Chapitre 35.4

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Il fallait espérer que ce serait le cas. Jusqu’ici, ils avaient survécu à différentes attaques, mais combien de temps cela durerait-il ? À chaque station de leur voyage, le danger pouvait être présent, même si Will lui avait assuré que, selon l’ancien souverain céleste, les planètes par lesquelles passait leur "route" étaient calmes et assez peu habitées.

Baal ne leur avait pas menti sur ces points. Le plus difficile avait, parfois, été de repérer les portails et d’en trouver les serrures permettant de les activer. Ils ne perdaient jamais de temps. Aussitôt arrivés, ils se préparaient pour le saut suivant. Moins ils laissaient passer de temps entre deux franchissements, plus il serait difficile aux chasseurs, qui en auraient trouvé le moyen, de les suivre. Will n’imaginait pas un instant que ce soit possible. D’autant que personne ne semblait avoir utilisé les passages avant eux, depuis des années, souvent des siècles.

Ils passèrent par des mondes énigmatiques comme cette ville bleue aux larges avenues et aux immeubles rectilignes et massifs éclairés par un soleil rose orangé. Elle était complètement déserte. Pas seulement de ses habitants, mais aussi de ses animaux et de ses plantes. Il n’y avait pas un seul souffle de vent, et l’air était tiède. Cette ville, qui était la seule qu’ils purent visiter de tout leur voyage, était si propre dans sa lumière nimbée de rose qu’elle paraissait être une œuvre d’art posée sur la planète. Will et elle avaient parcouru ses rues en lignes droites durant toute une journée avant de trouver le portail. Ce fut la seule fois où ils eurent à chercher ce dernier plus d’une heure.

Dans un autre monde où le paysage offrait à la vue des montagnes gigantesques où l’herbe n’était pas plus haute qu’un doigt, ils découvrirent le portail, à peine sortis du précédent. Mais ils mirent deux jours à l’atteindre. Une fois encore, cet environnement leur parut désert, même si certains sons nocturnes tendaient à prouver le contraire. La bouche se trouvait non loin d'un curieux rocher qui donnait l'impression que quelqu'un y avait planté une épée quelques siècles plus tôt, et que celle-ci attendait d'être retirée. Will était à deux doigt de se laisser tenter, mais Esmelia lui rappela qu'ils avaient encore quelques portes à franchir pour être vraiment en sécurité.

La moitié du temps, la bouche par laquelle ils arrivaient était aussi leur point de départ vers la station suivante. Ils le découvraient lorsqu'en sortant du passage, la carte restait blanche. Baal leur avait expliqué que si elle ne changeait pas de couleur, cela signifiait qu’il n’y avait pas d’autres portiques à chercher.

Les passage étaient rapides, presque instantanés. Entre deux portes, ils n'avaient aucune une conscience. Mais, si les instruments de mesure de Will étaient exacts, il pouvaient y passer quelques heures ou quelques semaines. Pourtant physiquement, cela n'avait aucun effet sur eux. Par exemple, leurs cheveux ou leurs ongles n'étaient pas plus longs à l'arrivée qu'au départ.

Leur entrée sur une nouvelle planète n'était pas toujours des plus agréables. Comme la fois où ils s’étaient retrouvés sous l’eau, à quelques mètres de profondeur. Heureusement qu'ils prenaient soin, avant chaque départ de porter leur combinaison spatiale, casque et respirateurs compris, et d'en vérifier régulièrement l'étenchéité. Elle avait détesté se retrouver sous l’eau en franchissant la porte.

En fait, elle avait peur de l’eau. Mais, pour rien au monde, elle n’aurait laissé le contrôle à Mead’. Elle avait donc pris sur elle et nagé jusqu’à la surface. Elle avait alors constaté deux choses : la première était que la planète était immergée à perte de vue. Elle semblait être tout entière noyée par cette eau d’un vert fluorescent. La seconde était qu’elle avait toujours une peur bleue des lieux inondés où elle n’avait pas pied, et le vert fluo ne la rassurait nullement sur la qualité de l’eau où sur ce qui pouvait y vivre.

Après que Will ait essayé une première fois de réactiver la porte, en vain, ils avaient dû remonter à la surface et attendre une demi-heure, en luttant contre la dérive qui menaçait de les éloigner de leur point d’arrivée-départ, et à l’affût du moindre danger sur cette planète éclairée par deux faibles soleils dans un ciel pâle, avant de replonger pour enfin parvenir à ouvrir le portail.

Ils parvinrent à l'étape suivante fatigués, courbaturés et humides, mais curieusement, pas dans un déluge d'eau verte. Comme si le portail avait filtré le liquide, ou l'avait tout simplement empêché d'entrer lors de son ouverture et du passage des deux Terriens.

Will et elle entrevirent des mondes fantastiques qu’ils n’eurent pas le temps, malgré leur désir de visiter, comme cette forêt de champignons géants et lumineux. Tant de couleurs éclaboussèrent leurs rétines qu’ils commençaient à être aveugles lorsque le passage s’ouvrit de nouveau.

Le monde suivant leur sembla nettement plus reposant, car il ne semblait y avoir qu’un seul type de couleur, en camaïeu, qui allait du blanc au noir. Si l’on pouvait parler de couleur. Ils attendirent une vingtaine de minutes la réactivation de la porte. Durant ce temps, comme attirés par leur présence, des créatures ressemblant à des chats sans poils, dotés d’une énorme tête et d’un tout petit corps, se rassemblèrent autour d’eux et du portique. Leur nombre, ajouté à leur curieuse physionomie, les rendaient bien inquiétants. Cette impression fut renforcée chez les deux Terriens lorsqu’ils se rendirent compte que malgré leur large faciès, les bestioles n’avaient pas d’yeux visibles. Cette absence semblait compensée par de petites antennes translucides. Un autre détail renforça leur angoisse grandissante : leurs canines hyper développées.

Le monde suivant ne les rassura pas plus. Ils étaient trouvés dans une grotte obscure dont ils ignoraient ce qui s’y cachait, en dehors du portail. Cependant, les grognements et les sifflements qu’ils y avaient entendus ne leur avaient pas donné l’envie de le savoir. Malgré la peur qui leur tenaillait le ventre et leur donnait des sueurs froides dans le dos, avec la lumière de la tablette de Will, ils avaient fait aussi vite que possible, pour trouver le lecteur de carte tenant lieu de serrure. Par chance, la bouche s’était immédiatement activée. Ils n’avaient pas demandé leur reste, d’autant que l’air y devenait de plus en plus chaud, au point de les cuire à point s’ils étaient restés plus longtemps.

Au bout d’un moment, ils ne firent plus attention aux mondes qu’ils traversaient. Ils n’avaient qu’une hâte : le quitter. Même le plus beau des mondes pouvait receler un ou plusieurs dangers pour des touristes terriens comme eux.

En quelques jours, du moins ce qui leur sembla n'être que quelques jours, ils avaient franchi presque toutes les portes. Si la théorie de Will était exacte, aucun chasseurs de primes ne devait être sur leurs traces. Avec un peu de chance, ils n’étaient pas non plus sur celles de Baal. À la demande du dieu phénicien, et à partir des données fournies par celui-ci, Will lui avait concocté un joyeux melting-doors, plus long, plus complexe, et sûrement plus dangereux que le leur. Baal savait qu’il avait toutes les chances d’être plus poursuivis qu’eux par les chasseurs de primes. Sa tête valait une fortune. Son prix avait peut-être même doublé, si c'était encore possible, quelques heures avant l’attaque perpétrée par Jor Pʘnyl.

Le connaissant, elle devinait qu’il n’avait aucune intention de leur rendre la tâche facile, surtout si l’un d’entre eux avait la faculté d’utiliser les passages aussi facilement que lui. Normalement, si tout se passait conformément à son plan initial, il arriverait sur la Terre quelques semaines après eux tout au plus. Il avait fixé à Will un lieu de ralliement dans une demeure terrienne qui avait été la sienne par le passé et qui, il le supposait, devait l'être encore. Elle pourrait leur servir d’abri à leur arrivée. Il ne leur en avait pas dit plus sur cette demeure.

Après avoir pénétré l’esprit de Grama, elle s’était fait une idée du genre de demeure qu’il pouvait posséder. Elle s’était même imaginée que ce serait en banlieue parisienne que s’achèverait leur périple ou, pourquoi pas, dans un château anglais. Aussi, après plusieurs jours de voyage, ils s’étonnèrent à peine de débarquer dans un lieu qui avait tout d’un musée d’antiquités semblant tout droit venir du pillage de vaisseaux anglais et français sillonnant les mers au cours des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles. Esmelia imaginait assez bien l’Éternel en pirate des mers. Par contre, la pièce dans laquelle ils arrivèrent ne ressemblait en rien à l'une de celles dont Grama gardait le souvenir.

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