Chapitre 11.3
— Si tel est le cas pourquoi avoir choisi celle des Humains. Ce n’est pas franchement la meilleure. En plus, elle n’a pas l’air d’être l’espèce la plus répandue dans cet univers, ni la plus appréciée. Vous en voyez beaucoup parmi cette foule ? À mon avis, il y a sûrement une bonne raison à cela. Peut-être que nous ne sommes rien de plus que de la viande sur pattes pour la plupart des extraterrestres.
Will MacAsgaill haussa les épaules.
— Je n’en sais rien, mais j'en doute. Les autochtones avec lesquels j’ai pu discuter considèrent les Drægans comme des Dieux. Peut-être parce qu’ils ont une apparence humaine. Pour eux, la Terre est un mythe. Les Hommes le sont aussi. Sûrement.
— Ils ne m’ont pas donné l’impression de me traiter comme une déesse. Et vous, cela fait un moment que vous êtes ici, avez-vous dit… Ils ont bâti un temple en votre honneur ?
— Non, bien sûr. Je ne crois pas que j’aurais apprécié. Surtout quand on sait ce que deviennent les idoles quand ceux qui les vénèrent découvrent qu’elles sont fausses.
Il avait dit cela avec spontanéité, sans même y réfléchir.
Esmelia devinait qu’il n’était clairement pas homme à chercher le pouvoir ou la domination.
— J’ai trouvé de nombreux textes parlant d’eux, poursuivit-il. Je suis parvenu à en traduire quelques-uns. Il y est dit que les Drægans ont dominé des galaxies entières… Qu’ils se sont battus entre eux… et que ces guerres intestines les ont conduits à leur quasi-extinction.
— Une espèce quasiment éteinte, mais encore crainte et poursuivant son autodestruction. On a la chance d’en avoir quatre sous les yeux, c’est incroyable.
Son compagnon ne sentit pas l’ironie dans sa voix.
— Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est une chance, soupira-t-il résigné. Ce serait même le contraire.
— Vous vouliez les étudier ? C’est l’occasion, non ?
— Pas de si près. Je ne me suis pas enfui de l’AMSEVE pour mourir sans avoir été jusqu’au bout de mes recherches.
— Vos recherches ?
Plongé dans ses pensées, il sembla ne pas l'entendre.
Elle ne lui laissa pas le temps de s’apitoyer sur son sort.
— Dites, à propos de recherches, si mes souvenirs en mythologie sont corrects, il y avait un dieu phénicien qui s’appelait Baal, est-ce que cela pourrait avoir un rapport avec lui ? demanda-t-elle en tendant le menton en direction du Drægan.
— C’est possible. Mon amie, lorsqu’elle était sur la Terre, n'a pas été très surprise de constater que nos dieux antiques portent des noms drægans. Il peut y avoir plusieurs explications à cela. Toutes peuvent paraître plus folles les unes que les autres.
— J’imagine surtout que ce n’est pas le genre de théories qu’on vous apprend à l’école ou au lycée. Encore moins à l’université.
De nouveau, il sembla ne pas entendre sa remarque.
— Peut-être que nos dieux antiques ont eu la possibilité d’accéder à d’autres systèmes solaires, notamment celui où se trouve la planète natale des Drægans, qu’ils y ont régné plusieurs centaines d’années, et qu’il est de tradition dræganne de donner le nom d’un Dieu aux nouveaux nés, avança-t-elle.
Il réfléchit un instant :
— Ou alors, à un moment ou à un autre, les Drægans ont vécu sur la Terre… Peut-être l’avaient-ils conquise. Leurs technologies avancées, leurs pouvoirs les ont probablement faits passer pour des dieux aux yeux des Humains de l’antiquité.
— Des dieux ? Cela pourrait se tenir. Ils sont plutôt beaux et dégagent une puissance certaine. Si, en plus, leur longévité surpasse de loin celle des Humains…
William acquiesça.
— J'avoue que j’aimerais bien les étudier : savoir s’ils nous ressemblent vraiment au-delà de leur apparence, si nous leur sommes apparentés, s’ils naissent humains, s’ils le deviennent grâce à leurs pouvoirs, ou à une manipulation génétique, ou si c’est seulement une sorte d’illusion qui nous les ferait voir tels que nous le souhaitons. Peut-être que leur enveloppe est un véhicule créé pour abriter un parasite intelligent vivant en parfaite symbiose avec son hôte, ou une entité intangible.
— C’est une hypothèse très courante… en science-fiction, fit-elle remarquer. Comment un hôte pourrait-il vivre en étant spectateur dans son propre corps ?
— Je suppose qu’il… que son âme finit par s’éteindre au bout d’un certain temps… À moins qu’il n’en ait pas, qu'elle soit endormie ou assimilée, ou encore qu’elle soit dissociable du corps. Cela remettrait en cause tous nos fondamentaux. Cela poserait des questions sur notre nature, ce qui fait de nous des êtres uniques et individuels les uns par rapport aux autres.
— Vous n’aviez jamais rencontré de Drægans avant celui-ci, n’est-ce pas ? le coupa-t-elle.
— Non, admit-il.
— Mais vous les cherchiez…
— Tout ce que j’ai pu apprendre à leur sujet m’intriguait, admit-il enfin.
— Je comprends mieux votre enthousiasme.
— Jor… mon amie en a rencontré quelques-uns. Le plus ancien se nommait Isteme-Rê. Il aurait vécu plus de dix mille ans… Il aurait pu vivre encore quelques millénaires de plus s’il n’avait pas été atomisé avec son vaisseau. Devinez par qui ?
— Atomisé ? Il faut vraiment qu’ils soient résistants pour en arriver à cette extrémité. D’un autre côté, cet Isteme-Rê n’a pas laissé de trace sur notre planète.
— Je n'en ai pas trouvé effectivement, mais on peut dire que Baal était décidé à en finir une bonne fois pour toutes avec lui, où que ce soit dans la galaxie.
C’était plutôt une bonne nouvelle, songea Esmelia sans trop savoir en quoi.
— Il avait peut-être une bonne raison de l’éliminer, suggéra-t-elle.
— Comme un accident de vol, ou le résultat d’une bataille spatiale qu’Isteme-Rê aurait perdue. D’après ce que j'ai appris, certains Drægans, comme Gaïa, Ymir, Nüwa et une bonne vingtaine d’autres, étaient des divinités souveraines… plus que de simples dieux. Ils régnaient peut-être même sur la plupart des systèmes solaires de la galaxie.
— En fin de compte, vous avez fait pas mal des recherches sur le sujet. Ou alors, ça vient encore de votre amie ?
— Je fais toujours mes propres recherches, se défendit-il. Cette planète, même si elle n’en a pas l’air, regorge de bibliothèques intéressantes. C'est grâce à elles que j'ai pu en déduire que les Drægans ont adapté à leurs besoins, ou à leur nature, un système social qui se rapprocherait de celui qui était en cours en Italie durant la Renaissance. Associez les Médicis, les Borgias, les Tudors et tout ce que l’Univers peut créer de famille toutes plus tordues les unes que les autres. Vous aurez une idée de ce que peut être la société dræganne, ou ce qu'il en reste.
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