Chapitre 36.2
Elle jeta un œil en direction de Will qui continuait à explorer les lieux.
Il fut le premier à remarquer l’escalier derrière un mur. Il l'en avertit aussitôt. Esmelia cessa alors son étude de la porte pour le rejoindre.
L’escalier menait à un étage supérieur. Qu’allaient-ils trouver plus haut ? Elle sentit l’appréhension de Will. Instinctivement, elle lui prit la main. C’était la première fois qu’elle se le permettait depuis qu’ils avaient quitté le vaisseau en perdition.
Elle savait que, plus d’une fois, Will avait essayé de lui parler de l’évolution de leur relation, mais elle avait toujours pris soin d’éviter cette conversation. Il avait eu quelques gestes tendres envers elle auxquels elle avait choisi de ne pas répondre. Will n’avait jamais insisté.
Plus tard, elle lui avait expliqué qu’elle ne se sentait pas suffisamment en sécurité pour se laisser aller et relâcher sa vigilance. Il y avait du vrai dans cette déclaration, mais comment lui expliquer que, paradoxalement, l'absence de Mead’ lui prenait une partie de son énergie et de son attention ? Bien plus que lorsqu'elle était présente.
Depuis l’attaque d’Anat, Mead’ ne s’était toujours pas manifestée, et Esmelia en était à la fois heureuse et inquiète.
Inquiète parce que celle-ci pouvait revenir à tout moment. Quoi que Mead' soit en train de mettre en œuvre, Esmelia se préparait à la repousser, à la renvoyer aux tréfonds d’elle-même, à l’annihiler s’il le fallait. Elle préférait cela à une vie sous son joug, ou plutôt une non-vie. Pour la première fois, elle savait exactement ce qu’elle voulait : être elle-même. Entièrement elle-même.
En haut de l’escalier, ils trouvèrent une grande pièce qui devait être un hall d’accueil, et des pièces en enfilade, encombrées de meubles antiques, rares et précieux, tous recouverts d’un drap.
Au moins, à cet étage, il y avait des fenêtres.
Elles n'étaient pas très grandes, et d'épais rideaux moirés verts les occultaient toutes. Elle en entrouvrit un et regarda ce qu’il y avait à l’extérieur, tandis que Will continuait à explorer ce qui devait être une très grande maison, un manoir peut-être.
Elle aperçut, au-delà des cimes, une vaste étendue d’eau, et au-delà, ce qui pouvait ressembler à une forêt de conifères. Au premier plan, il y avait des bâtiments colorés, ou des habitations et un ponton… Cela ne ressemblait absolument pas à l'environnement naturel d’une petite ville de la région parisienne.
Elle se demanda sur quelle planète, apparemment de type terrestre, ils avaient pu atterrir, et quels pouvaient en être ses habitants, sa faune, sa flore… Les constructions lui étaient pourtant familières. Elle s’était à peine posée la question que la réponse lui parvint les secondes suivantes, lorsqu’elle se retrouva soudain au bord du ponton de bois, prête à effectuer un plongeon involontaire dans une eau qui ne devait rien avoir de tropicale.
L’air vif et froid lui cingla le visage. Elle recula vivement pour ne pas tomber, le cœur palpitant de frayeur, de panique. Du moins, elle l’imaginait comme tel.
Elle se retourna et revit les maisons colorées. De plus près, elles étaient semblables à celles que l'on pouvait en trouver dans certaines régions sur la Terre. Les habitations contrastaient avec la forêt de conifères qui s’étendait à perte de vue sur la montagne au-delà de la ville. La lumière était grise et triste comme en hiver.
Des enfants, parfaitement humains, portant des cartables à la main ou accrochés dans le dos passèrent en courant et criant à côté d’elle. Ils grimpèrent dans un bateau amarré au bout du ponton. Elle remarqua que l’un d’entre eux avait un masque d’extraterrestre cornu très réaliste pour celui, ou celle, qui en avait déjà rencontrés. Il s’amusait à effrayer ses petits camarades.
Comment était-elle arrivée ici ? Elle n’avait qu’y penser… Seulement y penser
À quelques mètres d’elle, sur la rive qui bordait l’étendue d’eau, probablement la mer, elle aperçut des personnes qui discutaient, chaudement vêtues, à la terrasse d’un bar, le Ketchikan Creek’Bar.
Le temps, les couleurs, l’environnement, un nom à consonance indienne… Le Canada ou bien l'État indépendant d’Alaska… C’était sûrement là qu’ils étaient arrivés. Et tous les cas, dans un endroit qui y ressemblait beaucoup.
Will était écossais, mais comme il avait beaucoup voyagé, tout comme elle, il pourrait le lui confirmer. Sinon, elle n’aurait qu’à se renseigner directement auprès des autochtones, au risque de se faire repérer par son ignorance.
Elle vit des passants, humains, dans la rue. Personne ne semblait l’avoir remarquée.
Elle décida de se rendre au bar. Elle devait avoir dix dollars dans la poche de sa veste. Elle le chercha. Cela faisait bien trop longtemps qu’elle avait envie de dépenser ce billet chiffonné qui, sous peu, finirait en miettes.
Tous ces gens qu’elle pouvait apercevoir semblaient sereins. Ils se sentaient en sécurité. Ce monde était tranquille.
Leurs vêtements, décontractés et chauds, étaient bien terrestres et confirmèrent son hypothèse. Enfin à la maison…
Elle avait pensé à Will. Il fallait qu’il voie cela. Mais comment retourner à la maison-musée ? Était-elle située dans la ville, ou dans ses alentours ?
Une seule pensée des lieux qu’elle venait de quitter et elle s’y retrouva aussitôt, à côté de Will.
Il fit un bond en arrière et tomba sur le derrière.
Elle sentit soudain son estomac protester, mais comme elle n’avait rien mangé depuis vingt-quatre heures, elle n’avait rien à rendre. Et elle avait vraiment envie d’autre chose que de la poudre et de l’eau.
Il lui fallut aussi un moment pour se remettre de cette curieuse, et innattendue, expérience de téléportation. Elle avait l’impression d’avoir les poumons et la gorge en feu…
Toutefois, elle n’en dit rien à Will qui s’était relevé et ne cachait ni sa surprise, ni son inquiétude.
— Waouh… lâcha-t-il d’une voix faible. Ça, c’est nouveau pour moi.
— Pour moi aussi, je te rassure, lui répondit-elle encore ébahie par ce qui venait de lui arriver.
Il lui avait suffi de penser à un endroit pour s’y retrouver.
Bon sang, Mead’ avait trouvé une autre façon de se rappeler à elle. De lui faire savoir qu’elle était elle.
Ce n’était pas un voyage agréable et cela pouvait sûrement poser quelques problèmes selon l’endroit d’où elle partait et, ultérieurement, celui où elle arrivait. Elle devrait apprendre à maîtriser ce phénomène pour ne pas disparaître au cœur d’une foule et se retrouver au milieu de nulle part, ou l’inverse.
Pour cela, il fallait qu’elle comprenne comment cela fonctionnait, et malgré les protestations de Will, elle recommença en pensant à un endroit sur le ponton d’où personne ne pourrait la voir apparaître comme par magie. La sensation de nausée se transforma rapidement en profonde faim accompagnée de vertiges. Il lui fallait sans doute une sacrée dose d'énergie pour parvenir à se déplacer ainsi.
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