Chapitre 13.4
Elle ressentit comme une vibration lui traverser le corps. Ce n’était pas un frisson. C’était plutôt comme si ses poumons s’étaient mis à ronronner indépendamment de sa volonté, ou peut-être son coeur. Ce n’était pas le genre de facultés qu’elle possédait. Pourtant, à l'évidence, ce n’était ni son cœur, ni ses poumons…
Elle s’abstint néanmoins d’en parler à Will.
— Moi, tant que nous sommes en vie, cela me convient. Alors s’il veut jouer les baby-sitters galactiques…
Une profonde appréhension grandissait en elle. Elle savait qu'elle ne pourrait pas l'éteindre. Pas avant d'en avoir terminé avec sa mission.
Les crises s’étaient faites de plus en plus nombreuses et rapides depuis trois semaines. Elle ne voulait pas en parler à Will. Surtout pas après ce qui s’était passé durant ces derniers mois, et pire encore, ensuite.
À nouveau, n’ayant rien d’autre à faire dans l’immédiat, elle replongea dans des souvenirs qui ne lui appartenait plus vraiment.
*
Ils avaient quitté le marché au pas de course et filés dans les rues de la ville conscients d'être poursuivis. Néanmoins, ils avaient pour eux une meilleure connaissance du terrain que leurs chasseurs, et surtout un point de ralliement avec deux terraplaneurs ressemblant à des zodiacs qui les attendaient à une rue de la sortie de la ville. Baal et Will montèrent dans le premier avec trois labirés. Elle fut installée dans le second et rejointe par cinq autres guerriers de l'ancien cieu.
Ils décollèrent aussitôt et prirent la direction d’une forêt située à quelques kilomètres de la petite ville.
Les appareils ne volaient pas très haut, mais ils étaient rapides et maniables.
Elle remarqua que la lumière faiblissait. Elle se demanda comment ils feraient pour ne pas percuter un arbre dans l’obscurité.
Malgré ses craintes, ils arrivèrent à bon port.
Après une bonne heure de traversée, les deux véhicules s’arrêtèrent au pied d’un transporteur haut comme une bâtisse d'un étage, et long comme une baleine. Elle n'avait jamais vu de baleine, disparue depuis longtemps de la Terre mais, à la forme de l'appareil, c'était ainsi qu'elle les imaginait. Esmelia estima sa longueur à une trentaine de mètres pour une dizaine de large.
Le vaisseau semblait avoir déjà beaucoup volé. Sa couleur grise était largement passée, et les rares surfaces planes étaient grêlées par de nombreux impacts. Il ressemblait vraiment à un de ces gros cétacés qui peuplaient les mers autrefois, avant qu'ils soient exterminés par l'homme et un mystérieux prédateur.
À leur arrivée, une trappe coulissa à l’arrière du vaisseau par laquelle s’engouffra la navette. Elle se referma aussitôt après leur passage, mais ni Esmelia ni Will ne s’en rendirent compte, éblouis par la lumière et surtout abasourdis par une musique à la fois stridulante, sifflante, perçante, et assourdissante car, résonnant de toutes parts à travers la soute. Ils serrèrent les dents en portant les mains à leurs oreilles. Ils avaient l’impression que quelqu’un avait enfermé une dizaine de matous dans un sac avant de le déposer devant un haut-parleur.
Le labiré qui avait entraîné Esmelia hors de la foule donna un ordre à un gamin qui disparut en courant dans une coursive. Quelques secondes plus tard, ce fut le silence, brutal.
Les deux terriens mirent un moment avant de retrouver leur sens auditif. Durant ce temps, les labirés avaient quitté l’esquif pour l’amarrer. En fait, il n’en restait plus que trois, et Baal.Les autres avaient suivi le gamin dans les profondeurs du vaisseau.
Un vieil homme à la peau sombre, portant les cheveux ras et une barbe blanche soigneusement taillée et, selon toute apparence, tatoué jusque sur le visage, apparut sur le seuil de la coursive.
Il était accompagné du gamin qui se révéla être une adolescente d’une douzaine d’années. Elle était de petite taille, et comme les autres labirés, elle avait la tête entièrement rasée à l’exception d’une fine ligne brune de chaque côté. Comme le vieil homme, elle portait une sorte d’armure dans les tons gris.
Esmelia y décela une influence orientale propre aux origines terrestres de Baal, mais surtout asiatique.
Le viel homme attendit un moment avant que Baal lui accorde son attention.
Celui-ci finit par lui adresser un signe de tête à peine perceptible.
— Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ? lui demanda le vieillard d'une voix étonnamment claire et puissante pour un individu de son âge.
— Possible, répondit laconiquement l’ancien dieu.
Avant d'ajouter :
— Il est encore trop tôt pour le savoir.
Pas plus que Will, Esmelia ne comprenait leur langue. Elle fit appel à un autre sens, se plaçant en périphérie de l'esprit de l'adolescente qui suivait leur conversation. Elle lui servit de traducteur à son insu. Contrairement à Baal et peut-être au viel homme, elle n'était pas assez aguérrie pour sentir sa présence, et encore moins préparée à la repousser.
La réponse sembla satisfaire le vieil homme qui acquiesça, mais ne se retira pas pour autant. Son regard s’était posé sur la tache rouge au niveau de l’épaule gauche de Baal
— Autre chose, Copy ? demanda celui-ci.
— Combien vous valez en ce moment ?
Le labiré qui avait enlevé Esmelia réapparut dans la soute, les bras chargés.
Esmelia avait remarqué qu’il s’était changé.
Lui aussi portait ce qui semblait être l’uniforme officiel des serviteurs de Baal.
Il tendit une boite métallique au Drægan et répondit à la place du Phénicien qui ne sembla pas s’en offusquer.
— Cinq cent mille unités triastes, ou une planète, à condition qu’on rapporte son corps pour preuve de sa mort.
Le vieil homme sembla imaginer ce qu’il pourrait faire d’une telle prime. Le temps pour Baal de retirer sa cape et la chemise qu’il portait. Se faisant, il laissa paraître une grimace de douleur, mais se reprit rapidement.
Le labiré ouvrit la boite métallique et lui tendit ce qui semblait être un antiseptique.
Baal désinfecta sommairement la plaie, une éraflure assez profonde au niveau du deltoïde, d'après ce qu'Esmélia pu voir. Il y apposa une compresse aussitôt.
Le labiré lui fit un bandage temporaire.
Tout cela ne prit guère plus de trois ou quatre minutes.
— Vous devriez valoir davantage, finit par dire le vieil homme.
— Je suis bien d’accord, répondit l’intéressé en passant devant lui pour rejoindre la coursive.
Copy et l’adolescente s’écartèrent respectueusement pour le laisser passer.
L'espace d'un instant, Esmelia l'admira. Le Drægan semblait si sûr de lui, et d’un calme exemplaire comme s’il ne s’inquiétait pas de savoir tous les chasseurs de primes de la galaxie à ses trousses.
Une ou deux secondes, leurs regards se croisèrent.
Elle n’y vit rien d’autre que de la froideur.
Avant de disparaître dans la coursive, il avisa les deux équipements que le labiré avait ramené avec lui.
— Laisse Copy et Quick s’en occuper, Grama, et rejoins-moi au poste de pilotage. Je n’ai pas l’intention de m’éterniser sur cette planète.
Grama remit les équipements aux deux terriens.
— Des combinaisons pressurisées, expliqua-t-il succinctement.
Il cherchait ses mots.
Esmelia se demanda s’il avait appris leur langue sur la Terre ou s’il avait eu un enseignant.
— Essayez d’être prêts au moment où nous entrerons dans l’espace.
Il les quitta après avoir échangé quelques mots avec Copy. Celui-ci aida Will à enfiler ce qu’ils avaient d’abord pris pour une armure, tandis que Quick en faisait de même avec Esmelia. Elle l’aida à assurer l’étanchéité de la combinaison. Cette dernière était très loin de celle qu’elle avait portée lors des entraînements à l’AMSEVE et qui ressemblait beaucoup plus à un scaphandre avec ses articulations en accordéon qu’à une armure légère.
Elle se sentait à l’aise dedans. Ses mouvements ne lui semblaient pas du tout entravés.
Ainsi couverts de la tête aux pieds, ils étaient parés pour un voyage dans l’espace, apparemment.
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