Une vie de sottises et autres fariboles à raconter au coin du feu 2 : Le borgne et la cuillère à glace xénophobe
On a toujours cru nombre de choses extravagantes au sujet des yeux. Par exemple, on supposait que l’œil droit incommodait l’œil gauche et lui tirait toute la nourriture. Suite à cette croyance infondée, on vît des personnes se crever l’œil droit afin de mieux voir de l’œil gauche. Ces victimes de l’ignorance étaient bien sûr persuadées d’obtenir ainsi une meilleure acuité visuelle, or il n’en était rien. Aujourd’hui, on vous parlera d’effet placebo ; autrefois, c’était la science !
Evidemment, il y avait de mauvaises gens qui raillaient à s’en faire une torsion de la rate. Ces misérables ne pensaient en aucun cas à prévenir les maux de leurs prochains, et véhiculaient la rumeur citée précédemment, de sorte que plus vite encore que la peste noire, l’idée reçu contamina tous les esprits de l’Europe.
Dans les éborgnés célèbres, on compte notamment Louis XIV, qui portait son œil de verre avec superbe, sauf quand celui-ci tombait dans le potage, au grand dam des invités au repas public du souverain. La situation monopthalmique du monarque lui fit porter non pas des lunettes de soleil, mais bien un monocle de soleil, lançant d’une traite la mode des monocles et celle des verres photochromiques.
Cependant, nous allons nous concentrer sur un homme que l’histoire n’a pas encore placé dans le panthéon des regrets éternels. Cet homme seul dans la foule anonyme porte un nom, mais par soucis de bienveillance et de droits d’auteur, il nous faudra l’appeler : François Dupont (les anglais le nommeront John Smith dans le cadre du plurilinguisme).
Ce brave François Dupont était un fervent amateur de glaces. Habitant en France, il achetait de délicieuses Haagen-Dasz (dont le prix est inversement proportionnel à la quantité) qu’il savourait avec délice. Or, un jour, il advint qu’une chaise de son salon tomba en pièce. Etant d’un naturel plutôt facile, le dénommé François se rendit chez Ikea pour faire l’acquisition d’un nouveau siège sur lequel il pourrait tranquillement manger son dessert préféré. Il saisit sa cuillère à glace, et s’assit sur le nouveau meuble.
Hélas, la réserve du magasin avait été prise en assaut par de terribles termites infiltrées dans le bois d’ébène importé d’Afrique du Sud destiné à la fabrication des lampes de chevet pour les personnes odieusement riches. A cause de cela, la chaise Ikea du pauvre monsieur Dupont vola en miettes. Sous le choc, il lâcha sa cuillère à glace en plastique. Celle-ci s’envola avec grâce…
… pour lui retomber dans l’œil gauche.
Si ce brave monsieur Dupont avait lu le conte philosophique concernant les borgnes de ce sophiste et donneur de leçons qu’était Voltaire, il aurait peut-être pu ne pas s’énerver. Or, ce n’était pas le cas. Par conséquent, il entra dans une rage folle.
Il mena son enquête, et quand elle fut finie, sa hargne se reporta sur les étrangers :
Il se mit abhorrer à la Suède pour avoir créé des magasins vendant de la camelote.
Il se mit à haïr l’Afrique du Sud pour avoir laissé passer des termites immigrées clandestinement.
Il se mit à exécrer les Haagen-Dasz fabriquées par une entreprise fondée aux Etats-Unis par un juif polonais et dont le nom évoque les danois. Pour ne rien arranger, il découvrit que la recette de la glace provenait de la Chine et avait été importée par les Italiens.
Se sentant trahis par le reste du monde, il fonda un parti politique dont une des principales idées est de sortir les étrangers des belles terres de France. Hélas pour lui, il n’ouvrit pas le bon œil, et attirant le mauvais, il se fit virer de son propre parti par sa propre fille.
Pas de chance pour François Dupont. Et dire que si c’était son œil droit qui avait été crevé, tout se serait passé par le mieux dans le meilleur des mondes possibles…
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