Chapitre 08.2

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Elle songeait rarement à son avenir et à ce qu'elle ferait si elle rencontrait quelqu'un qui vaudrait vraiment la peine qu'elle change de vie.

Elle savait que toutes les femmes de sa famille mourraient en donnant naissance à leur premier enfant. C’était une malédiction. Ou plus sûrement une maladie héréditaire qu’aucun médecin n’avait su expliquer. Même la génétique, pourtant très compétente dans ce domaine, n’avait pas toutes les réponses. Son gynécologue lui avait conseillé de ne pas enfanter de manière naturelle si elle voulait vivre. La science offrait aujourd’hui de multiples moyens comme la GCM, Gestation en Cellule Maternelle si elle ne souhaitait pas lui donner un père, ou en GMM, en Matrice Maternelle s'il y avait un géniteur reconnu, la GPA, Gestation Pour Autrui, car la PMA, Procréation Médicalement Assistée, était hors option dans son cas, et même le Port Par le Père, la fameuse TRI.P récemment autorisée.

Ils avaient dû dire la même chose à sa mère et à sa grand-mère, mais elles avaient choisi de donner la vie. Sans doute par amour, et parce que l’espoir qu’elles puissent survivre à leur accouchement restait présent. Le ferait-elle, elle aussi ?

En cet instant, elle n’avait pas d’opinion arrêtée sur la question. Elle savait seulement qu’elle ne voulait pas mourir.

Pas seulement parce qu’elle se sentait investie d’une mission, comme son père, puis Kolya, le lui avaient toujours affirmé. Elle souhaitait vivre, ressentir enfin quelque chose de très fort, avoir une vie. Une vie normale, oui, mais pas un endormissement continu. Elle voulait être libre et heureuse, soulagée de ce fardeau constant qu'il lui semblait être obligée de porter. Pourtant, elle ne pouvait abandonner cette vie qu’elle menait depuis trop longtemps. Pas tant qu’elle n’aurait pas trouvé ce qu’elle cherchait…

Une fois qu’elle aurait mené sa mission à son terme, pourrait-elle seulement avoir une vie normale ? Il y avait son pouvoir… Et cette force qui grandissait en elle.

Étaient-ils liés ?

Si cette chose la quittait ou se rendormait perdrait-elle son pouvoir ? Continuerait-elle à lire les émotions des êtres qu’elle rencontrait ? Saurait-elle vivre sans cette faculté ?

Cette aptitude lui venait de sa mère et des ancêtres de celle-ci.

Était-ce un don ? Une mutation ? Ou bien un don venu d’ailleurs ?

Peut-être un microbe extraterrestre…

Cette chose qu’elle ressentait, en elle, était-elle la manifestation de cet organisme étranger ?

Elle ne l’avait jamais ressentie avec autant de puissance sur la Terre. C’était comme si le passage dans le CET avait provoqué son réveil. À moins qu’il ne l’ait transformée, ou tout cela à la fois.

Si ce sentiment d'oppression, qui la conduisait parfois jusqu'à un état nauséeux, voire de perte de conscience, persistait, à son retour sur Terre, elle devrait se faire examiner par son médecin. Kolya lui en avait trouvé un suffisamment discret qui l'avait toujours soignée sans poser de question sur la cause de ses différentes blessures. Il savait seulement qu'elle était très sportive et pas toujours prudente dans le choix de ses destinations de voyages. Ce n’était pas lui qui lui avait fourni le membre de synthèse. Elle ne voulait pas prendre le risque qu’on remonte jusqu’à elle, et surtout que des enquêteurs d'une agence comme le CENKT découvrent qu’elle était différente. Elle se considérait pourtant comme parfaitement humaine… Morphologiquement et physiologiquement, nul ne pouvait prouver le contraire. Mais elle devinait que quelque chose était anormal chez elle.

Elle savait ce qui pouvait arriver à ceux qui se révélaient trop différents sur la Terre. Peut-être la prendrait-on pour une déviante. Au mieux pour une folle, mais au pire pour une créature venue d’un autre monde. Même elle, il lui arrivait de douter et de penser qu’elle n’était pas totalement humaine. Dans tous les cas, elle serait enfermée soit pour folie, soit pour étudier le monstre qu’elle était ou pouvait être susceptible de devenir

Une fois seulement dans sa vie, elle avait rencontré un être qui n’était pas né sur la Terre, un extraterrestre. Il avait une physionomie parfaitement humaine, des réactions… et des sentiments semblables à ceux des Terriens. Il avait appris à vivre comme les Humains, et à se fondre parmi eux mieux qu’elle ne l’aurait fait avec l'entraînement dispensé par Kolya.

Elle se souvenait qu'il avait fait d’énormes efforts pour paraître normal face à elle. Pour n'importe qui d'autre, il aurait semblé n’être rien de plus, rien de moins qu’un Être humain ordinaire. Elle n'avait cherché à détruire cette façade. Il avait des amis, une vie sociale, et un métier. Journaliste dans une petite rédaction, qui ne rivalisait en rien avec toutes celles qui pouvaient exister dans la capitale. Il cherchait à tout prix à se fondre dans la population locale, sans pour autant chercher à ne pas se faire remarquer.

Non... Ce n’était pas ses souvenirs à elle… Pourtant, ils lui semblaient aussi clairs que si elle les avait personnellement vécus. Ils devaient remonter à une cinquantaine d’années, peut-être un peu plus… À cause des costumes de la technologie qu’il lui avait semblé remarquer. Ou bien n’étaient-ils que les fruits de l’un de ces rêves récurrents qui vous paraissent si réels ?

Cet individu lui ressemblait-il plus qu'elle ne l'imaginait ? Il y avait aussi cet homme à l'AMSEVE, ce Ciaran Wayllerand. Pas un extraterrestre pour autant qu'elle ait pu en juger, mais il lui avait laissé une étrange impression, ni bonne, ni mauvaise.

Il existait d’autres formes de vie très diverses, dans d’autres mondes. L’univers était vaste. Plus que ne l’imaginait le commun des mortels. Toutes les créatures intelligentes qui peuplaient les nombreuses galaxies ne pouvaient pas avoir une apparence humaine ou posséder un mode de pensée semblable ou même proche de celui de l’Être Humain. C’était plus qu’improbable. Et ce qu'elle avait sous les yeux le confirmait.

Pourtant, il y avait des choses qui ne changeaient pas. L’Histoire des peuples, quels qu’ils soient, même sans contact les uns avec les autres suivaient des schémas assez proches. En tous les cas, ils adoptaient souvent les mêmes travers...

Quelques cris plus forts que d’autres achevèrent de la ramenèrent au présent.

Contrairement à ce qu’elle avait pensé, les enchères avaient continué à monter et avaient attiré de nouveaux acheteurs.

Soudain, au premier rang de la foule d'acheteurs et de curieux, elle remarqua un Humain, pas seulement un Humanoïde. Un véritable Humain. C’était le premier qu’elle voyait depuis sa fuite du camp.

Il devait avoir une quarantaine d’années environ. Il avait des cheveux courts, châtain foncé, un visage doux avec une barbe de plusieurs jours. Ses yeux étaient d’un bleu limpide, si lumineux qu’il aurait pu éclairer un square en pleine nuit. Ce fut surtout de la tristesse qu’elle y remarqua.

Elle ressentit chez lui de la peur. Son seuil d'anxiété était même parmi les plus hauts qu'elle ait ressentis à ce jour. Il ne cessait de regarder autour de lui comme si une menace se cachait dans chaque ombre de ce monde.

Décidément, cette planète ne semblait pas rendre les gens qui y vivaient très heureux.

Sa présence en ces lieux était totalement déplacée. Elle savait exactement pourquoi : l’homme était un Terrien. Il portait encore son uniforme de l’AMSEVE. L’idée lui vint que cet humain l’avait peut-être récupéré sur une dépouille…

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