Chapitre XVI : Étienne, Tu montes, ou je te laisse à Paris !

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Samedi 03/12/22, 7h00 appartement de Reeve

Dans le petit matin , le soleil se montrait discret. Le réveil sonna une mélodie de noël. Reeve aimait cette période où la vie semblait se ralentir avec les nuits qui se raccourcissaient et les jours qui s’accéléraient aux moments des fêtes qui approchaient. L’époque était idéale pour se demander si cette année avait répondu au mieux à ses attentes et rêver aux prochaines perspectives.

En cette heure matinale, blottie sous sa couette, elle patientait et fredonnait « le sentier de neige » que son grand-père chantait devant le sapin. Cette année ce serait différent, c’est elle qui fredonnerait les paroles avant de partir comme elle l’avait programmé pour l’île de Ré. Elle ne songeait plus qu’à ça depuis qu’elle avait fait son annonce à Etienne en milieu de semaine. Depuis l’impatience grandissait, des papillons jouaient une valse endiablée dans son ventre. Elle s’extirpa de son lit, la valise était prête depuis belle lurette. Après un rapide passage par la salle de bain, elle enfila ses collants, une jupe écossaise et un pull mauve. En s’apercevant dans la psyché, elle imaginait les yeux gourmands d’Etienne sur cette tenue.

Ce saligaud avait couché avec Sarah ou peut-être était-ce cette délurée qui avait abusé de son corps profitant de sa fragilité. Même si elle était un peu triste de cette réaction, elle était incapable d’en vouloir à l’homme au bouquet. Etienne avait chamboulé sa vie. Elle pourrait l’accabler de son incapacité à prendre une décision, pourtant elle le trouvait craquant. Le week-end s’annonçait idéal si bien-sûr la sangsue du Pont Neuf ne venait pas interférer dans ses plans. Le miroir renvoyait son image, quelque chose de différent brûlait en elle. Elle eut un pincement au cœur en songeant qu’après ces deux jours, ils devront décider : soit poursuivre le conte de fée ou partir chacun voguer vers d’autres horizons ?

La jeune femme voulait se donner toutes les chances de conquérir le cœur du beau gosse et pour ne pas regretter de passer à côté d’une belle histoire d’amour. Quand elle arriva dans la cuisine, Marc était déjà réveillé. Le SDF avait obtenu l’autorisation de sortir de l’hôpital un jour plus tôt à la condition qu’il trouve un lieu chaud pour la semaine avant de revenir faire des examens de contrôle le mardi suivant. Reeve s’était engagé auprès du médecin et il avait accepté, gardant au fond de lui son amour propre. La scène était surprenante, l’homme se battait avec la machine à café cherchant à amadouer cet objet du quotidien dont il avait depuis longtemps oublié le fonctionnement.

Reeve se souvint de leurs premières fois, elle aimait retrouver le maître et le chien le long des quais pour discuter ou lire. Elle apportait un bouquin que le sans abri dévorait puis ils échangeaient sur leur ressenti. De fil en aiguilles, une complicité s’était tissée avec légèreté. Comme le feraient deux bons amis, l’architecte avait proposé que le jeudi soir devienne leur soirée entre potes au petit café du coin. La jeune femme avait dû se montrer persuasive et se fâcher en expliquant qu’il ne s’agissait en aucun cas de pitié. Elle voulait juste le remercier du temps qu’il lui accordait en l’écoutant raconter sa vie. Marc avait finalement accepté, ne pouvant rien lui refuser mais demanda qu’en retour il finance le café.

Milord content de retrouver son maître était devenu son ombre, le tableau dessiné dans la cuisine était des plus charmants. L’un et l’autre ne se quittait plus des yeux, cherchant le soutien dont chacun avait besoin. En découvrant la jeune femme, le berger allemand s’empressa de venir se frotter à ses jambes.

  • Bonjour Marc, tu as bien dormi ? Le lit de grand-père était assez confortable ?
  • Trop grand et trop mou, j’ai fini par dormir sur le tapis à côté de Milord.
  • Je comprends après n’hésite pas, tu fais comme chez toi.
  • Comment pourrais-je te remercier ?
  • En te rétablissant au plus vite.

En même temps qu’elle finissait sa phrase, elle comprit sa maladresse et ajouta

  • Enfin je ne veux pas te chasser, je veux juste que tu retrouves la forme. Etienne n’a pas assuré sur ce coup et toi, tu m’as fait tellement peur.

Marc observait ce petit bout de femme qu’il considérait souvent comme la petite sœur qu’il n’avait pas eue. Il appréciait la générosité et la bienveillance qu’elle distribuait avec un sourire. Plus d’une fois, il avait songé à poser ses lèvres sur les siennes, mais avec le temps il avait compris que son amitié était bien plus précieuse. Ce matin, il la trouvait resplendissante, son visage rayonnait. Comme souvent, il avait été son confident, et il serait toujours l’épaule sur laquelle elle pourrait venir verser ses larmes. Il admirait la détermination et le courage dont elle faisait preuve. Il avait conscience que si Etienne n’était pas à la hauteur, il ravagerait son cœur. Il le connaissait et pourtant pour cette femme, il était prêt à pardonner les erreurs du passé. Elle lui avait appris que la vengeance ne panserait en rien les rancœurs et que faire souffrir ceux qui l’avaient meurtri apporterait plus de malheur qu’il ne ferait son bonheur. Il la regarda saisir sa valise et avant de franchir la porte prononça quelques mots pour se rassurer et se convaincre qu’il n’était pas fou de la laisser partir avec cet homme et encore plus improbable comment pouvait-elle lui laisser l’appartement ? Qu’allaient penser les voisins ?

  • S’il y a quoique ce soit, appelle-moi, promets-le-moi Reeve.
  • Comment ferais-tu avec tes plâtres à cinq cents kilomètre de ma destination ?
  • Je me débrouillerai, tu peux en être sûr.
  • Je ne crains rien, je te le garantis. Par contre n’oublie pas de surveiller Sarah, je ne voudrais pas qu’elle débarque à l’improviste.
  • Je serai attentif.
  • Elle m’a assuré qu’elle ne ferait rien, qu’elle n’empêcherait pas ce week-end, qu’elle voulait changer, mais j’ai des doutes, je n’ai aucune confiance.

Elle franchit la porte, laissant derrière elle, cet homme pour qui elle serait prête à tout ; il avait sauvé sa vie l’hiver dernier. À plusieurs reprises, elle avait proposé au sans abri un logement pour l’hiver et il avait décliné. Elle ne voulait en aucun cas le blessé, mais aujourd’hui, en sortant de l’appartement, elle était rassurée de le savoir loin du froid et de l’humidité.

Dans le hall d’entrée, Etienne l’attendait. Il était tellement chou avec sa barbe naissante. En d’autre temps, elle n’aurait pas aimé. Mais là, cela lui donnait un certain charme et mettait en valeur ses yeux gris. Elle ne voulait pas se précipiter avant d’entreprendre quoi que ce soit, la première fois ce n’était qu’une pulsion, si leur relation devait se poursuivre, elle avait besoin de connaître l’homme qui faisait accélérer les battements de son cœur dès qu’elle se noyait dans son regard. Mais là, en le voyant, elle ne put résister à venir déposer un baiser sur sa joue.

  • Allez, tu es prêt. Nous avons un peu de route avant de découvrir l’océan et ses beautés. Je conduis, ce sera plus prudent, tu pourras ainsi profiter du paysage.

Etienne la regardait, il ne pouvait quitter des yeux cette femme qui venait d’apparaître dans son sillage. Cette tenue mettait en valeur ses longues jambes, il se surprenait à rêver de ses mains se faufilant sous le tweed de sa jupe.

  • Suis moi, je fais un crochet à la maison de retraite, je ne peux pas rester trois jours sans faire un câlin à mon grand-père. Ensuite nous pourrons partir le cœur léger enfin pour moi.

Alors qu’ils allaient franchir la porte d’entrée, Reeve sentit un regard se déposer sur elle, une ombre qui semblait vouloir la retenir. Elle fit un quart de tour et découvrit Sarah en haut des escaliers.

  • Etienne, réponds-lui, qu’on puisse partir, elle commence à me courir sur le haricot. C’est juste nous deux jusqu’à lundi. C’était le marché que nous avions passé. Tu es toujours partant ? Tu peux encore changer d’avis. Avec ou sans toi, moi je pars et vous pourrez aller vous jeter dans la Seine bras dessus dessous.
  • Je sais pas, comme tu veux.

La jeune femme ne laissa pas le choix à l’homme au bouquet. Elle attrapa sa main et claqua la porte. Une fois dans la rue, Reeve avala une grande bouffée d’air pur. Ce matin, la bise était particulièrement vive, le froid et peut-être la pluie les accompagneraient. Elle ferma les boutons de son manteau avec sa main libre, l’autre tenait celle de l’homme qui ne bougeait pas à ses côtés, scotché par la détermination dont elle avait fait preuve. Cependant, il s’inquiétait pour la suite, la femme qu’il hébergeait dans son appartement avait été claire, elle lui avait promis de pourrir la vie de sa voisine s’il partait avec elle ce week-end.

  • Etienne, tu montes. Si tu veux rester à Paris....c'est MOi ou elle, tu dois choisir ! Après, si tu changes d’avis, tu te débrouilleras pour rentrer, ne compte pas sur mon aide.

Une fois garée devant la maison de retraite, elle disparut dans le bâtiment à la façade peu accueillante. Grimpant les marches à vive allure, elle bouscula l’infirmier de garde.

  • Pardon Thomas.
  • Où cours-tu aussi vite, Henry a un problème dont je ne suis pas au courant ?
  • Non, rassure-toi, je dois partir pour l’île de Ré et je ne voulais pas le faire sans l’embrasser.
  • Je comprends, en tout cas, tu es magnifique ce matin.
  • Vil flatteur, n’exagère pas.
  • Non, je t’assure, un rayon de soleil dans cette journée.
  • Merci Thomas, le compliment me touche.
  • Allez, je ne te retarde pas plus. Bernadette m’attend pour le thé, je ne voudrai pas la décevoir.
  • File et s’il y a quoique ce soit…
  • Oui je t’appelle. Pour l’instant, il est en forme, pars l’esprit tranquille.

Quand elle entra dans la chambre, Henry était assis dans son grand fauteuil, son corps nageait dans ce radeau bien trop grand. Son regard gris bleu scrutait le ciel, quand il entendit les premières paroles, il se retourna et sourit à sa petite fille :

« Ce sentier de neige si pur et si doux
Depuis protège notre amour jaloux
Je t'ai dit je t'aime dans la paix des bois
La neige en poème fondait sous nos pas ».

Elle se précipita dans ses bras, c’était la première fois depuis qu’il était ici qu’il l’appelait par son prénom, l’instant fut furtif. Sa petite princesse comme il aimait l’appeler, venait de s’évanouir à nouveau de ses pensées. Reeve laissa échapper une larme en le serrant fort dans ses bras et repartit le laissant dans ce monde dans lequel elle n’existait plus.

Elle grimpa, démarra la voiture et fila en direction de l’autoroute. Il était temps d’avancer, plus de marche arrière possible. Etienne assis à ses côtés, elle se sentait apaisée, rien de grave ne pouvait lui arriver. Il avait pris la décision de l’accompagner et pour Reeve, c’était devenu une évidence. Ils s’éloignaient de Paris, leurs pensées pourraient se mêler et s’emmêler pour qui sait rêver d’un avenir commun.

*A.R*

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