Chapitre 17.3
Un labiré recouvrit le sarcophage d’un drap gris perle. D’autres emportèrent ensuite le cercueil de verre tandis que leurs congénères quittaient lentement l’aire d’appontage pour retourner à leur poste et à leurs occupations.
— Je pense que nous devrions en faire autant, fit Will. Le Commandant de ce vaisseau nous a donné du travail. Il vaut peut-être mieux nous y mettre si nous ne voulons pas être largués sur une planète inconnue ou pire, dans l’espace.
— Il le ferait ?
— Je ne le connais pas assez pour répondre. Et toi, penses-tu qu’il n’en serait pas capable ?
Machinalement, elle haussa les épaules.
Du travail, oui, elle en avait, même si elle n’appréciait pas être obligée d’obéir à l’homme qu'elle devait justement convaincre d’agir selon ses plans à elle.
— Ce vaisseau possède une porte subspatiale, déclara soudain Will.
— Quoi ?
— Ce vaisseau a sa propre porte subspatiale, répéta-t-il. Ou quelque chose du même genre, une sorte de transporteur. Si j’ai bien compris ce qu’une technicienne affectée à la maintenance du bâtiment m’a expliqué, il pourrait permettre de transporter une plusieurs personnes de l’intérieur du vaisseau à un lieu programmé au préalable.
— Programmé pour où ? Pour quoi ? Et surtout par qui ? s’inquiéta-t-elle. Pourquoi Baal et ses hommes ne s’en sont-ils pas servis pour nous faire quitter Féloniacoupia ?
— J’ignore comment il est programmé, ou pour quelle destination. J’ai bien fait quelques recherches sur le sujet, discrètement. Tout ce que j’ai pu découvrir c’est que le portail se trouve dans l’une des soutes d’évacuation secondaires et que les labirés ne savent s’en servir que pour téléporter les déchets et les eaux usés hors du vaisseau lorsque celui-ci passe près d'une étoile. L’appareil serait utilisable avec deux sources d’énergie : la chaleur d’un soleil, utile pour ses fonctions de base. Du rentium pour être pleinement opérationnel. Le rentium est une énergie fossile assez difficile à trouver dans la plus grande partie de la galaxie...
— Je vois que vous avez su inspirer une certaine confiance à mes labirés.
Will et Esmelia se retournèrent d’un même mouvement, et firent face à Baal.
Esmelia remarqua que ses traits étaient tirés. La cérémonie avait été éprouvante pour lui. Sans doute Copy faisait-il partie de ses plus anciens proches en ce monde. Du moins, l’un de ceux en lesquels il croyait en la loyauté, pour autant qu’un Drægan puisse accorder sa confiance à qui que ce soit.
— Il est rare qu’ils partagent leurs connaissances avec un étranger.
— Il faut croite que j’inspire ce genre de sentiment.
La réponse de Will surprit Esmelia. Il n’était pas dans ses habitudes de se lancer des fleurs. D’ailleurs, cette déclaration, dans sa bouche donnait beaucoup plus l’impression que, pour lui, il s’agissait d’une malédiction ou une fatalité.
— Sans doute, répondit Baal.
Une réponse simple qui avait tout d’une confirmation.
— Avant que vous ne vous fassiez des idées, sachez qu’avec ou sans rentium, l’appareil ne fonctionnerait pas. Il est défaillant.
— On peut le réparer, et puis il n’y a pas que pour le portail que nous avons besoin de batteries au rentium.
Baal soupira :
— Le rentium est instable. En avoir à bord de ce vaisseau, c’est… C’est comme avoir une bombe atomique. Le vaisseau n’est pas assez sûr et je refuse de faire courir ce risque à mon équipage.
Will hésita. Entendre l'ancien dieu, ou le planéticide, parler de bombe atomique lui avait sans doute paru dissonant, voire choquant.
— Pas si l’énergie est bien compartimentée, finit-il par suggérer.
Will avait mis du temps à convaincre l’ancien dieu.
Plusieurs jours de suite, il revint à la charge, aussi têtu que l’Écossais qu’il était.
Il avait expliqué que, d’après tous les textes qu’il avait pu lire sur le sujet, une seule batterie au rentium était nécessaire au fonctionnement d’une bouche subspatiale.
Baal avait convenu que c’était possible, à peine étonné des connaissances que Will avait assimilées sur le sujet en si peu de temps. Pourtant, l’ancien dieu persistait à considérer que cette énergie leur était inutile avec un transporteur hors d’usage, et dangereuse.
Par ailleurs, ce n’était pas le genre de combustible qui était raffiné couramment dans la galaxie.
Will avait alors affirmé qu’il connaissait l’endroit où ils pourraient s'en procurer. Il était même possible qu’ils y trouvent aussi un portail en état de marche. Au pire, ils pourraient en utiliser les pièces pour réparer celui du vaisseau. Mais n’ayant jamais vu de téléporteur subspatial en dehors des descriptions et des illustrations des ouvrages sur le sujet, il ne pouvait en être certain.
Baal avait soutenu qu’il ne pouvait pas y avoir de téléporteur sur le marché, car ceux-ci étaient trop rares. Mais Will lui en avait fait la description précise de ce qu’il supposait en être un.
Il se souvenait l’avoir vu dans une cité qui ressemblait beaucoup à New York dans les années dix-neuf cent dix ou vingt. Cette ville-là était à l’image du reste de la planète où le banditisme sous toutes ses formes avait été érigé comme un art de vivre.
Le propriétaire chez qui il l’avait vue ignorait totalement à quoi servait l’appareil, et surtout qu’il fonctionnait avec le rentium qu’il possédait en grande quantité. À un point tel, qu’il était le fournisseur officiel des casseurs de coffres et des terroristes de toutes sortes.
Will avait fait cette découverte quatre mois environ avant leur rencontre au marché des esclaves. Entre temps, il avait quitté la planète dont il ignorait le nom, et en avait visité deux autres dont il n’avait pas plus connu l’appellation avant d’arriver sur Feloniacoupia. Son objectif d’alors était de mettre de la distance entre l’AMSEVE et lui.
— Quatre planètes en quatre mois, s’étonna Baal.
Le temps de trouver le bon moyen de transport pour voyager d'une planète à l'autre et de le négocier, c’était plutôt pas mal pour quelqu’un qui n’avait jamais voyagé seul en dehors de sa planète, et si peu connu la galaxie.
— Alors comment Doherty était-il assez sûr que tu te trouvais sur Feloniacoupia pour y envoyer une équipe d’extraction ? observa à son tour Esmelia
La question prit Will au dépourvu.
— Je l’ignore, finit-il par répondre, inquiet.
Même s'il n'en montrait rien, la question taraudait aussi le Drægan.
— Je vous suggère d’y réfléchir, et de faire ce que je vous ai demandé. En retour, je réfléchirai à votre demande.
La discussion s’était arrêtée là, et l’ancien dieu, accaparé par d’autres obligations les avaient laissés seuls.
Annotations