Chapitre 32.3
Jusqu’ici, elle n’avait pas accordé une grande attention au Second du vaisseau.
Sur Terre, au cours de ce premier quart du XXe siècle, il lui aurait semblé un peu trop jeune pour occuper un poste comme le sien à bord d’un vaisseau spatial ou d'une base martienne. D’autant qu’il devait l’occuper déjà depuis plusieurs années. Il avait dû particulièrement se faire remarquer en faisant ses classes.
Grama était d’un caractère naturel discret. Contrairement à son physique assez différent de celui des autres Sumériens qui le faisait remarquer partout où il passait. Moins grand et moins trapu qu’eux, s'il était plutôt grand, il avait au minimum une tête de moins que les labirés. Ces derniers devaient allègrement atteindre les deux mètres vingt ou trente.
Athlétique, souple, et rapide, il était un assez bon combattant, d’après ce qu’elle avait pu en juger. Il s’entraînait régulièrement à la salle de sport et ne ménageait jamais sa peine. Moins encore depuis l’attaque. Il n’avait pas non plus la figure large et massive de la plupart des Sumériens. Ni leur peau dorée, ni leurs iris marrons. Au contraire, son visage était plutôt long avec une mâchoire bien découpée et des yeux bleus tendant vers le vert. Il était encore le seul, en dehors de Baal, Will et elle, à ne pas avoir le crâne rasé. Au lieu de cela, il arborait une chevelure courte châtain foncé.
Son rôle n’était pas seulement d’être le Second du vaisseau. Il devait aussi protéger et assurer le confort de son maître et de tous les membres de l’équipage. Il devait veiller à la cohésion parfaite entre les officiers. Il se devait d’être le premier d’entre eux dans tous les domaines, ce qui signifiait qu'il connaissait le travail de chacun, et les responsabilités qui allaient avec. Son engagement l’obligeait aussi à devancer les désirs et les ordres de Baal. Apparemment, il s’en acquittait plutôt bien.
Depuis l’attaque, il avait fait l’effort de se conduire différemment avec elle. En retour, elle s’était promis d’essayer d’en savoir un peu plus à son sujet pour mieux le comprendre, mais elle n'en avait pas encore eu l'occasion.
Au cours de la nuit qui avait suivi le départ de Baal et de Will, elle avait été réveillée par de brutales secousses. Ce qui était parfaitement anormal pour un vaisseau supposé être immobile. À moins que le navigateur ait commis l’erreur de le stationner sur la trajectoire d’un météore.
Elle pensa immédiatement à une nouvelle attaque. Il ne pouvait y avoir que deux autres raisons à ces chocs : soit il y avait eu une énorme explosion à l’intérieur du vaisseau, soit il était pris pour cible par un ou plusieurs autres vaisseaux.
Elle s’était habillée en vitesse. Par sécurité, elle avait enfilé sa combinaison protectrice - son armure, comme elle la surnommait - par-dessus ses vêtements et elle avait filé vers la passerelle de commandement.
Deux autres secousses...
Dans les coursives, elle avait croisé des Labirés qui couraient dans tous les sens. Il n’y avait aucune panique chez eux. Ils savaient ce qu’ils avaient à faire. Ils étaient tous armés, et nombre d’entre eux portaient leur sac de survie accroché au dos de leur combinaison spatiale, et la plupart transportaient des caisses de matériel et des vivres. C'était là le signe que la situation n'était pas prise à la légère.
Esmelia espérait que ce n'était pas une évacuation, et qu'il n'y en aurait d'ailleurs pas. Elle ne savait ni dans quel système ils se trouvaient dans la Voie lactée, ni sur quelle planète ils pourraient bien se réfugier. Mais son instinct lui soufflait tout le contraire. Et après ?
Non ! décida-t-elle. Il leur fallait tenir coûte que coûte. Au moins jusqu’au retour de Baal.
Elle atteignit la passerelle de commandement avec ses trois consoles de navigation. C’était la seconde fois qu’elle y faisait irruption.
Cette fois, les navigateurs ne se rendirent pas compte de son arrivée. Ils étaient trop occupés à traiter par écran interposé avec une femme à la peau couleur d’ambre sombre, aux yeux cristallins, et à la chevelure bleu marine, tirée en arrière.
"Traiter" était un bien grand mot...
Ce qui surprenait le plus chez elle, c’était son nez et sa bouche qui ressortaient de son visage comme un museau, ainsi que ses oreilles larges et tombantes, comme ceux des chèvres d'autrefois, lorsqu'elles existaient encore pour de vrai sur la Terre. Idée renforcée par les deux énormes cornes marrons qui prenaient naissance au niveau des tempes et plongeaient vers l’arrière de sa tête.
Elle était vêtue d’une sorte d’uniforme bleu marine et or, et portait une multitude de colifichets autour du cou. Sans oublier les nombreux anneaux ornaient ses appendices auditifs et les autres piercings visibles. Lorsque le plus jeune des deux navigateurs se retourna vers elle, Esmelia lut le désespoir dans son regard.
L’assaillante était en pleine discussion avec le navigateur en chef, et manifestement en désaccord, il ne parvenait pas à lui couper la parole.
Elle affirmait, entre autres choses, que Baal et Will étaient à bord, tandis qu’il lui soutenait tout le contraire. En vain.
En conséquence, il ne pouvait accéder aux demandes de la femme qui étaient que Will soit libéré, que Baal soit arrêté et qu’il lui soit livré dans l’heure.
En cas de refus, elle se disait prête à détruire le vaisseau, et tous ses passagers. Esmelia trouvait cela curieux de la part d’une personne qui prétendait vouloir sauver l’un de ses anciens collègues. Apparemment, sa haine contre Baal était plus forte que son amitié pour Will. Si toutefois, elle était capable de se lier d’amitié avec quelqu’un.
— Où est Grama ? demanda discrètement la jeune femme au jeune navigateur.
Celui-ci eut soudain l’air encore plus désespéré. Elle craignit le pire.
— Il était sur le Pont, à l’arrière du vaisseau lorsque nous avons essuyé la première attaque.
Devant le regard interrogateur d’Esmelia, il précisa :
— Près du quai de débarquement d’urgence… ou d’embarquement…
Celui par lequel nous sommes arrivés, Will et moi, dans ce vaisseau, la première fois, juste avant de quitter Feloniacoupia, se souvint Esmelia.
— D’accord, dit-elle. Et ?
— C’est aussi là que trouve l’un des deux propulseurs principaux. Le premier tir de l’ennemi était destiné à nous paralyser.
Et elle y est parvenue.
— Savez-vous si Grama est en vie ? le pressa-t-elle.
— Il l’est. Mais il est bloqué sur le pont… Et il y a des blessés…
— Est-il blessé lui aussi ? s’enquit-elle aussitôt.
— Il ne nous l’a pas dit.
— Au moins, il était en état de communiquer…
Et de réfléchir, malgré la panique et l'effroi qui devaient régner là-bas, pour garder cette information.
— Mais il est bloqué dans cette zone, insista le Sumérien.
— La situation n’est pas brillante, conclut-elle. Qu’il soit présent ou non, cela n'y changerait rien.
— Nous avons envoyé une équipe les secourir.
— Excellente initiative, les félicita-t-elle.
Puis, autant pour elle-même que pour les navigateurs :
— Maintenant, voyons ce que nous pouvons faire ici.
Les systèmes de sécurité du vaisseau n’avaient pas repéré les appareils ennemis avant la première attaque. L’ennemi avait visiblement bien préparé son coup.
Depuis combien de temps avaient-ils été suivis ? se demanda-t-elle. Combien de temps l’assaillante avait-elle attendu ?
Une certitude : ce ne pouvait pas être avant le départ de Will et de Baal.
Elle était arrivée sur le pont peu après que l’attaquante soit entrée en communication avec le vaisseau. Les deux navigateurs avaient été les premiers à communiquer avec elle.
Dans un premier temps, ils n’avaient pas vu l’utilité d’entrer dans une discussion qui, de toutes les façons, n’allait que dans un sens, celui de l’assaillante. Pour les convaincre de répondre à ses appels, Celle-ci avait effectué trois nouveaux tirs d’avertissement contre les boucliers du vaisseau qui s’étaient levés juste après la première décharge.
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