Prologue 01.4

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Elle le sentit sourire, intérieurement, derrière dans son dos. Un frisson glacé parcourut son échine et atteignit son système nerveux. Elle détestait être prise en faute.

Était-il si satisfait du tour qu’il venait de lui jouer, à elle, la voleuse de pensées ?

Elle n’en revenait toujours pas qu’il l’ait surprise à fouiller son esprit et qu’en retour, il ait lancé une attaque psychique précisément mesurée contre elle.

Elle sentait combien il pouvait être rusé, pernicieux. Enfant ou non, humaine ou pas, il n’hésiterait pas à la punir si elle passait outre son avertissement.

Elle ne le craignait pas. Quoi qu’il puisse tenter contre elle, il ne lui ferait pas grand mal parce qu’elle se montrerait plus forte. S’il représentait le moindre danger pour elle, elle pouvait le détruire d’une simple pensée. C’était comme un mécanisme d’autodéfense. Du moins l’avait-elle supposé.

Mais cela ne devait pas arriver.

Autrement, elle le perdrait à tout jamais. Ses efforts, pour amorcer le sauvetage de toutes les espèces pouvant vivre sur la planète, resteraient vains.

Elle se demanda si le pouvoir de pénétrer à l’intérieur des âmes était présent dès la naissance chez ceux de son espèce.

S’il ne l’avait pas déjà rencontrée, elle, il avait peut-être rencontré quelqu’un comme elle…

S’était-il entraîné en vue de résister à l'attaque psychique de l'un des siens ?

Elle comprenait son exigence d’intimité. Elle le lui accordait volontiers. Cependant, elle ne pouvait s’empêcher de s’interroger à son sujet.

Existait-il un secret qu’il cachait si profondément qu’elle ne pouvait le percevoir ? Avait-il connaissance d’une information qu’elle ignorait ? Espérait-il quelque chose d’autre d’elle ?

Elle n’avait pas besoin de retourner dans son esprit pour comprendre ce qui l’avait retenu de ne pas la tuer…

Une aversion issue d’un passé lointain qui restait présent en lui.

Il haïssait la mort.

Pas pour lui.

Il portait en lui le chagrin d’innombrables pertes, des visages et des voix dont il ne pouvait plus se souvenir. Seuls restaient les noms, de vagues images d’époques révolues… et des morts par centaines de ses propres mains… des planètes détruites.

Elle frissonna.

Le souvenir d’un dieu planéticide lui revint en mémoire.

Était-ce lui ?

Allait-elle devoir aider une créature déjà responsable de l’extinction de plusieurs mondes ? L’avait-il vraiment fait ? Comment cela pouvait-il être possible ?

Les apparences comme les interprétations pouvaient s’avérer trompeuses, et peu importait ce passé incertain contre un avenir qui, lui, était bien fatal quels que soient les chemins qui y conduisaient à quelques exceptions, cependant.

Elle se fit violence pour se souvenir qu’il aurait un rôle à jouer et, bientôt, il aurait besoin d’elle.

Il s’était réfugié chez les Darwin à cause de ses blessures. Il espérait comprendre ce qui s’attaquait à son corps, ce qu’il était devenu ou ce qu’il allait devenir. Cela l’effrayait et il refusait cette issue de toutes ses forces. Il voulait que le vieux chercheur trouve le moyen d’enrayer la propagation de ce mal.

Mais pas seulement.

Il convoitait aussi un artefact découvert en Assyrie par Henri, le père de la véritable Anna-Louise. Celui-ci l’avait confié au naturaliste.

Relégué au grenier, parmi des boites scellées et des instruments chirurgicaux, l’objet avait été oublié par son gardien. Se faire oublier était d’ailleurs une de ses particularités, de même que se rappeler à la mémoire de certains individus au moment où il en ressentait le besoin.

Le Drægan en avait parlé dans certains de ses récits. C’était ainsi qu’il l’avait décrit, plus que physiquement.

Il le désignait comme le cœur de L’Occulteur de Mondes.

Un jour proche, il lui demanderait d’aller le prendre et de le lui remettre.

Elle le ferait.

Cela ne s’apparenterait pas vraiment à un vol parce que l’objet lui appartenait. Il avait participé à sa création.

L’Occulteur lui-même le savait déjà.

Semblable à une bulle de savon disparaissant après avoir longuement voyagé, la pensée s’évapora sans qu’elle sache d’où elle provenait. En éclatant, elle dispersa ses particules irisées dans l’air.

L’espace d’un instant, elle crut y voir un visage… Celui de sa mère… Non, la mère d’Anna-Louise rectifia-t-elle immédiatement.

C’était à cause de cet objet que son époux et elle s’étaient lancés dans cette campagne de fouilles qui leur avait coûté la vie.

Constance, sa mère

Quel rapport existait-il entre Constance et Adad ?

Plus d’une fois, elle avait vu le regard d’Adad s’attarder sur le portrait posé sur le piano, dans le salon. Il ne cessait de questionner Emma et Charles à son sujet.

Elle avait alors osé sa première incursion à la périphérie de l’esprit du Drægan. Elle s’était contenté d’effleurer ses souvenirs et avait eu la surprise de constater que l’image de Constance était comme un fragment refoulé, reposant dans la mémoire du blessé.

Un souvenir qui ne demandait qu’à ressurgir.

Des yeux bruns en amandes, de longs cheveux, blond roux, nattés, un sourire éclatant dans un visage clair rempli de taches de rousseur. La femme qu’elle-même serait un jour, sans doute.

L’avait-il connue avant l’accident ?

Sa rencontre avec Constance aurait dû être imprimée dans les souvenirs de la fillette. Elle aurait dû la retrouver, la lire. Elle se serait adaptée à la situation.

Ce n’était pas le cas.

Les souvenirs intimes de celle qui, autrefois, fut humaine autant d’âme que de corps, ressemblaient parfois à un rêve inaccessible ou à une réminiscence lointaine…

Même pour un Tisseur comme elle. Il lui aurait fallu une clé qu’elle ne possédait pas… Était-ce si important ?

Dans les souvenirs du Drægan, elle avait aussi distingué les ombres de deux hommes. Elle avait ressenti le respect que leur portait Adad Melqart. L’un d’entre eux pouvait être son père… Un autre dieu

Ces êtres occupaient une place spéciale dans sa mémoire…

Une autre bulle sortie du néant s’épanouit dans sa conscience hybride…

Mead’ avait tissé son propre destin et pensé à tout, jusqu’à l’impensable. Bientôt, avec les siens, d’autres Tisseurs, elle pourrait connaître le repos éternel et l’oubli total pour disparaître à son tour.

Non, ce n’était pas exact.

Ses semblables n’avaient nullement trouvé la paix…

Au contraire.

Elle en ressentit de l’amertume et une profonde déception. Jamais elle ne disparaîtrait pour se fondre dans l’obscurité ou la luminescence du néant.

C’était à cause de cet avenir qu’elle se trouvait ici, qu’elle devait survivre et veiller aussi longtemps que cela lui serait possible.

Et protéger…

Elle se sentit soudain si fatiguée. Elle voulait tellement s’endormir.

Elle devrait résister à cette envie des jours, des semaines, des moi, peut-être, jusqu’à ce que son hôte, Anna-Louise soit prête à assurer le rôle d’une jeune femme de son époque tout en continuant à semer les graines d’un futur possible.

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