Chapitre 39.3

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— Nous devrions peut-être nous séparer, signala Grama. Cela fait un moment que nous sommes ici, et il y a des clients qui nous observe un peu trop, il me semble.

— Et le patron doit se demander quand nous allons enfin le payer, soupira Will.

— Ça, c’est pour moi, fit Grama en se levant. Je vous expliquerai comment vous débrouiller avec l’argent, ce soir. J’ai quelques affaires à prendre dans la maison de Baal.

— Sa maison ? ricana Will. C’est plutôt un musée.

Grama ne sembla pas l’entendre. Il se dirigeait déjà vers le comptoir pour payer leurs repas et leurs boissons, puis il quitta le bar sans se retourner.

Will et Esmelia en firent de même quelques instants plus tard. Ils visitèrent un peu la ville. À la tombée de la nuit, ils retournèrent à la maison-musée. Elle laissa Will et Grama régler les détails de leur vie le temps de leur séjour sur la Terre.

Elle se sentait de moins en moins bien : nauséeuse, étourdie, comme si son centre de gravité s’était soudainement modifié. Sa peau la démangeait, sa vue se troublait, parfois. Et surtout, il y avait ces maux de tête violents.

Will et elle restèrent les cinq jours suivants dans la maison. Avec Will, elle participa vaguement à la fouille de caisses qui semblaient n'avoir jamais été ouvertes, au cas où il y aurait des indices sur la présence sur Terre de l’ancien dieu, sur les lieux où il pourrait se trouver. Les accessoires qu’elles contenaient semblaient avoir été oubliés depuis la Crise de 1929. C’était la date la plus récente qu’ils avaient pu découvrir sur les étiquettes des caisses, et les feuilles de journaux qui emballaient des objets d’époque.

Ils y avaient aussi découvert des artefacts de diverses origines, et pas mal d’instruments dont l’utilisation ne semblait ni évidente, ni pratique pour des êtres humains normalement constitués. Preuve que tout ne provenait pas de la Terre, et qu’il valait mieux que cela ne tombe pas entre de mauvaises mains. Elle comprenait maintenant l’absence de fenêtres dans la partie musée de la maison. Quiconque y aurait vu de la lumière aurait pu être attisé par la curiosité ou prévenir les autorités. Mais il en fallait sûrement beaucoup plus pour arrêter des cambrioleurs déterminés. Chose que Baal avait sans doute prévu.

Tous deux avaient porté leur intérêt sur des choses faciles et rapides à comprendre et, surtout, utiles pour leur mission. Pour Will, cela incluait des objets scientifiques. Pour elle, des armes. Il y avait des armes qu'elle était certaine de n'avoir jamais touchées. Pourtant, elle savait exactement ce qu’il fallait faire avec chacune d’entre elles comme si elles lui étaient familières.

Ça, plus ce nouveau pouvoir de téléportation, ainsi que la fusion entre les deux Mead’ et les deux Esmelia, cela faisait beaucoup. cela devenait compliqué à assimiler en peu de temps finalement. Il ne faisait aucun doute que son mal-être permanent était lié à la nouvelle psyché de Mead’. Il fallait qu’elle parvienne à s’ajuster aux transformations physiques et psychologiques qu’elle avait subies. Parce que c’était une question de survie, et pas seulement la sienne. Parce que les siens, ceux de son peuple, avaient évolué, eux aussi.

À sa demande, Will l’avait auscultée, mais n’avait rien découvert d’alarmant. Toutefois, lorsqu’il avait voulu la scanner avec son pad, elle avait refusé. Il avait insisté pour la forme, mais elle n’était pas revenue sur sa décision.

Elle avait peur de ce qu’il pourrait découvrir. Craignait-elle aussi que les sentiments de son ami à son égard changent ? Après tous, les siens avaient bien changé. Non, une partie seulement. Ceux qui ne lui appartenaient pas.

Malgré cela, elle était maintenant redevenue une seule entité et son porteur. En dehors de la mort, rien ne pourrait les délier, à la manière de certains Drægans… Ces derniers étaient rares et uniques en leur genre, promis à un destin exceptionnel. Et aux pires tourments.

À l’instar de Baal...

Au bout du cinquième jour, elle se sentit nettement mieux. Tous les maux physiques lui semblèrent avoir disparu.

Ils décidèrent de quitter leur refuge, et Ketchikan. De plus, leurs vivres étaient épuisés. Ils en achèteraient quelques-unes avant de partir. Grama leur avait communiqué deux numéros de comptes bancaires extrêmement bien fournis. Mais Will et Esmelia savaient que certaines personnes, dans ce monde, n’avaient aucune confiance dans les monnaies virtuelles, et préféraient recevoir un paiement bien réellement palpable.

Dans les caisses, ils avaient découvert de nombreux bijoux sans importance historique. Plutôt que de les vendre tels quels, ils en avaient ôté les pierres précieuses. Elle en avait porté trois chez un prêteur sur gages à Yorktown, prétextant quelques ennuis financiers et un besoin d’argent immédiat. Elle n’obtint pas l’équivalent de la valeur réelle des gemmes. Malgré le regard soupçonneux qu’il porta sur elle, l’usurier ne lui posa aucune question. Elle avait à peine quitté la boutique qu’il était retourné à son antique jeu vidéo sur un écran tout aussi antique.

Elle était parvenue à se téléporter avec Will jusqu’à cette ville juste en regardant quelques photos et en désirant s’y trouver. Il ne lui avait fallu que deux tentatives pour réussir sa téléportation.

L’étape suivante fut Toronto. Ils y louèrent une chambre double avec un écran mural dans un hôtel qui n’était rien d’autre qu’une construction en containers et qui consistait à loger un maximum de personnes dans un minimum de place. Ils mangèrent dans des restaurants de rues et se branchèrent à tous les réseaux d’actualité locales et nationales disponibles sans abonnement permanents, car ils ne leur demandaient qu’une identité bancaire, pas de nom, de numéro d’appel ou d’adresse, et surtout pas de localisation. Esmelia supposait néanmoins que si les autorités s’en donnaient la peine, elles n’auraient aucune difficulté à retrouver leur adresse exacte. Comme ces réseaux étaient beaucoup plus fréquentés que ceux à abonnement permanent, elles mettraient juste un peu plus de temps.

C’est pour cette raison qu’ils changèrent régulièrement d’hôtel. Ils ne restaient guère plus d’une semaine au même endroit. Lorsqu’ils ne visitaient pas une ville à des centaines de kilomètres de Toronto, ils passaient leur temps à compulser des informations dans leur chambre d’hôtel.

Les voyages d’une ville à l’autre, puis d’un continent à un autre, elle avait commencé à les effectuer pour tester les limites de son pouvoir. Il s’était avéré qu’en termes de distance, elle n’en avait aucune. Le plus souvent, Will l’accompagnait autant pour se rendre compte des distances qu’elle était capable de parcourir que pour passer du temps avec elle. Il réagissait comme si celui-ci lui était compté. Elle aurait souhaité le rassurer, mais elle s'en était sentie incapable.

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