Chapitre 40.1
À l’intérieur du véhicule, dans une sacoche posée en évidence sur le siège avant du passager, ils avaient découvert des liasses de billets récents. L’argent liquide avait toujours cours dans ce présent. Mais il devait être très rare d'en posséder autant. Carnaham en avait un sac rempli à ras bord.
Will ne parvenait pas à concevoir que celui qui fut son ami, ou une autre version de celui-ci, ait pu voler cet argent ou trafiquer quoi que ce soit. Pour lui, celui qui avait mis le sac sur le siège espérait bien qu’il soit trouvé et serve à discréditer Carnaham.
Elle était d'accord avec lui. Pour elle, cela confortait sa première idée. Quelqu’un voulait faire disparaître les momies tout en faisant porter le chapeau à Carnaham. Toutefois, savoir qui était l’auteur de ce complot n’avait pas d’importance. Lorsque celui-ci s’apercevrait que cette affaire ne prendrait pas la direction qu'il souhaitait, il se dévoilerait peut-être de lui-même. À moins que Carnaham ne soit vraiment pas celui que Will pensait...
Dans la boite à gants du véhicule, outre deux paquets de cartes à jouer, ils trouvèrent du café en sachets, quelques barres de céréales vitaminées et trois boites de nourriture en poudre non ouvertes. Tout à l'arrière, il y avait une valise contenant des vêtements de rechange et un nécessaire de toilette, ainsi qu'un sac de couverture thermiques. Il n’y avait rien de bien affolant. Bradley Carnaham semblait avoir fait de son vieux 4 X 4 sa résidence principale depuis un bon moment.
Will ne cacha pas sa surprise. Son ami n’avait jamais connu de problème de domicile. Il ne jouait jamais. Pas plus qu’il ne buvait. Il était de ceux qui considéraient leur corps comme un temple et, par conséquent, il était plutôt adepte de la nourriture saine, et du sport qu'il pratiquait dès que l'occasion se présentait.
Dès qu’il l’eut découvert, inconscient, Will lui avait porté les premiers secours. En dehors des coupures, Carnaham ne semblait avoir aucune blessure visible, mais il souffrait d’hypothermie, et il avait plusieurs hématomes, dont un au ventre qui préoccupait Will qui jugea que son état était suffisamment grave pour nécessiter une hospitalisation.
Ils se trouvaient à une quinzaine de kilomètres de Prudhoe Bay où il devait certainement y avoir un hôpital. Mais le déposer là-bas pouvait s’avérer encore plus dangereux pour Carnaham. Surtout si les poseurs de bombes étaient des locaux, ou tout simplement encore présents dans la région.
Elle y avait réfléchi. Elle avait parcouru de très longues distances avec Will. C’était lui qui avait suggéré qu’ils se montrent plus prudents quant à l’utilisation de la téléportation. Pour se protéger du CENKT, pour sa santé à elle et parce qu’elle ne contrôlait pas assez bien ce pouvoir.
Elle n’avait aucune envie de se téléporter avec un inconnu, mais si elle ne le tentait pas dans les plus brefs délais, Carnaham risquait de mourir.
Will se démenait avec les moyens du bord pour le réanimer et parer au plus pressé. Il ne pouvait rien faire de plus. Pourtant, il ne concevait pas de le laisser mourir.
Elle non plus. Elle avait pris la main de Carnaham et visualisé un couloir d’hôpital désert.
Cela avait fonctionné.
Personne n’avait entendu le léger « snap » qui avait ébranlé l’ambiance sonore hospitalière, ni remarqué les volutes noires qui émanaient d’eux et révélaient leur récent voyage.
C’était comme si Carnaham et elle étaient arrivés dans les lieux le plus normalement du monde. Pour autant qu’elle ait pu en juger, ils étaient tous les deux entiers.
Quand la chance vous sourit…
Vaguement conscient, le blessé luttait pour rester debout et marcher, mais l’opération était chaotique.
En traversant un hall, elle remarqua que la végétation, même décharnée par le froid hivernal, à l’extérieur, n’était pas celle de l’arctique. Elle soutint Carnaham jusqu’à un ascenseur qui menait au rez-de-chaussée où elle trouverait forcément une salle d’attente, et du personnel pour l'aider.
Il faisait de son mieux pour ne pas alourdir la charge qu’il représentait. Il avait au moins conscience qu’elle essayait de lui sauver la vie. Malgré toute son attention, ils manquèrent de tomber plus d’une fois. Ils ne croisèrent personne en sortant de l’ascenseur, mais le bruit ambiant les surprit.
Elle comprit pourquoi lorsqu’ils débouchèrent sur le couloir suivant. Il était bondé de monde : des médecins, des infirmiers, des malades, des blessés, des visiteurs, des représentants médicaux, des ambulanciers, et des policiers qu’elle prit soin d’éviter. Il y une sorte de chaos, résultant visiblement d'une manifestation qui avait tourné en émeute, que le personnel médical tentait d'organiser tant bien que mal.
La température ambiante n’était plus la même. L’air lui était plus humide. Aucune des personnes présentes n’avait l’air de vivre au Pôle Nord, ou dans ses limites. Carnaham et elle faisaient figure de marginaux avec leur parka et leurs boots de neige. Pourtant, elle ne pouvait pas dire que certains des individus présents passaient inaperçus avec leurs vêtement déchirés, ou leurs restes de déguisements extraterrestres.
Tant bien que mal, elle parvint à conduire Carnaham jusqu’à une salle d’attente. Elle l’étendit sur une rangée de fauteuils encore libres. La pièce était pourtant bondée. Il y avait toutes sortes de personnes. Beaucoup semblaient ne pas avoir les moyens de se payer des soins médicaux. Peut-être se trouvaient-ils dans un dispensaire plutôt qu’un hôpital…
Elle ne voulait pas rester plus longtemps que nécessaire. Will était resté sur place pour sortir leurs véhicules de la neige. Elle devait le retrouver et repartir aussi vite que possible du site. En même temps, elle ne pouvait pas abandonner l'Américain.
Carnaham lui réclama de l’eau qu’elle alla lui chercher au réservoir automatique, dans le couloir envahi de matériel et de personnes, personnels et patients mélangés. Elle se demanda ce qu’ils avaient mis dans l’eau pour la rendre aussi limpide. En remarquant l’inscription sur les gobelets, « Bellevue Hospital Center, État de New-York », elle comprit qu’elle était allée plus loin que prévu, et très loin de l’Alaska…
Elle cligna des yeux, étonnée malgré elle. Elle avait traversé tout le Canada, d’Ouest en Est. Lorsqu’elle avait pensé à un hôpital sans le connaître en particulier, elle avait fait appel à sa mémoire et donc à quelque chose de déjà-vu. Effectivement, elle était déjà venue dans cet hôpital, avec Kolya, après une chute lors d’un entraînement... Dans l'autre ligne temporelle. Son inconscient l’avait donc conduite jusqu’ici.
Elle allait ramener le gobelet d’eau fraîche à Carnaham, lorsqu’elle remarqua que deux infirmiers s’occupaient de lui. L’un d’entre eux, une femme, partit en courant. Elle passa devant elle sans la remarquer et héla un médecin qui tentait de prendre sa pause-café. Ils repartirent précipitamment, tous les deux, en direction de la salle d’attente. Ils avaient compris l’urgence de l’état de Carnaham.
En un instant, ce fut le branle-bas de combat. Tout le personnel médical de l’hôpital semblait s’être donné rendez-vous dans la salle d’attente. Elle reposa le gobelet, sur une petite table, près de la fontaine. Inutile de s’attarder. Si quelqu’un reconnaissait, en elle, la femme qui venait de déposer Carnaham, elle devrait expliquer qui elle était, et ce qui était arrivé ce dernier.
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