Herwin - Sixième jour
Deux jours s'étaient écoulés depuis l'hôpital. Herwin avait attendu que son ami sorte de son inconscience agitée, préférant ne remettre les pieds dehors qu'une fois accompagné. Il n’avait pas mangé, ni vraiment dormi. Il n’avait quitté le chevet de Jameson que pour aller boire dans la salle de bain attenant à leur nouvelle chambre où il avait fait un foyer pour rendre de l’eau de mer potable. Il en revenait encore plus vite qu’il n’y allait, voyant dans les volutes d’eau chaude ou dans les miroirs, des silhouettes toutes plus informes et effrayantes les unes que les autres.
Depuis la veille, son regard avait changé. Une lueur inquiète et sombre s'était logée dans sa pupille et ne l'en quittait plus. Herwin ressentait dans l'air une lourdeur terrifiante qui le clouait sur la vieille chaise dans la chambre. Personne n'était venu. Personne ne les avait contactés. Les téléphones étaient à plat. Il se sentait comme un cochon devant une broche de barbecue, avec un feu vif en arrière-plan où un de ses congénères subissait déjà le sort qui allait lui être réservé.
La tête entre ses mains, il serrait son crâne en maudissant l'apprenti écrivain détective. Mais très vite, sa colère se porta sur lui-même. Faible, peureux, lâche... Il se traitait de tous les noms. Lui qui se voyait toujours comme un super soldat, se retrouvait avec le rôle du combattant apeuré à l'esprit torturé. Quelle honte.
Lorsqu’enfin James émergea, ils n'eurent besoin d'aucune parole. Leurs regards se croisèrent dans la peine ombre de la chambre éclairée par un rayon de lumière filtrant par l’interstice de la porte. Chacun put lire dans les yeux de l’autre la peur et l’angoisse. James n'ouvrit pas la bouche. Il n'avait pas besoin de demander si c'était vrai. En revanche, il désigna les mains bandées de son ami.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé?
Herwin secoua la tête, soulagé de l’entendre parler mais inquiet de la question. Il aurait préféré l’entendre supplier pour partir…
- J'ai sauvé ta peau. Je me suis soigné ensuite.
Sa voix était sèche mais faible. Il faisait des efforts pour ne pas lui reprocher la situation. La chemise de James était en lambeaux. Le voyant faire une moue déçue à l’utilisation de sa chemise comme bandage, Herwin se leva en crispant la mâchoire et ouvrit la chambre, sentant un courant d'air froid mordre sa nuque.
- Faut sortir d'ici. Partir et vite. On va retourner à la mairie pour trouver un moyen de partir. Quelqu’un a forcément laissé une indication qu’on a loupée. Celui ou celle qui t’a envoyé la lettre, au moins.
Serrant les dents, Jameson se leva, hochant la tête. Prenant son courage à deux mains pour traverser l’auberge puis la place qui les séparait du bâtiment aux couleurs de la nation. Il le suivit sans un mot, au soulagement du plus âgé qui n’avait aucune envie de faire la discussion.
Sur place, les recherches frénétiques débutèrent. Cette fois-ci, il n’était plus question de ne rien déranger. Les livres, les fournitures, tout se retrouvait jeté au centre de la pièce.
Herwin ne se sentait pas très bien.
Foutue mairie, maugréait-il en s’imaginant à chaque courant d’air, à chaque ombre, que la créature revenait. Il sursauta même en retenant un juron, se reprenant bien vite pour ne pas laisser sa panique contaminer le plus jeune. Déjà qu’il le voyait blanc comme un linge et à se retourner à chaque seconde…
Alors qu’il se rapprochait de lui pour lui demander ce qu’il avait trouvé, le voyant plongé dans un manuscrit, Jameson émit un cri et le repoussa violemment. Le carnet d’Herwin tomba à terre et il jura en le ramassant.
- Fais Gaffe! Si ça se trouve après notre passage il ne restera plus que ça de nous...
- Arrête de dire n’importe quoi…Et puis…tu m’as fait peur aussi…
Le jeune écrivain avait perdu en assurance et en couleur. Les gestes imprécis, il fouillait la mairie en quête d’un article, d’un journal ou d’une information sur les choses qui étaient à l’origine des lumières dans la nuit, de cette créature dans l’hôpital, ou encore du nom de la personne qui avait envoyé la lettre.
- On devrait y aller Jameson. Maintenant. Partir tout de suite, murmurait Herwin alors qu’il ne trouvait rien et qu’il ressentait de plus en plus cette présence sombre, pesante et glaciale, dans le moindre recoin du bâtiment.
- Non. On ne peut pas. On a une enquête à mener et on ne peut pas laisser d’autres personnes tomber sur cet endroit ! On doit résoudre l’affaire, si on essaie de partir... C'est comme ça que les héros meurent dans les livres et tu le sais bien.
- On n’est pas des héros Jameson... et puis on n’a aucune obligation !
L'homme souriant qui était arrivé dans le village quelques jours plus tôt secoua la tête. Il n’était pas d’accord.
- Je n’abandonnerai pas celui ou celle qui a appelé à l’aide !
Herwin serra les dents. Ecrivain Don Quichotte. C’était une qualité en temps normal, mais à cet instant, le plus âgé aux cheveux poivre et sel estimait que c’était le plus gros des défauts.
Plus le temps passait et plus les deux hommes avaient peur. Alors qu’ils en terminaient avec la mairie, inquiet, Herwin nota dans son carnet, transgressant la règle tacite entre son journal et lui de n’écrire qu’à la fin de chaque journée.
Jour de trop : On recherche qui a envoyé la lettre. Apparemment, c’est un notable de la ville. J’en mettrai ma main à couper qu’elle a un lien avec l’hôpital et la créature. Tout ce qu’il faut à ce village, c’est un immense feu de joie ou un exorciste…Mais aucune des deux options ne convient à M. je veux sauver tout le monde…
Il va l’avoir son histoire pour son futur livre. Le village maudit, ou encore 20000 pieds putréfiés sous terre…
En tout cas, si on ne passe pas la nuit, à quiconque trouvera mon carnet : juste : brûler tout. Il n’y a aucun pouvoir ici, aucun espoir et surtout personne à sauver…
Fuyez. Vite et surtout, n’allez pas dans l’hôpital…Surtout pas !
Soupirant, il observa Jameson.
- On fait quoi maintenant ?
L’écrivain afficha un sourire glorieux en tendant un cahier ancien aux symboles étranges.
- On résout le mystère. Et j’ai trouvé comment ! Juste avec un peu de magie !
- Hors de question. Nop. Jamais de la vie. Non, non et non.
Secouant la tête, Herwin tourna le dos. Trop c’est trop. Un meurtrier, un fou furieux, il pouvait comprendre et gérer ça. Mais des entités, de la magie noire ou toute autre manifestation et incantations aussi dangereuses que folles, jamais.
- Herwin ! Je te jure qu’après avoir tenté, on repart. Quel que soit le résultat.
L’homme aux épaules voutées et aux yeux fatigué tourna la tête. Il ne pouvait l’abandonner ici… Mais pourquoi est-ce qu’il ne pouvait juste pas l’abandonner ici… ?
- Demain matin. Hors de question de faire ça de nuit. Une seule fois. Et on retourne vers l’autoroute même si on doit marcher jour et nuit. Jure-le.
- Juré !
Se passant la main sur le visage, dépité et terriblement inquiet, Herwin prit une profonde inspiration en se pinçant l’arête du nez. Il soupira de longues secondes et lui fit un signe pour retourner à l’auberge.
Foutue malédiction.
Foutue ville…
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