Chapitre 41.1

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Carnaham avait semblé la croire. Au moins, s’était-il fendu d’un remerciement à leur égard pour lui avoir sauvé la vie. Après un court moment de réflexion, il jugea qu’il pouvait répondre aux questions de Will concernant leurs collègues qui avaient quitté l’AMSEVE. Il ne cacha pas cette impression qu'une éternité était passée depuis qu’ils s’étaient séparés. Cela datait de l’accident qui avait coûté la vie à sept personnes, même s’ils n’avaient retrouvé que trois corps, dont celui de Will. Il l’avait vu de ses propres yeux, alors le voir à nouveau devant lui et bien vivant… Il ne parvenait pas à comprendre.

Esmelia comprit que son mensonge n'avait pas pris, mais au moins cela attisait la curiosité de Carnaham. Il voudrait comprendre, et le meilleur moyen pour cela serait d'être leur allié, au moins pour un temps.

À plusieurs reprises, Carnaham ne manqua pas de demander à Will comment il pouvait être en vie.

— Une seconde chance, avait simplement répondu Will.

Il était sincère.

L'explosion était due aux circonstances politiques et scientifiques de l'époque. Lorsque les scientifiques américains et chinois, chacun de leur côté, avaient voulu créer leur propre bouche et, sans le savoir, dans l'unique but d'être les premiers à le faire, ils les avaient mises en fonction au même moment, celles-ci avaient explosé simultanément, ne laissant qu’un gros trou à leur place. Ce n’est que plus tard que l’on avait découvert que des déchirures s’étaient formées dans la toile du temps… Peut-être dans le voile des dimensions… À moins que ce ne soit dans la trame des mondes.

Au début, aucun scientifique n’avait compris, ni imaginé que cela soit possible. Ils s’étaient tous perdus en conjoncture lors de l’apparition soudaine des premiers îlots, ou à la disparition de bouts de côtes. Au bout du compte, voir une petite île, pleine de plantes préhistoriques et habitée par quelques dinosaures, apparaître au large de l'Australie, cela posait encore plus d'interrogation. Ni la végétation, ni les animaux n'avaient survécu longtemps dans leur nouvelle atmosphère.

— Les Chinois…, commença Carnaham.

— Les Chinois ?

— Ils vous ont rapatrié après l’explosion du désert du Taklmakan. J’étais là…

— Je ne m’en souviens pas.

— Ils vous ont reprogrammé… avant de vous libérer… et… et… ils vous ont cloné…

Will eut un rire bref :

— Je vous assure que non. Je suis bien moi, Will Mac Asgaill.

Esmelia ne fut guère étonnée que Carnaham soit parvenu à cette conclusion. Elle se souvint de ce que Kolya disait sur les Chinois et les Russes. Cela faisait des décennies qu’ils faisaient des recherches sur la psyché humaine. Ils étaient parfaitement capables de créer des agents dormants qui s’ignoraient comme tels.

Discrètement, elle sonda l’esprit de Carnaham. Elle ne trouva rien en dehors du fait qu’il était intellectuellement plus limité que Will, et qu’il en était conscient. De même, il savait que cela n’avait pas toujours été le cas. Lorsqu’il travaillait pour l’AMSEVE, il était dans son élément. Il le contrôlait parfaitement. Il savait exactement quand et comment réagir en fonction des situations. Il anticipait chaque aspect possible de ses missions. Son travail actuel lui donnait plutôt l’impression d’un puissant anesthésiant l’emprisonnant dans une zone de confort dont il cherchait à se sortir par tous les moyens. Il attendait avec impatience que l’AMSEVE et l’ATIDC fasse appel à lui, au moins une fois de temps à autre.

C’était l’ATIDC qui l’avait lancé sur la piste des momies. Grace à ce souvenir, elle eut la confirmation qu’il s’agissait bien de cadavres extraterrestres, et plus effectivement de Yam-nas, comme l’avait suggéré Will.

Avec le peu d’informations qu’il possédait, Carnaham avait réussi à mettre la main sur les dépouilles, sur le site même de leur découverte. Mais quelqu’un ne tenait pas à ce qu’il en sache plus et le lui avait fait savoir, à plusieurs reprises, en piratant ses réseaux de communication, et en le menaçant de mort. Elle n’aurait su dire s’il était courageux ou inconscient d’avoir insisté, et risqué sa vie. Il était décidé à retrouver ceux qui avaient tenté de l’assassiner dès qu’il sortirait de l’hôpital. Elle devinait que Carnaham ne lâcherait pas sa proie. Pas plus qu'il ne lâchait Will.

— Il vous ont cloné, et vous ne le savez pas...

— Je vous assure que non.

— J'ai vu votre cadavre.

Will ne sut que répondre à cela.

Elle décida d'intervenir :

— Si on vous disait ce qu'il en est vraiment, vous ne nous croiriez pas.

— Allez-y toujours.

Le regard qu'elle lui jeta indiquait qu'elle n'en avait pas l'intention. Pas tant qu'il ne lui aurait pas donné ce qu'elle attendait de lui.

Carnaham avait-il déjà une idée des commanditaires de l’explosion et de la tentative de meurtre sur sa personne ? Il avait accepté le marché trop facilement et leur avait donné des informations qui n’avaient d’importance que pour Will, mais il avait gardé pour lui des informations dont il userait plus tard.

À un moment, il avait joué au joli cœur avec elle. Elle restait persuadée que, dans ce domaine, il était aussi fiable qu’un vendeur d’encyclopédies.

En interrogeant Carnaham, elle avait évité d’orienter ses questions sur la présence d’éventuels extraterrestres logés aux frais du contribuable américain, sur l’existence d’un vaisseau extraterrestre, ou même sur celle des bouches. Après tout, ici, les chercheurs de l’AMSEVE, comme ceux de l’ATIDC ne faisaient aucunement part de leurs recherches à ce sujet. En ce qui concernait les premiers, elle savait que leurs recherches les avaient conduits à des impasses. L’ATIDC, quant à elle, n’avait jamais rien laissé filtrer et protégeait jalousement ses secrets.

Tous ignoraient qu’un portail, donnant accès à différentes planètes, se trouvait à l'intérieur d'une curieuse maison située dans une petite ville de l’Alaska, et qu'il existait tellement d’autres portes à travers la galaxie. Ils ignoraient tout autant que deux Terriens en avaient franchi une dizaine et se portaient plutôt bien. Du moins en ce qui concernait Will. Ils ne savaient pas non plus qu’il existait une autre bouche sur la Terre, enfermée elle aussi dans une caisse. Les scientifiques de l’armée américaine ne l’avaient pas répertoriée comme telle, car ils l’avaient perdue parmi d’autres objets dont ils n’avaient pas trouvé le mode de fonctionnement, ou l’avaient tout simplement oubliée. Une partie d’elle ignorait comment elle avait eu accès à ces informations depuis la fusion.

Si l’armée états-unienne avait trouvé une troisième bouche, elle devait se trouver sous bonne garde, soit dans une base de l’Arctique, soit dans un hangar de la Zone 51. S’il leur venait un jour l’idée de l’étudier, en comprendraient-ils le fonctionnement par eux-mêmes, ou chercheraient-ils un extraterrestre pour les y aider ? Si jamais Baal était arrivé par cette porte, en plein cœur de leur base secrète, il avait dû se faire drôlement accueillir.

Ce n’était pas l’envie qui manquait à Esmelia de demander à Carnaham si, lorsqu’il avait été débriefé dans la zone 51, peu après son départ de l’AMSEVE, il n’avait pas aperçu un humain de type moyen-oriental, prétendant avoir plus de deux mille ans, tout en ayant conservé une forme physique plus que respectable, parlant avec une voix de ténor, faisant acte d’une forte disposition à la mégalomanie, à l’autosatisfaction, et, fait notable, pouvant s’être présenté comme étant un dieu.

Elle en doutait.

Baal était supposé arriver après eux. Sauf que son voyage était bien plus long. Mais les lois de la physique n’allaient pas dans le sens habituel. Il se pouvait donc qu’il soit sorti du portail un an avant eux ou peut-être même cinq, dix ou cent ans avant eux.

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