Chapitre 01.4
Rose ne ménagea pas sa peine alors qu’elle avait déjà fort à faire avec le bébé, Adam junior.
Malgré les efforts de ses parents, l’esprit d’Olive resta vierge.
Pour expliquer à leur famille et à leurs amis ce qui était arrivé à leur fille, les Larson évoquèrent les ravages d’une méningite. Ensemble, ils s’en tinrent à cette seule et unique explication.
Adam en avait une autre qu’il avait gardée pour lui seul.
Ce secret, il ne l’évoquait qu’en présence d’Olive en espérant que cela ravive quelque chose en elle. Il devinait inconsciemment qu’elle ne serait rien de plus qu’une enveloppe vide. Il se disait aussi qu’à force de stimulation, il pourrait réveiller la créature qui l’habitait et qu’elle lui rapporterait quelque chose d’Anna-Louise, à défaut de la personnalité d’Olive.
Il eut beau l’encourager, la solliciter et, parfois même, la bousculer hors du cocon dans lequel Rose et lui la maintenaient constamment, rien n’y fit. Olive resta une coquille vide durant toute son adolescence.
Rose ne comprenait pas cette obsession, mais face à sa propre impuissance comme à celle des médecins, elle se taisait. La seule protection qu’elle pouvait apporter à son époux, à sa belle-fille comme à son fils, c’était son amour inconditionnel.
Malgré tous les soins dont elle fut l’objet, Olive resta une page blanche tandis que son corps, lui, continuait à évoluer vers l’âge adulte.
Au cours de sa seizième année, la famille s’installa dans une vaste propriété dans le nord de l’Irlande.
Junior eut du mal à accepter ce changement. La campagne l'effrayait. Il passait ses journées enfermé dans la maison familiale avec pour seule visite celle d’un précepteur qui lui faisait l’école.
De santé fragile, il tombait souvent malade. Ce n’était jamais conséquent. Le médecin conseilla aux parents de sortir plus souvent leurs enfants au grand air. Ce qu’ils firent régulièrement.
En six mois, les deux enfants prirent des couleurs qu’ils n’avaient encore jamais eues.
Junior gagna en confiance et en force. Il finit même par trouver quelques attraits à sa nouvelle vie. En particulier, pour les morceaux de ferrailles qu’il ramenait issus de vieux robots rouillés. Il en faisait de curieux assemblages.
Constatant le bénéfice de ces sorties, ils demandèrent à Junior d’emmener Olive en promenade au moins une heure par jour. Comme l’avait souligné le médecin, l’air de la campagne ne pouvait que continuer à leur faire du bien à l’un comme à l’autre.
Pour Adam junior, cette promenade journalière qui aurait dû être une corvée était adoucie par la présence d’Olive. Même silencieuse, elle lui semblait rassurante.
Un jour, pourtant, en plein après-midi, il revint auprès de ses parents, seul et en pleurs. Il leur expliqua que trois garçons l’avaient frappé et laissé à terre assommé, et avant de forcer Olive à les suivre. Malgré son état à peine conscient, il avait ensuite pu les voir disparaître en direction des bois.
Adam Larson prévint aussitôt la police.
Une tempête survint cet après-midi-là et balaya violemment la campagne.
Dans la nuit qui suivit, une battue fut organisée à travers les forêts environnantes.
La jeune fille fut retrouvée à l’aube, dans les ruines d’un château détruit par les ans et les guerres d’autrefois. Ses vêtements étaient souillés de terre et de sang. Trempée jusqu’aux os, elle semblait tout droit sortie de la Tamise.
Elle était choquée, traumatisée par la violence de ce qui lui était arrivé.
Les policiers ne purent obtenir la moindre information sur ce qu’elle avait subi ou sur ses agresseurs. Son mutisme et son absence de réactions les inquiétèrent et ils en devinrent plus que désireux de résoudre ce crime.
Le viol d’une jeune fille dans une région aussi calme les avait fortement secoués. Pas seulement parce qu’elle était issue de l’une des familles les plus riches et les plus influentes du Royaume-Unis.
Surtout, ils craignaient que ce premier crime en annonce d’autres. Ils avaient tous dans leur entourage une fille ou une sœur de l’âge d’Olive.
La description des trois garçons donnée par Adam Jr correspondit bien à quelques jeunes gens de la région. La plupart, cependant, purent répondre de leurs agissements au moment des faits, et des témoins dont la moralité ne pouvait être mise en doute le confirmèrent. D’ailleurs, le petit garçon ne reconnut en eux aucun des agresseurs de sa sœur.
Il y en avait cependant au moins deux, des journaliers étrangers à la région, qui avaient été signalés par des cultivateurs et qui n’avaient jamais été retrouvés. Ils furent supposés être les agresseurs d’Olive et être en fuite. Mais sans véritable identité, ou descriptions correctes, ils furent impossibles à retrouver.
Toute sa vie, Junior se sentit responsable de ce qui était arrivé à Olive, et le sentiment d’impuissance qui en était né l’avait rongé, fragilisé, de plus en plus chaque jour.
Olive était restée dans un état catatonique depuis ce jour. Elle n’était rien de plus qu’une poupée de chiffon, silencieuse, que l’on déposait à un endroit, et qui n’en bougeait plus jusqu’à ce qu’on la reprenne.
La seule chose qu’il pouvait lui arriver de faire, si on lui mettait un crayon dans la main et une feuille devant elle, c’était dessiner.
Elle ne représentait toujours et encore qu’une seule chose d’une manière très détaillée et avec un réalisme que ni Adam, ni Rose n’avait imaginé chez elle : un monstre mi animal, mi humain. Le haut de son corps était celui d’un humanoïde. Sa peau était parcourue de tatouages ou de cicatrices étranges, et la partie inférieure était celle d’un caprin, avec de longs poils. Sa tête tenait autant de l’humain que de la bête, un museau, un regard qui semblait intelligent, et de longues oreilles comme celle d’un cerf.
Un faune peut-être…
Ou une créature qui s’en rapprochait, ou encore un démon.
Il était difficile de poser son regard Longtemps sur cette créature. Pas seulement parce que sous les coups de crayon d’Olive, elle paraissait réelle.
Il se dégageait de cette chimère quelque chose de monstrueux, de profondément diabolique.
Une volonté de faire le mal absolu.
Pourquoi dessinait-elle cet unique motif ? Où avait-elle pu le voir ? Était-ce son interprétation de ce qui l’avait agressée ?
Adam montra les dessins à quelques aliénistes de sa connaissance. Aucun ne put répondre aux questions qu’il se posait avec une certitude absolue.
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