Chapitre 18.1

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Le receleur aurait pu la vendre à un autre acquéreur mais, mais sachant qu’il n’en trouverait pas de sitôt, il n’avait rien trouvé de mieux que de provoquer l’ancien dieu. Il l'avait menacé de le dénoncer d’abord aux autorités de Dtarly pour trafic de tserarenium et, ensuite, à la Guilde des Chasseurs de Primes s’il n’acceptait pas ses conditions.

Depuis l’affaire du Marché aux Esclaves, il n’était plus question de supposer mort l’individu le plus recherché de la galaxie, du moins pas avant d’avoir touché la prime pour sa tête. Les nouvelles allaient au moins aussi vite que la lumière d’un système solaire à un autre. Rien d'étonnant à ce que le détenteur de la Porte ait entendu parler de ce qui s’était passé sur Feloniacoupia.

Avec son habituel sens de l’à-propos, Baal avait proposé une meilleure solution : jouer le Portail, le rentium au magyans. S’il perdait, le receleur recevrait le double de sa demande, ainsi que la fameuse prime. Dans le cas contraire, il n’aurait que ce que l’ancien dieu déciderait de lui donner.

Le magyans était un jeu basé sur la stratégie, le bluff, le mensonge et l’illusion. Il y avait d’abord eu deux longues parties. Chacun des joueurs en gagna une, puis une revanche plus ardue, du moins en apparence.

Will et Esmelia avaient assisté aux parties. Son compagnon avait supposé, un moment, avoir saisi les principales règles du jeu. Il s’était vite rendu compte qu’il n’en était rien.

Quant à elle, elle n’avait pas cherché à les comprendre. De manière générale, le jeu lui était trop étranger. Celui-ci demandant de la patience et une bonne dose de comédie, de ruse. Si elle avait d’abord trouvé que la proposition du Drægan était trop risquée, elle avait vite senti que l’ancien dieu était exactement dans son élément. Il s’amusait autant du jeu que de la manière dont il abusait les sens et l’intellect du recéleur. Lorsqu’il en eut assez, au bout de quelques heures, Baal gagna toutes les cartes de valeur du jeu de son adversaire ses stratégies de défense ou d'attaque.

Il ne lui restait plus qu’à prendre possession de ses biens, mais beau joueur, il resta sur le marché initial sans le diminuer. S’il se doutait qu’il avait été dupé, le receleur n’en montra rien et convint qu’il s’en sortait plutôt bien.

L’échange avait eu lieu le lendemain matin, à l’aube. Accompagné de Will qui ne s’attendait pas à être le témoin d’un échange plus qu'honnête, et de quelques labirés, Baal avait amené deux caisses de rentium et quatre de médicaments au centre de raffinement plutôt qu’à la « boutique » officielle du receleur.

Celui-ci avait été plus que surpris. Il ne s’attendait pas à être réveillé aux aurores alors que la partie s’était terminée tard dans la nuit. Ou tôt le matin, selon le point de vue.

Autre raison de sa surprise, il n’avait jamais donné l’adresse de son entrepôt à son adversaire.

Enfin, il ne pensait pas que celui-ci tiendrait sa parole en lui apportant exactement ce qu’il avait promis.

D’une galaxie à l’autre, les Drægans n’étaient pas connus pour respecter leurs engagements. Et celui-co, dont la réputation n'était plus à faire depuis longtemps, encore moins que les autres. En revanche, le receleur n’avait eu aucun doute sur le fait qu'il viendrait prendre possession de sa marchandise.

Après la partie de magyans et le départ de son adversaire, il avait ainsi dû régler une autre affaire en urgence. En bon Craitois avisé, il avait contacté ses associés qui, redevables de plus d'un service à son égard, et surtout sachant ce qu'il pourrait leur en coûter de refuser, lui avaient promis de venir en renfort lors de l’échange. Ils l'aideraient à capturer l’ancien dieu et récupèreraient une petite part de sa marchandise, et une plus importante de la prime astronomique.

L’arrivée matinale de Baal posait un problème de timing d’une trentaine de minutes. Lorsqu’on a encore la tête dans le brouillard après une trop courte nuit, il y a des tas de détails auxquels on ne pense pas forcément tels que : comment prévenir en urgence ses acolytes désireux de gagner une énorme somme pour la tête d’un dieu ressuscité, sans que celui-ci le remarque, et surtout ne pas montrer à quel point la panique vous gagne.

Bien malgré lui, le receleur avait dû s’acquitter de sa dette auprès du Drægan.

Baal était donc reparti sans la moindre difficulté, avec le portail et le rentium, suivi ses labirés et d'un Terrien hébété.

Imaginer qu’il allait accepter sans broncher qu’un trafiquant lui dicte les termes d’un marché, cela aurait été mal connaître l’Ancien Dieu. Il n’appréciait décidément pas qu’on lui tienne tête ou qu’on lui force la main.

Le truand en fut pour ses frais.

À peine Baal et ses compagnons avaient-ils quitté les abords de la ville, à bord d'un transporteur basse altitude, pour s'enfoncer dans les terres arides qu’une gigantesque explosion avait fait trembler ses fondations. Même la remorque dans laquelle se trouvait le portique et le rentium en avait été secoué faisant craindre le pire à Will.

Et, là où se trouvaient une raffinerie et un quartier malfamé, repaire de crapules en tous genres désormais atomisées, ainsi qu’un bon quart de l’agglomération, il ne restait désormais qu’un profond cratère béant et fumant.

À leur retour sur le vaisseau, Will et Baal avaient eu une discussion houleuse.

L’exoarchéologue avait été formé aux gestes de premiers secours, et il était prêt à retourner sur la planète en tant que secouriste pour soigner les éventuels blessés. Il s’était gardé, cependant, de faire la moindre remarque sur la responsabilité du Phénicien dans l’explosion.

Son origine et son auteur ne faisaient pourtant aucun doute. Baal entendait montrer à ses ennemis qu’il était de retour, prêt à riposter si quelqu’un tentait de lui dicter sa conduite ou de le piéger.

Face à la véhémence et à l'entêtement du Terrien, il avait ordonné à l’un des membres de sa garde rapprochée, de conduire Will dans ses quartiers et de l’y enfermer séance tenante. Grama désigna deux hommes pour garder la porte en permanence afin qu'il n’en sorte pas sans en avoir reçu l’autorisation de Baal ou de lui-même.

Pour faire bonne mesure, l’ancien dieu avait interdit à quiconque de quitter le vaisseau et ordonné l’alerte maximum, au cas où il y aurait une riposte de la part des autorités officielles thœx’mariennes.

En fait, Will étant consigné dans ses appartements, l’interdiction ne concernait qu’Esmelia, car aucun des labirés ne serait sorti sans un ordre de leur maître.

Esmelia n’appréciait pas plus que Will les méthodes du Drægan en matière de négociations. Elle regrettait qu’il n’en ait pas calculé les dommages collatéraux. Ou s'il l'avait fait, il était évident qu'il ne s'en était pas inquiété.

L'explosion avait dû faire nombreux blessés, et des morts. Pas seulement des criminels. Cette ville était comme toutes les autres. Même en proportion mince, il y avait forcément des innocents, des personnes honnêtes qui n’avaient jamais eu les moyens de la quitter…

Elle ne pouvait pourtant lui donner tort quant à son refus de laisser Will repartir sur Craite. Si quelqu’un le reconnaissait, il risquait d’être accusé, au mieux de complicité d’assassinat, et, au pire d’assassinat à la place du vrai coupable. Ce serait la mort assurée dans un cas comme dans l'autre. Qu’il sauve des vies en soignant des blessés importerait peu dans une ville dont l’unique loi en pratique était celle du plus fort. Il serait lynché sans procès, sans avoir eu la moindre chance de se défendre et de prouver son innocence.

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