu le faire croire à quelqu’un d’autre, mais l’ijà’kô lui posait un problème, visiblement. Mais lequel ?
Cette fois, Mead’ ne résista pas à entrer dans son esprit, juste une seconde ou deux pour ne pas se faire prendre par surprise, aussi bien dedans que dehors. Elle découvrit que la Générale se demandait si elle avait réellement les pouvoirs qu’on lui prêtait, et si oui, quels étaient vraiment leur étendue. Devait-elle la tuer et n'avoir jamais de réponse à cette question ? La tester au risque d'y perdre la vie, un membre ou même l'esprit ? L'assommer et l'enlever pour l'interroger et la torturer en toute sécurité ?
— J’en déduis que non, soupira Mead’
Elle aurait tout aussi bien pu dire le contraire. Sa voix lui parut lointaine.
La Garde divine pensait qu'elle répondait à sa propre question. Elle mit un point d'honneur à y apporter quelques précisions. Dans le même temps, elle décida aussi ce qu'elle devait faire.
— J’avais un autre maître, il n’y a pas si longtemps, avoua son interlocutrice.
— Il est mort ?
— Il le sera bientôt.
C’était beaucoup plus qu’une affirmation... Une certitude absolue.
Mead’ l’observait de biais tout en marchant à son côté gauche. Elle vit un sourire crispé se dessiner sur les lèvres de la garde d’Anat.
— Il m’a tuée. Du moins, il l’a cru. Il aurait dû vérifier. Il a commis une erreur.
— Une divergence d’opinion, ironisa Mead’ sur un ton léger, comme si cela n’avait pas d’importance.
Un peu trop léger sans doute.
— On peut dire cela. Je ne suis pas la seule qu’il ait trahie.
— Baal a un gros problème avec les femmes.
La Générale eut un rire sarcastique.
— C’est le moins que l’on puisse dire, lâcha-t-elle sèchement.
Mead' s’en rendait compte. L'ancien dieu accumulait les problèmes, en particulier avec les femmes.
— J’imagine qu’il y a un temps pour panser ses blessures, et un autre pour la vengeance, soupira-t-elle.
— Lorsque les blessures ne se referment pas, il n’est pas bon d’attendre trop longtemps…
Tout en parlant, la Générale de la Garde divine avait de nouveau porté les deux mains cette fois à ses peignes d’argent.
Avant même que ses doigts ne les effleurent, sa tête heurta la paroi la plus proche d'elle avec une telle violence qu’elle en fut estourbie. Une fissure marquée de sang s'imprima sur la matière ambrée de la cloison. La Générale luta pour rester debout, consciente. Ses genoux ployèrent néanmoins. Elle était à la hauteur de Mead’ qui, d’une torsion brutale, lui brisa la nuque.
La générale d’Anat mourut sur le champ.
Cette fois-ci, il n'y avait aucune chance qu'elle survive et revienne d'entre les morts, songea son assassin.
Mead’ resta un moment à regarder froidement la dépouille de sa victime. Elle ressemblait à une vulgaire poupée bionique complètement désarticulée. S'agenouillant près du corps pour l'observer de plus près, elle vérifia ce qu'elle subodorait depuis un moment en frottant légèrement à la base du cou avec son pouce : outre l'absence de pouls, une partie des tatouages de la Générale avaient tendance à s’effacer. Mead' sortit un mouchoir de sa poche, le passa ensuite sur l'une des joues de la morte et, sous le maquillage bistré, découvrit d’autres tatouages qui correspondaient à ceux qu’elle attendait.
Ce n’était pas un hasard si la tueuse d’Anat se trouvait dans cette coursive. Elle ne s’y était jamais perdue, car elle connaissait le vaisseau comme sa poche. Elle y avait vécu sûrement plus longtemps qu’elle n’était au service d’Anat.
Depuis son arrivée, elle avait sûrement tout fait pour éviter Grama, Baal et les anciens labirés avec lesquels elle avait servi sur ce vaisseau. Avait-elle seulement accompagné sa maîtresse jusqu’aux quartiers de Baal ? Probablement pas. Elle avait accompli le travail pour lequel elle était employée par Anat : se servir de ses acquis, apprendre le reste, observer l'ensemble, espionner tout le monde, et tuer sa cible ou ses cibles. Tiater aurait peut-être pu réussir si Mead' ne l'avait pas démasquée avant.
Pour trouver l’ijà’kô, à cette heure précise de la journée, elle s’était sûrement renseignée auprès d’une jeune labirée qui ne la connaissait pas, mais qui l’avait renseignée en pensant avoir affaire à quelqu'un de son peuple, à la sumérienne qu’elle était vraiment.
C’était comme cela que Tiater avait su où la trouver.
Mead’ passa ses doigts sous l’armure de cuir, à la hauteur du cou et se redressa pour traîner, sans effort apparent, le cadavre de son ennemie de coursive en coursive jusqu’à l’un de ces fameux transporteurs interdits d’utilisation. Celui-ci était l’un de ceux qui vous projetaient à l’extérieur du vaisseau plutôt qu’à un niveau supérieur ou inférieur. Elle y fourra la traîtresse Sumérienne et appuya sur le seul et unique bouton de commande visible. Aussitôt les portes se refermèrent hermétiquement, et dans la seconde qui suivit une alarme se déclencha dans tout le vaisseau indiquant qu’un passager s’était trouvé éjecté dans l’espace.
Tant pis pour la discrétion...
De toutes les façons, personne ne se donnerait la peine de récupérer le corps de la traîtresse. Pas même son ancien compagnon. Encore moins Anat ou ses Gardes.
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