Mogadiscio
Je tiens à remercier de tout mon cœur deux personnes qui me sont chères : Carole Pierret et Yannick Wenkin.
Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi.
1.
Will et moi étions devant l'aéroport international de Mogadiscio, la capitale de la Somalie, en train d'attendre, sous un soleil de plomb, un certain Kwame Efolokko.
- Il fait combien de degrés ici ? 53 ? soupira Will.
Il avait posé sa grosse valise ainsi que son sac, dans lequel reposait tout son matériel pour filmer, sur le trottoir, son chapeau de paille tribly, trop grand, tombait tout le temps sur son nez, abaissant sur son passage ses lunettes de soleil affreuses, le journal qu'il avait acheté dans l'avion à une jolie hôtesse de l'air lui servait maintenant d’éventail.
- Arrêtes un peu de te plaindre, Willy. Sois plutôt content d'avoir pu quitter la pluie de Belgique.
J'étais moi aussi en nage, mais j'étais tellement contente d'être ici. Cela faisait 6 mois que je demandais, non, que je suppliais Orthon, notre rédacteur en chef, d'accepter que je fasse ce voyage en Somalie. Je sais que c'est très dangereux, surtout pour une journaliste, une femme qui plus est, mais je voulais vraiment le faire. Je voulais faire un reportage sur ce pays sans cesse en conflit. Mon chef m'avait prise pour une folle, et je peux tout à fait le comprendre, nous avions perdu un des nôtres là-bas. Milo était parti avec Aby faire un reportage sur la vie des militaires Somaliens mais un groupe de terroristes Somaliens, les Shebab, les avaient enlevés alors qu'ils prenaient des photos, en cachette, de plusieurs exécutions d'hommes faites par des militaires Somaliens selon Aby. Milo et Aby avaient compris depuis longtemps que les terroristes et les soldats faisaient affaires ensemble, et Milo voulait absolument récolter un maximum d'informations pour ensuite tout envoyer au journal. Ils furent enlevés durant sept mois, sept mois pendant lesquels les terroristes les avaient jetés dans un trou et les nourrissants très rarement. Ensuite, ils firent une vidéo qu'ils placèrent dans la poche de pantalon d'Aby avant de remettre cette dernière aux mains de l'armée Somalienne. Lorsque Aby revint seule en Belgique et que l'on retrouva la vidéo sur elle, je compris tout de suite ce qu'il s'était passé. Nous avions été autorisés à la visionner après la police, je me souviendrai toujours de ce jour. Nous étions tous rassemblés dans la salle de réunion, le silence régnait, Orthon plaça la cassette dans le magnétoscope et quelques secondes plus tard une image apparut ; c'était Milo, accroupi, les mains liées derrière le dos, son corps était terriblement maigre, son visage était sale, ses yeux étaient rouges de fatigue, ses joues couvertes d'une barbe brune et ses cheveux devenus trop longs venaient dans ses yeux.
Milo.
Celui qui avait été mon partenaire pendant 5 ans.
Celui qui était mon meilleur ami depuis l'université.
Celui que j'avais toujours considéré comme un frère.
Avait été tué d'une balle dans la tête, par un homme de deux fois son âge, portant une longue tunique blanche, un sabre sur son flanc gauche, un drapeau des Shebab planté à sa droite et un pistolet dans sa main droite.
« Voilà ce que nous faisons aux journalistes un peu trop curieux » avait dit ce monstre avant d'abattre froidement mon ami.
« Amalia, je… Je t'aime... Continue ! » avait dit Milo avant de mourir.
J'avais tout de suite compris son message, il voulait que je parte là-bas pour continuer son travail, pour découvrir ce que trafiquait l'armée avec les djihadistes.
Ce que personne n'a jamais vraiment compris, c'est pourquoi Aby est revenue. S'ils ne voulaient pas que l'on rapporte des preuves, pourquoi l'avoir laissée en vie ? Aby, elle-même, n'a jamais compris.
Elle a été terriblement traumatisée, mais elle n'a jamais voulu abandonner son travail.
Je l'avais haï d'être vivante. Oh oui, je l'avais haï ! Pourquoi elle, elle était revenue et non Milo !
Un jour, elle était venue me voir pour s'excuser. Elle comprenait tout à fait mon sentiment envers elle et lorsqu'elle m'a parlé de ce qu'ils avaient vécu là-bas, j'avais éclaté en sanglots. Elle m'avait consolé et je m'étais excusée de mon comportement. Depuis, nous nous voyons souvent. Elle m'a énormément aidée dans la préparation de mon projet. Je voulais absolument continuer ce que Milo avait commencé, je voulais lui rendre hommage, d'une certaine façon.
Puis William Tudor est arrivé au journal. C'était un cameraman/photographe de mon âge, 28ans. Il avait énormément voyagé après ses études, il prenait de magnifiques photos. Le chef me le désigna comme partenaire. Évidemment, j'ai eu du mal à l'accepter et lui il ne comprenait pas pourquoi je le rejetais comme ça. Cela faisait à peine quelques mois que Milo avait été tué et on voulait déjà le remplacer.
Le Chef m'avait engueulée à plusieurs reprises à cause de mon comportement. Et un jour, William a débarqué dans notre bureau, un dossier dans une main et plusieurs documents dans l'autre. Il avait enquêté de son côté sur la Somalie et son armée. Il voulait venir avec moi, il voulait m'aider à faire le reportage. J'avais accepté sans vraiment savoir pourquoi.
- Hé ho ! Will appelle Amalia ! Allô ?? me cria Will dans les oreilles tout en agitant les bras comme un possédé.
Voilà, ça c'est Will. Un âge mental de plus ou moins 5 ans, un humour infini et un sourire à faire craquer n'importe quelle fille.
- Je disais, expliqua Efolokko avec son accent fort du pays, que j'allais vous conduire à votre chambre d'hôtel et demain matin je viendrais vous chercher pour commencer votre reportage.
Nous étions en route vers l'hôtel, je regardais le paysage défiler sous mes yeux ; des enfants couraient partout, des militaires armés jusqu'aux dents marchaient tranquillement, des femmes portants des bébés ou des vases remplis d'eau allaient et venaient, peu d'hommes étaient présents, sans doute en train de travailler dans les champs ou dans les usines.
Les enfants étaient maigres, les femmes fatiguées et les soldats riaient.
- Le peuple se remet à peine de l'attentat du premier juin, expliqua notre guide au volant d'une jeep crasseuse, les Shebab ont fait explosé une voiture piégée dans l'hôtel Ambassadeur, ici à Mogadiscio. Après que la voiture ait explosé, les assaillants sont entrés dans l'hôtel, des coups de feu et des détonations se sont alors faites entendre toute la nuit. Tous les assaillants ont été tués par les forces de sécurité. Plus de dix personnes sont mortes, beaucoup d'autres sont blessées. On sait que l'attentat contre l'hôtel Ambassadeur a été perpétré quelques heures seulement après que les autorités aient annoncé la mort du cerveau présumé de l'attaque du 2 avril 2015 par les Shebab, vous vous en souvenez sûrement.
- Oui, répondit Will, les Shebab ont attaqué l'université de Garissa, au Kenya, l'attentat avait fait 148 victimes, dont 142 étudiants. Ils étaient quatre terroristes dont un jeune diplômé en droit. Le cerveau de cette attaque, Mohamed Mohamud, ou comme beaucoup le surnomment : Kuno, était un ancien professeur kényan d'une école coranique de Garissa. Il a tout d'abord rejoint le mouvement des Tribunaux islamique, maître de Mogadiscio en 2006, ensuite il est passé par une milice islamiste, qui est alliée des troupes kényanes dans le sud somalien depuis 2015, et pour finir il a rejoint les Shebab.
Will s'était beaucoup informé avant de partir, je lui avais dit tout ce que je savais de la Somalie et des Shebab, mais je ne pensais pas qu'il m'avait vraiment bien écouté. Alors qu'il parlait au guide, je compris qu'il prenait ce voyage vraiment à cœur.
Ils discutèrent encore tous les deux durant le reste du voyage, moi je n'ai rien dit. Je pensais plutôt à Milo, lui qui avait fait le même trajet que moi quelques mois plus tôt. Il m'avait écrit de nombreuses lettres dans lesquelles il m'expliquait son voyage, une d'elle disait que les paysages auraient pu être magnifiques s'il n'y avait pas tous ces militaires armés de leur mitraillette, dans une autre lettre il me disait que la misère là-bas était extrême, les enfants mouraient de faim, les hommes crevaient au travail et les femmes se faisaient souvent violer par les soldats. Le peuple vivait dans la peur constante d'être attaqué encore et encore par les Shebab.
Je devais remettre ces lettres au Chef qui me les rendait ensuite, elles finissaient classées dans un dossier au nom de « Milo-Somalie » qui l'attendait dans un tiroir de son bureau, en face du mien.
Sauf qu'un jour, j'ai reçu une lettre différente avec de nombreuses photos, Milo avait enfin trouvé quelque chose : les soldats engageaient, illégalement, des enfants soldats pour aller combattre les Shebab. Tout le monde pensait que cette monstruosité était terminée, mais bien au contraire, de nombreux enfants se faisaient toujours enlever. Ensuite une deuxième lettre est arrivée, peu de temps avant qu'il se fasse capturer avec Aby par les Shebab, ils pensaient tenir quelque chose de complètement dingue ! Certains soldats se seraient alliés au Shebab pour combattre les soldats éthiopiens et massacreraient en cachette de simples citoyens. Milo et Aby n'étaient pas sûrs de ce qu'ils avançaient, et voulaient en être sûrs avant d'envoyer quoi que ce soit à l’État -ils étaient obligés d'envoyer un rapport chaque fin de semaine à l’État. Quelques semaines plus tard, ils se faisaient kidnapper, nous l'avions appris par une vidéo que la bande des Shebab avait envoyé à notre journal. Les deux journalistes avaient filmé et pris en photos des soldats somaliens aux côtés de Shebab, tuant de pauvres citoyens.
Je sentis une main serrer la mienne, cela me ramena à la réalité et je remarquai que je pleurais, je chassai brusquement les quelques larmes qui avaient coulé le long de mes joues et remerciai doucement Will du regard.
2.
Cela faisait trois semaines que nous étions ici, et nous avions pu discuter discrètement avec quelques habitants de Mogadiscio. Nous avions appris que certains soldats étaient très violents, ils avaient, il y a peu, violé un groupe de femmes pauvres qui allaient chercher de l'eau à la rivière. Nous avions réussi à parler avec une de ces femmes, ce fut très dur pour elle comme pour nous, mais lorsque nous avions dit que nous venions d'Europe et que nous voulions les aider, elle s'était détendue et elle avait parlé. Elle nous avait expliqué comment les soldats leurs étaient tombés dessus alors qu'elles étaient toutes tranquillement en train de remplir leurs seaux d'eau. Cette femme avait convaincu d'autres de venir nous parler, ce qui nous faisait déjà quelques vidéos et témoignages.
Alors que nous nous baladions sur la plage, je repensais à ce que nous avions fait au cours du mois. Nous avions récolté pas mal de témoignages de femmes violées par des soldats, nous avions aussi pu interrogé des hommes qui travaillent dans les usines. Ils sont sous-payés, battus et ils travaillent souvent durant des heures et des heures avec seulement quelques minutes de pause. Un peu comme dans les usines au Bangladesh ou en Inde.
Je m'étais beaucoup rapprochée de William aussi. J’appréhendais de faire ce voyage avec lui, mais au final ça a été bénéfique pour l'un comme pour l'autre. Peut-être un peu trop pour Will… Depuis quelques temps, il n'arrêtait pas de m'inviter au seul restaurant qui restait dans la ville. Je l'avais souvent surpris entrain de me regarder quand on parlait avec les femmes.
- Lia, je peux te poser une question ?
- Oui, bien sûr.
- Tu es avec quelqu'un ? Un homme je veux dire, quoi que tu peux très bien être avec une femme, ce...
- Non
Je m'attendais à cette question là.
- Je n'ai pas envie de me mettre avec quelqu'un sachant que je peux mourir à n'importe quel moment. Je suis une journaliste de guerre, je suis donc très souvent partie et je n'ai pas envie de changer, oh non, pour rien au monde.
- Même pas avec un journaliste ?
- Même pas avec un journaliste.
Je ne l'avais plus entendu de toute la soirée. J'avais mangé toute seule, il avait prétexté avoir du boulot à faire sur son ordinateur. Je l'avais blessé, je le savais, mais je ne voulais pas qu'il s'imagine quelque chose. Il resta froid pendant deux trois jours puis il était revenu le Will que je connaissais.
3.
Alors que Will et moi étions en train de souper tranquillement au restaurant de l'hôtel, nous avons entendu une sorte d'explosion et les murs de l'hôtel ont littéralement explosé, des débris volèrent partout, le lustre qui se trouvait pas loin de moi, s'écrasa sur un client, je ne pus détourner ma tête de cette horreur. Je sentis une douleur atroce dans mon ventre, j’étouffai un cri et plaçai mes mains sur mon chemisier noir, lorsque je les retirai, je remarquai qu'elles étaient en sang. Mais je n'avais pas le temps de regarder, il fallait que je sorte de là. Je me retournai pour voir où était Will mais ne le trouvai pas, je criai après lui, sans réponse. Puis je le vis qui faisait demi tour et qui se dirigeait vers le fond de la pièce.
- Will ! Hurlais-je, mais dans la cohue, il n'entendit pas mon cri, Will ! Où vas-tu ?
Je courrai après lui et lui pris le bras pour l'arrêter. Il se retourna alarmé et fit les gros yeux en me voyant.
- Lia ! Sors !
- Mais où vas-tu ? Criais-je.
- Il faut que je prenne mon appareil photo ! Il nous faut un max de photos de tous les attentats qui éclatent ici! Maintenant vas-t-en ! Tout risque de s'écrouler.
Soudain, la lumière s’éteignit, il faisait aussi noir que dans un four, je ne voyais plus rien et il y avait énormément de fumée.
- Will ! Je… Je n'arrive pas à respirer avec toute cette fumée !
J'entendis qu'il déchirait quelque chose et me le posa délicatement sur le visage.
- Mets ça sur ta bouche, et maintenant sors, on se rejoint dans dix minutes près du poteau à la forme bizarre à coté de l'hôtel. Tu t'en souviens ?
J'étais complètement perdue, c'était pas la première fois que je partais dans un pays à risque, mais c'était la première fois que j'étais prise dans un attentat.
- Lia ? Tu m'as compris ? Répéta Will.
- Oui. Mais... et toi ?
Il était déjà parti.
Je me retournai et me dirigeai lentement et prudemment vers ce que je pensais être la sortie. J'entendais des cris, des hurlements.
Je ne voyais rien.
Soudain, je marchai sur quelque chose de mou. Je reculai,pris mon téléphone et activai la lampe torche.
Je n'aurais pas dû.
Je hurlai face à l'horreur que j'avais sous les yeux.
Un cadavre.
Un cadavre d'une femme dont la moitié du visage était arraché, il lui manquait une partie de son bras droit aussi.
Alors je me mis à courir, les larmes dévalaient mes joues, je vis d'autres cadavres, les uns plus horribles que les autres. Lorsque je vis enfin la porte, ou du moins ce qu'il en restait, je fonçai et sortis. Des secours arrivèrent directement vers moi, mais je leur dis que je n'avais rien, ils me donnèrent de l'eau et me demandèrent si j'avais vu des survivants.
- Mon ami est encore dedans, il va revenir, il…
Mais je me tus, car personne, à part Efolokko, savait que nous étions des journalistes.
J'étais assise par terre, la tête dans mes genoux, à côté du poteau bizarre et j'attendais. Ça faisait bien quinze minutes que j'attendais et Will n'était toujours pas là.
Les secouristes étaient à l’intérieur pour essayer de retrouver des survivants.
Quelqu'un posa sa main sur mon bras, je relevai la tête et vis Will.
Will avec ses cheveux complètement en bataille, son visage noir de suie, son torse nu et blessé, Will en piteux état mais vivant !
- Oh Will !
Je me jetai dans ses bras.
- J'ai eu si peur ! Tu… Tu aurais du voir ! J'ai marché sur… sur une morte ! Et…
- Chut Lia, dit-il doucement.
Il me caressa le dos pour essayer de me calmer.
Les secours arrivèrent vers nous et soignèrent Will, ce n'était pas très grave, juste quelques coupures sur le torse et sur le bras. Quand ils s’éloignèrent, Will me regarda droit dans les yeux et dit :
- Lia, je sais que c'est dur, mais nous allons devoir y retourner pour prendre des photos et pour faire un rapport détaillé et l'envoyer en Belgique. Tu te sens capable de faire ça ?
Le visage à moitié arraché de le femme ne voulait pas quitter mon esprit, ni le corps de l'homme transpercé par le lustre mais je hochai la tête.
- Nous ne devons pas nous faire voir par les militaires, s'ils nous voient, c'est foutu, d'accord ?
Je hochai toujours la tête, il me tendit sa main et je la pris, comme un robot. Pendant que nous marchions vers l'arrière de l'hôtel, j'essayais de faire le vide dans ma tête, de ne plus penser à cette femme ni à cet homme.
On arriva à l'arrière sans trop de problème, la porte était bloquée mais une fenêtre, qui donnait sur les cuisines, était ouverte. Will me porta pour que je puisse me faufiler à l'intérieur.
Là aussi c'était l'horreur, les corps des cuisiniers trempaient dans une mare de sang.
- Will, murmurai-je, je…
- Il faut que tu regardes Lia, je sais que c'est dur mais si on veut faire un rapport, on ne doit rien rater. J'ai déjà envoyé un message à Orthon.
Il prenait déjà des photos de la pièce et des cadavres, je sortis alors le petit carnet que j'avais toujours sur moi et commençai à écrire une liste de mots
Sang
Cadavres
Cuisiniers
Porte bloquée
Fumée
Balles
Nourriture
Détruit
Avant d'entrer dans la grande salle du restaurant, Will me noua un morceau de tissu autour de la bouche et fit de même sur lui, pour que l'on ne respire qu'un minimum de fumée.
On entra discrètement dans la salle, les secouristes ne firent pas attention à nous, ils étaient trop occupés avec les quelques survivants. Mais quelque chose me troubla. Il n'y avait aucun militaire dans l'hôtel. Ce n'était pas normal.
Je continuai ma liste.
? ABSENCE TOTALE DE SOLDAT ?
Salle de restaurant
Beaucoup de cadavres
Survivants
Secouristes
Pleurs, cris, hurlements
Pas de lumières
Torches des secouristes
Beaucoup de débris
Plafond en partie démoli
Murs démolis
? TERRORISTES ? Toujours présents ?
Shebab??
Soudain, on entendit de nouveau des coups de feu, Will me tira par le bras, m'emmenant plus loin puis se jeta sur moi en criant de me coucher. Nous étions couchés par terre, derrière le bar, pas loin du corps du barman, Will au dessus de moi me protégeait avec son corps. Soudain, Will fit quelque chose de complètement fou ; il posa sur le bar son appareil photo en mode vidéo puis se recoucha sur moi. Si quelqu'un voyait l'appareil, nous étions morts. Mais personne ne vint. On entendait des tirs, des gens hurler, les terroristes criaient des mots que je ne comprenais pas. Et ça durait, ça durait. J'avais l'impression d'être couchée là depuis des heures. Surtout que mon ventre me faisait de plus en plus mal, je n'avais rien dit aux secouristes, car il y avait beaucoup plus grave que moi, ils n'avaient rien vu étant donné que mon chemisier était noir, mais moi je sentais le sang couler. Et ça commençait à me faire terriblement mal, j'avais aussi quelques coupures au visage, ma lèvre était douloureuse et je commençais à avoir des crampes. Je gigotais sous Will, mais il s'approcha de mon oreille.
- Ne bouge surtout pas Lia, sinon on va se faire repérer.
- Je sais, chuchotais-je, mais j'ai mal…
- Tu es blessée ? Demanda-t-il alarmé.
- Rien de grave, je t'assure…
Du moins, je l'espère.
Quand les coups de feu cessèrent, on attendit encore une bonne dizaine de minutes pour être sûrs qu'il n'y avait plus aucun danger puis Will me dit de ne pas bouger et se redressa lentement. Il récupéra son appareil photo qui avait filmé une grande partie de la tuerie. Lorsque je voulus me redresser, je retombai lourdement par terre, tellement j'avais mal.
- Lia !
Will se laissa tomber en face de moi.
- Lia, regarde moi !
- Ça fait mal, Will…
- Tiens bon, on va sortir de là !
Il me prit dans ses bras, enjamba le corps du barman, et commença à marcher prudemment vers une quelconque sortie tout en regardant tout autour de lui pour voir s'il n'y avait plus d'assaillants.
- Waxaa jira badbaaday ! Cria un militaire.
Je regardais Will, je ne comprenais pas le Somali et je ne savais pas si on pouvait faire confiance à ce soldat.
- Tu es blessée, il faut te soigner alors nous n'avons pas vraiment le choix.
Il se dirigea vers le militaire qui lui demanda :
- Waxaa jir oo kale dhaawac ?
Puis il nous regarda et comprit que nous n'étions pas d'ici.
Alors il reprit, mais en un français presque parfait.
- Il y a autres survivants ?
Will prit la parole, moi je n'avais qu'une seule envie, c'était de m'endormir, j'étais bien là en plus, dans ses bras.
- Nous n'en savons rien, nous n'en n'avons pas vu en tout cas, mais pourquoi n'êtes vous pas venu plus tôt ?
Mes yeux commençaient à se fermer. Je n'entendais plus que des voix lointaines, puis quelqu'un me secoua un peu, j'entendis quelqu'un crier mon nom plusieurs fois puis plus rien.
Je me sentais légère, j'avais l'impression de flotter, je ne ressentais rien, pas même mon corps. Je ne savais pas où j'étais, étais-je morte ? Non, pas possible, pas avec une si petite blessure. A moins que le militaire qui discutait avec Will était un corrompu…
J'avais froid, terriblement froid. Pourtant, pas une seule fois depuis que nous sommes arrivés en Somalie, je n'ai eu froid.
Soudain, j'entends quelque chose, quelqu'un parle près de moi, mais je n'arrive pas à distinguer ce que la personne dit.
Allez, Amalia, un petit effort.
J'essayai de bouger ma main mais rien.
Je sentais que je sombrais de nouveau dans les ténèbres, j'essayai de rester mais le noir m'engloutit de nouveau.
Lorsque je repris mes esprits un peu plus tard, je n'avais plus l'impression de flotter, j'avais mal à l'abdomen, ma lèvre me lançait et j'avais l'impression que le sang ne passait plus dans une de mes mains. J'ouvris les yeux et la première chose que je vis, fut un Will endormi sur une chaise contre mon lit, la tête sur mon bras. De ma main libre je lui caressai les cheveux, ils étaient plus longs qu'à notre arrivée ici, remarquais-je. Ça lui allait bien. Je ne voulais vraiment pas le réveiller, mais je ne sentais plus ma main tellement il la serrait.
? Will, murmurais-je en le secouant doucement, Will !
Il grogna, remua, mais ne se réveilla pas. Alors je lui tirai les cheveux.
- Puta… Lia !
Je riais, mais très vite grimaçai de douleur à cause de mon ventre.
- Ça va ? Tu veux qu'on appelle le médecin, tu…
- Ça va aller Will, j'aimerais juste que tu lâches un peu ma main parce que je pense que je ne pourrai bientôt plus m'en servir.
Il relâcha tout de suite ma main tout en s'excusant.
- Qu'est-ce que je fais là ?
Son visage s'assombrit, c'était pas bon ça.
- Lia, pourquoi ne m'as-tu pas dit tout de suite que tu étais blessée ? Et puis, quand tu es sortie la première fois de l'hôtel, tu aurais pu te faire soigner !
- Il y avait des personnes plus blessées que moi, Will…
- Plus blessées que toi ? Lia ! Tu avais un morceau de métal d'environ 5 centimètres enfoncé dans ton abdomen et tu trouves que ce n'est pas grave ? Tu as perdu énormément de sang ! Tu aurais pu mourir, rajouta-t-il tout bas.
Je ne savais pas quoi dire, quand j'avais commencé à ressentir une douleur, je n'avais même pas pensé à regarder, trop angoissée par ce qu'il se passait autour de moi et par l'idée que Will ne sorte pas vivant de l'hôtel.
- Je suis désolée…
Il redressa sa tête et me sourit.
- Ne refais plus jamais une chose pareille en tout cas, tu es restée inconsciente trois jours, trois jours pendant lesquels j'ai cru devenir fou !
Il avait l'air tellement fatigué, des grosses cernes se dessinaient sous ses beaux yeux bleus, ses cheveux étaient en bataille, ses yeux étaient rougis par la fatigue.
- Dors un peu, tu es épuisé, lui dis-je.
- Non, il faut d'abord que j’appelle le médecin et Orthon pour les prévenir que tu es réveillée. Si tu avais entendu Orthon, il était fou de rage qu'il te soit arrivé quelque chose, il ne cessait de répéter « Je lui avais dit que c'était une mauvaise idée, mais cette tête de linotte n'en fait toujours qu'à sa tête ! », dit-il en imitant la voix grave de notre rédacteur en chef.
Je commençai à rire, mais de nouveau m'arrêtai assez vite car rire me faisait un mal de chien.
Après que le médecin soit parti, j'obligeai Will à dormir quelques heures. Il s'était donc allongé à côté de moi, j'étais collée à lui vu toute la place qu'il prenait avec son corps. J'entendais sa respiration régulière qui m'indiquait qu'il dormait.
Je le regardais dormir, on aurait dit un gros bébé.
Il m'avait sauvé la vie.
Je venais seulement de m'en rendre compte, j'avais tellement été sous le choc avant.
Sans lui je serais morte à cette heure-ci. Il fallait que je le remercie d'une manière ou d'une autre.
Il en avait bavé avec moi, je l'avais détesté quand il était arrivé. Je lui en avais fait voir de toutes les couleurs, je lui donnais les tâches les plus ingrates, comme aller classer les vieilles archives qui se trouvaient dans les caves du journal, là où ça sent le moisi et où il n'y a que très peu de lumière. Je lui avais dit de me faire des photos sur des sujets totalement inintéressants et quand je devais aller sur les lieux d'un accident, je lui disais de rester au bureau pour répondre aux appels. Malgré tout ça, il était resté, il n'avait jamais protesté, il n'avait jamais été se plaindre auprès du Chef et le pire de tout c'est que quand un de mes collègues me faisait une remarque sur mon horrible comportement vis-à-vis de lui, il prenait ma défense.
Je faisais ça, car je n'arrivais pas à accepter la disparition de Milo et voir qu'ils l'avaient remplacés aussi facilement m'avait rendue malade. Il avait été un de nos meilleurs journalistes, il avait fait de nombreuses choses positives au sein du journal, il avait été un héro jusqu'au bout et eux, ils lui avaient déjà trouvé un remplaçant… Alors, j'avais envoyé toute ma rage sur William, parce qu'il fallait que je le fasse sur quelqu'un.
Avec le temps, je m'étais calmée, Orthon m'avait fait un long discours pour me dire qu'il comprenait tout à fait mon comportement mais que là, ça commençait à bien faire et il fallait que cela cesse car il ne voulait pas perdre un photographe comme lui. Je n'avais pas arrêté, j'avais juste diminué.
Et je ne m'étais encore jamais excusée.
Cela faisait trois heures qu'il dormait, il était tellement fatigué qu'il avait à peine bougé dans son sommeil.
- Quand est-ce que je pourrais sortir ? Demandais-je au docteur.
- Nous allons vous garder encore deux jours, puis vous pourrez sortir. Mais attention, pas de trop gros efforts pendant au moins deux semaines, vous devrez changer votre bandage deux à trois fois par jour. J'ai déjà tout expliqué à votre ami, car vous ne saurez pas faire ça toute seule. Je vous ai prescrit aussi des médicaments, tout est écrit sur ce papier, il me tendit une feuille verte sur laquelle étaient marqués des mots à peine lisibles.
Une chose qui ne change pas : les médecins somaliens n'écrivent pas mieux que les médecins belges.
- Une psychologue est mise à disposition pour les survivants, si cela vous…
- Combien y a t-il de victimes ? Le coupais-je, inquiète par la réponse qu'il allait me donner
- On est pas encore sûr du nombre, car des personnes sont encore portées disparues et…
- Docteur, dites moi la vérité !
- 78, lâcha Will derrière moi.
Il me regardait avec ce regard qui me rendait complètement dingue, j'avais l'impression de me perdre dans ses yeux.
78 morts.
78 vies arrachées pour des conneries.
78 personnes qui voulaient simplement manger un bon repas ou se reposer dans un bon lit.
Je ne savais pas quoi dire. De toute façon, quoi que je dise, cela ne changera rien. Le mal est fait. Et ce n'est malheureusement pas près de s'arrêter.
Je revoyais le corps de cette pauvre femme dont le visage avait été à moitié arraché.
Je revoyais le corps de ce pauvre homme transpercé par le lustre.
Je revoyais tous ces corps baignant dans des mares de sangs.
- Lia, m'appela Will tout en posant sa main sur mon épaule.
Je me jetai dans ses bras et pleurai.
Il me serra tout contre lui et me chuchota des mots réconfortants dans mon oreille tout en caressant mes cheveux.
J'étais assise confortablement contre Will pendant qu'il téléphonait à Orthon. Je lui avait demandé de mettre le haut parleur pour que je puisse écouter en même temps.
- Allô ? Dit la voix grave de notre rédacteur en chef.
- Orthon, c'est Will. Juste pour vous dire qu'Amalia est réveillée depuis quelques heures maintenant.
On entendait énormément de bruits derrière lui, les téléphones sonnèrent sans cesse, les journalistes criaient, parlèrent. Bref, cela avait l'air d'être la cohue.
- Elle est réveillée ?? Passe la moi tout de suite ! Amalia !
- Oui, disais-je d'une petite voix
- Amalia Roosevelt !! hurla Orthon.
Derrière lui, plus aucun bruit ne se faisait entendre.
- Remettez-vous au travail vous ! On a du pain sur la planche avec tout ce qu'il se passe ici!
- Tout ce qu'il se passe ? s'étonna Will.
- Vous ne suivez pas les infos ou quoi ? Vous êtes de vrais journalistes ou pas ?
- Désolée Orthon d'avoir été prise dans un attentat et d'être restée inconsciente pendant trois jours, me moquais-je.
Orthon marmonna quelque chose dans sa barbe puis :
- Jeudi soir, pendant la fête nationale française, un attentat a eu lieu ! Mohamed Lahouaiej Bouhlel, un franco-tunisien de 31 ans, a foncé à 22H45 sur la foule avec son camion sur la promenade des Anglais à Nice. Il a fait 84 victimes dont des enfants, 202 blessés, 54 sont en urgence absolue dont 25 en réanimation. Le camion a roulé sur deux kilomètres avant d'être arrêté par la police qui a abattu le conducteur. L’État Islamique a revendiqué l'attentat, mais seulement quelques jours après. Pourtant, on sait de par des proches du tueur, que Bouhlel buvait, mangeait du porc, n'allait jamais à la mosquée, aucun message de revendication n'a été retrouvé sur lui ou à son domicile, ni aucune trace d’allégeance à l’État islamique. Nous ne savons donc pas encore s'il était un sympathisant djihadiste dissimulé ou s'il a juste voulu se suicider en emportant un maximum de gens avec lui. Certains pensent qu'il se serait radicalisé très vite, une « radicalisation éclair ». Si c'est le cas, ça deviendrait très inquiétant car le nombre de radicalisés augmenteraient considérablement. Oui, imprimez-moi ça et en vitesse ! Cria-t-il à un journaliste, son ex-femme a été entendue, elle disait qu'il était assez violent avec elle. Il avait un passé de délinquant, il avait été condamné à 6 mois de prison avec sursis pour des violences volontaires avec arme. Des voisins de son ancien immeuble pensent que ce n'était pas un problème de radicalisation, mais plus un problème psychiatrique. Il faisait souvent des crises après la séparation avec sa femme. Un voisin a expliqué qu'il avait trucidé le nounours de sa fille à coup de poignard et lacéré le matelas. Bref, c'est un malade. La deuxième chose...
- La deuxième chose ? M'écriais-je, parce que ce n'est pas terminé ?
- Non, malheureusement… Dans la nuit de vendredi à samedi, l'armée Turque a pris le pouvoir.
- Mon dieu, souffla Will dans mon dos.
Moi, j'étais tellement crispée que je commençai à avoir mal partout.
- L'armée a pris position à Ankara et à Istanbul, en milieu de soirée. Vers 22heures, la chaîne publique turque de télévision a diffusé un communiqué venant des « forces armées turques » dans lequel, une proclamation de la loi martiale et d'un couvre feu sur l'ensemble du territoire turc allait être imposé. Les réseaux sociaux ont été bridés, les communications, filtrées, l'armée annonçait le confinement de 80 millions de personnes, les aéroports on été bouclés. Plus personne ne pouvait ni quitter, ni entrer dans le pays. Évidemment, des coups de feu, des explosions et un déploiement militaire ont été signalés partout.
- Mais comment ce fait-il que cela n'ai duré qu'une nuit ? Demandais-je.
- Justement, j'allais y venir, continua Orthon, Le président, Erdogan, qui vous le savez, déteste les réseaux sociaux, a fait passer un message au peuple grâce à l'application « Facetime ».
Will riait dans mon dos, moi j'attentais la suite.
- Il a appelé les Turcs à descendre dans les rues pour résister à la tentative du coup d’État. Quelques heures plus tard, les rues du pays entier étaient remplies de monde. La majorité du peuple a dit non au coup d’État.
- Il y a eu combien de victimes ?
- Plus ou moins 265 victimes et près de 1200 blessés. C'est le bordel ici au journal !
- Tu as mis qui pour Nice et pour la Turquie, demandais-je.
- Turquie, j'y ai mis Alya et Marc et pour Nice… Je voulais te rappeler mais aux vu des événements, j'ai envoyé Eden et Maëlle.
- Maëlle ?? s'écria Will.
- Oui, Maëlle, répondit Orthon, ne t'inquiètes pas, il ne lui arrivera rien. J'ai mis Eden avec, et elle n'en est pas à son premier voyage en pays à risque. Ne t'inquiètes pas, il n'arrivera rien à ta Maëlle, ria notre rédacteur en chef.
Maëlle ? Cette fausse blonde à la poitrine plus que généreuse ? Pourquoi Will était si inquiet pour elle ? Se pourrait-il que… Non, ce n'est pas possible ! Mais de toute façon, qu'est ce que ça pouvait bien me faire ? Je n'aimais pas Will… enfin presque…
4.
J'étais assise sur le balcon de notre chambre d'hôtel, le Chef ainsi que le commissaire avaient insisté pour que nous prenions une chambre pour deux, car c'était plus prudent, on ne sait jamais, un homme mal attentionné pourrait entrer dans ma chambre et me violer. Comme si je ne savais pas me défendre.
Ce matin j'avais (enfin) pu sortir de l'hôpital. Le médecin m'avait bien répété dix fois que je ne devais rien faire de fatiguant, ne pas trop marcher et encore moins courir. Bien sûr docteur ! Je suis une journaliste en plein travail et je vais me dorer la pilule au soleil pendant deux semaines ! Will quant à lui, l'avait pris au mot. Il faisait tout à ma place et plus encore, par exemple lorsque je suis rentrée ce matin, il m'avait fait couler un bain dans notre nouvel hôtel, m'avait préparé une spécialité d'ici, bref il avait été adorable.
Je regardai le paysage qui s'offrait à moi, tout n'était que ruine, les bidonvilles s'étendaient à perte de vue, c'était horrible. Le soleil se couchait au loin, le couvre feu avait sonné depuis environ trente minutes maintenant, mais on entendait toujours quelques cris d'enfants, deux trois chiens errants, aboyer, une femme criant le nom de son enfant… Des soldats patrouillaient dans les rues, comme chaque jour et chaque nuit. Le nombre de militaires dans les rues avait augmenté après l'attentat à l'hôtel, il y a toujours eu des militaires dans les rues, mais cela faisait longtemps qu'il n'y en avait pas eu autant selon Effoloko. Le vent chaud faisait voler la poussière des routes. La ville aurait pu être magnifique avec les ruines d'anciens monuments et avec ses plages magnifiques, mais avec tous ces tanks qui passaient et repassaient, tous ces déchets qui jonchaient les rues, toutes ces maisons détruites par les guerres et rébellions, la ville était un cimetière. Un cimetière dans lequel il était dangereux de s'y aventurer.
Depuis que nous étions là, nous avions entendu des centaines de coups de feu, nous avions vu des morts à gauche à droite, il y avait souvent des voitures en feu, je ne saurais dire le nombre de civils que j'ai vu en sang demander de l'aide, sans que personne ne réponde à leurs appels. Ici, c'est chose courante que de voir des morts joncher les trottoirs.
Puis il y avait eu l'attentat. Il a tout de suite été revendiqué par les Shebab, le nombre de morts s'élevait à 91 personnes dont 4 terroristes, 2 bébés, 16 enfants et 20 membres du personnel. Il y avait une trentaine de blessés dont 12 entre la vie et la mort.
La population avait mal et vivait dans la peur depuis des années, mais quand Will et moi sortons, nous sommes toujours accueillis chaleureusement par n'importe quel habitant. Les enfants nous tournent autour, les femmes nous invitent dans leur cabanon et elles m'offrent des vases, des étoffes. Will a reçu un jour de la part d'un vieux sage, un chapeau. Alors que ce peuple est sans arrêt persécuté, vit dans la pauvreté extrême et dans la violence, il reste chaleureux envers ses quelques touristes. Ce qui n'est pas souvent le cas chez nous.
Je sentis des mains froides se poser sur mes épaules nues, je me retournai et vit Will vêtu que d'un short.
Will était beau. Vraiment. Ses cheveux blonds bruns qui lui arrivaient aux épaules, sa barbe de quelques jours qui s'était transformée en une barbe d'un mois. Sur son torse parsemé de poils, je découvris quelques cicatrices, je levai un sourcil et il me dit :
- Blessures de guerre. Je vais devoir te remplacer ton bandage Lia.
- Je peux très bien le faire toute seule, rétorquais -je.
- Ah bon ?
- Oui, tout à fait ! Tourne toi !lui ordonnais-je.
Il leva les yeux aux ciels, mais fit ce que je lui demandais.
J'enlevai mon chemisier blanc, bouton par bouton, puis commençai à enlever le bandage. Jusque là, rien de très compliqué, mais le problème c'est que je ne savais absolument pas ce que je devais prendre pour désinfecter ma plaie. Le médecin avait tout expliqué à Will quand j'étais encore inconsciente.
Je mis tout par terre et commençai par lire toutes les inscriptions pendant que Will se marrait devant moi. Je ne comprenais rien.
- C'est bon, t'as gagné. Viens m'aider.
Il se retourna et je vis ses yeux descendre vers ma poitrine, juste quelques secondes, puis il se dirigea vers la salle de bain. Lorsqu'il revint près de moi, il portait une bassine remplie d'eau. Il se mit à genoux devant moi et avec un gant de toilette commença à nettoyer ma plaie, délicatement. Puis après il prit un flacon orange,fit couler un liquide gluant sur sa main et l'approcha de mon ventre.
- Tu vas vraiment me foutre ce truc sur le ventre ? Dis-je horrifiée.
Will éclata de rire.
- Allez, Lia fais pas ta mijaurée.
Je poussai un soupir et le laissai faire.
Lorsque je sentis ses doigts sur ma peau, j'eus des frissons. Il releva les yeux vers moi tout en continuant d'appliquer cette pommade hideuse, il soutint mon regard un temps et une fois de plus je me perdis dans ses yeux océans.
- Viens je dois te montrer quelque chose, mais couvres-toi, car nous sortons.
En Somalie, bon nombre de femmes portent le voile, et quelques jours après notre arrivée ici une vieille dame m'avait attrapé le bras et m'avait dit :
- Couvrez-vous malheureuse ! Vous êtes indécente !
Depuis, pour ne pas trop attirer l'attention, je portais un léger foulard qui couvrait peu mes cheveux mais assez pour ne pas recevoir de remarques d'autres personnes ou de drôles regards.
Je pris la main qu'il me tendit et nous sortîmes discrètement de l'hôtel.
- Où m'emmènes-tu ? Lui demandais-je intriguée.
Il me répondit par un sourire malicieux. Cela m'avançait.
Lorsque nous arrivons à la sortie de la ville, pas loin de la mer, je m'arrêtai.
- Qu'est-ce qu'il y a Lia ? Me demanda Will, inquiet.
- J'aimerais savoir où tu m'emmènes !
On aurait dit une petite fille de 5 ans qui boudait, mais tant pis.
- Lia… Tu verras.
Il se retourna pour continuer à marcher, mais je restai plantée là.
Remarquant que je ne le suivais pas, il revint vers moi et prit mon visage en coupe entre ses mains.
- Amalia, des fois j'ai envie de te bâillonner !
Je ne répondis rien, trop absorbée par ses yeux. Ses yeux d'un bleu éclatant, un bleu qui me fait penser à la mer adriatique. Lui aussi me regardait droit dans les yeux, il s'était même rapproché, mais au dernier moment, il se recula.
- Bon allez, viens maintenant.
Après encore cinq minutes de marche, nous arrivons à la plage. C'était magnifique, le soleil était en train de se coucher, on aurait dit qu'il allait plonger dans la mer. J'étais comme hypnotisée par ce paysage. Enfin un peu de calme et de beauté dans ce pays de brutes.
Will s'installa à côté de moi dans le sable, mais je me redressai.
- Will, c'est dangereux de rester ici, le couvre feu a sonné depuis plus d'une heure maintenant et si des soldats nous voient, je ne donne pas cher de notre peau car ils découvriront très rapidement que nous sommes des journalistes.
- Ne t'inquiètes pas, aucun soldat ne passe par ici, ni même en journée car c'est un endroit assez reculé de la ville et les seules personnes qui y vont ce sont les femmes pour puiser de l'eau. Alors maintenant tais-toi et admires le paysage, Lia.
Je lui tirai la langue mais fis ce qu'il me dit. C'était tellement reposant de regarder la mer.
- Will…
- Mmmh ?
Il était couché, les mains derrière la tête, les yeux fermés.
- Je… je voulais m'excuser pour mon comportement envers toi lorsque tu es arrivé. Vraiment, je suis désolée. Ce n'était pas tout à fait contre toi, c'était… Enfin…
Il s'était redressé et me regardait, son épaule touchait la mienne.
- Un peu avant que tu ne viennes, mon meilleur ami a été tué ici, en Somalie par des Shebab. Lui et Aby étaient partis pour faire un reportage en Somalie sur les Shebab, sauf qu'ils ont découvert quelque chose et les Shebab ont voulu les faire taire. Milo était mon partenaire depuis le début. Et sa disparition a été très dure pour moi, encore aujourd'hui, je n'arrive toujours pas à croire que je ne le verrais plus jamais. Ce que l'on ne comprend pas, c'est pourquoi ils ont laissé la vie sauve à Aby. Évidemment, ils ont supprimé toutes les photos qu'ils avaient prises au cours de leur voyage, mais Aby nous a un peu expliqué ce qu'il ce passait là-bas. Mais elle n'a pas voulu dire qu'ils avaient vécu tous les deux aux mains des Shebab et on avait respecté son choix. On a juste essayé de savoir pourquoi elle était revenu vivante, mais elle n'a jamais su nous répondre. Malgré qu'elle soit revenue en Belgique complètement terrorisée, elle a voulu reprendre le travail assez rapidement, ça l'aide à ne plus penser à toutes ces horreurs disait-elle. Je l'ai détesté elle, d'être revenue vivante et je t'ai détesté toi, d'avoir pris la place de Milo. Je suis vraiment désolée. Je te demande pardon, pardon pour tout ce que je t'ai fait endurer.
Will ne répondit pas tout de suite, il me regarda longuement puis se rapprocha encore un peu plus de moi. Son doigt caressa mon visage et il me sourit.
- Je ne t'en ai jamais voulu Lia, je savais que je remplaçais un journaliste kidnappé et tué dans un pays d'Afrique, on m'avait aussi prévenu que ça n'allait pas être facile pour moi au début. On n'avait rien voulu me dire de plus. Ni l'identité du journaliste, ni la relation qu'il avait avec toi, alors j'ai enquêté de mon côté. J'ai su alors que Milo Hurtsellers était un des meilleurs photographes que vous aviez eu au journal, que vous étiez partenaires depuis quasiment le début et que vous étiez très proches. Alors, j'ai pris sur moi, mais c'est vrai qu'à des moments j'avais qu'une envie, c'était de te foutre une bonne paire de claques !
Il replaça une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.
- Je ne te cache pas non plus que lorsque Orthon t'a remise en place, j'étais content.
- Mais pourquoi avoir voulu faire le voyage avec moi ? Lorsque tu m'as lâché que tu voulais être mon photographe, j'ai vraiment cru que tu me faisais une blague.
Il détourna le regard et regarda l'océan.
- Will ?
Il continua d'éviter mon regard, mais me répondit :
- Un autre jour, peut-être.
Puis.
- Un bain de minuit ça te tente ?
- Will, j'ai mon bandage…
- Ce n'est pas grave, on en refera un après.
Son visage était illuminé d'un immense sourire.
- On peut bien, pour une fois, s'amuser.
- On est pas ici pour s'amuser je te rappelle ! On a une mission, et ça fait plus d'un mois qu'on est ici et on a franchement pas avancé…
- Lia, si tu ne te décides pas, je te jette toute habillée dans la mer, dit-il avec un petit sourire en coin.
- C'est bon, c'est bon, je te fais confiance !
Je défis mon chemisier, enlevai mon jeans, mais quand je me redressai, je vis le regard brûlant que me lançait Will. Sentant mes joues chauffer, je criai tout en courant vers la mer :
- Le dernier dans l'eau et une poule mouillée !
On riait comme des enfants, le soleil avait été englouti depuis longtemps maintenant, laissant place à la lune. Le vent soufflait à peine et la chaleur était encore présente.
J'étais en train de rire comme une malade après avoir vu les algues emmêlées dans les longs cheveux de Will, mais lorsque je me calmai, je ne le vis plus. Je tournai sur moi même dans l'eau, mais ne vit rien. J'étais seule dans l'eau. L'eau ne m'arrivait qu'au ventre, donc je n'avais rien à craindre, mais me retrouver ici toute seule, ne me plaisait pas vraiment.
- Will ? Criais-je.
Rien.
- Will?! Hurlais-je cette fois-ci.
Toujours rien.
J'allais de nouveau hurler quand quelqu'un derrière moi plaqua sa main sur ma bouche. Je bougeai dans tous les sens afin de me libérer, je tentai de donner des coups de pieds, mais dans l'eau cela ne servait à rien. Puis, enfin la personne derrière moi me lâcha et j'entendis le rire de Will.
- Je vais te tuer imbécile !
Il posa de nouveau sa main sur ma bouche.
- Chut petite Lia. On va se faire choper si tu continues de gueuler comme tu le fais.
- À qui la faute ?
Il ne me répondit pas, se contentant de me regarder. Il était très proche de moi, je sentais son souffle s'écraser sur mon visage. Il mit une de mes mèches de cheveux derrière mon oreille, puis il rapprocha son visage du mien et sans m'en rendre compte, j'avais fermé les yeux.
Will prit mon visage entre ses mains.
- Tu es magnifique Amalia… et j'ai…
- Tais-toi et embrasse-moi !
Il ria un peu, puis posa enfin ses lèvres sur les miennes.
J'avais l'impression de planer…
Je ne pensais à rien.
Je ne pensais plus à l'attentat.
Au Shebab.
À Nice.
À la Somalie.
À la Turquie.
À Orthon.
À Milo.
Plus rien n'existait à part Will et moi.
Will caressa mes cheveux et me serra plus fort tout contre lui. J'étais au paradis.
J'étais debout au milieu de notre chambre d'hôtel, Will était contre la porte et semblait absent. Je ne savais pas comment réagir… Devais-je faire comme s'il ne s'était rien passé ? Impossible. Alors quoi ? Mon partenaire n'avait pas dit un seul mot durant tout le chemin du retour. Regrettait-il ?
N'en pouvant plus, je me retournai et me dirigeai vers la petite salle de bain afin d'enfiler d'autres vêtements plus confortables pour dormir. Mais alors que j'allais ouvrir la porte, Will m'arrêta. Il me plaqua contre lui, et je pouvais sentir son torse musclé contre mon dos.
Je sentis ses lèvres laisser des baisers brûlants tout le long de mon cou et de ma clavicule, ses mains glissèrent sur mes bras et mon corps se tendit. Ensuite il me retourna afin que je sois face à lui et
il posa ses lèvres sur les miennes. Je m'accrochai à lui, je ne voulais pas me détacher de lui. Ses lèvres étaient douces et ses mains s'emmêlaient dans mes cheveux. Je reculai jusqu'au lit et nous fis basculer dessus. Will me regardait avec ce regard qui me faisait fondre à chaque fois. Tout en me regardant, il commença à défaire lentement les boutons de mon chemisier, puis je me redressai et lui ôtai son t-shirt. Il enfuit sa tête dans mon cou tout en entrelaçant ses doigts aux miens.
Je ne savais plus ce que je faisais.
Je ne savais plus où j'étais.
Sans doute dans un autre monde.
Un monde meilleur.
Une sonnerie assourdissante résonnait dans la chambre sans arrêt depuis cinq minutes, mais je n'avais pas du tout envie de me lever et d'aller l'éteindre, j'étais très bien dans les bras de Will.
Lorsque je voulu bouger pour éteindre le stupide téléphone de Will, car c'était bien son téléphone qui m'avait réveillé, un bras m'en empêcha.
- Laisse Lia, la personne verra bien que l'on est pas disponible, dit la voix encore toute endormie de Will.
Son corps était collé au mien et ses deux bras m'entouraient comme pour me protéger, je n'avais vraiment pas envie de bouger mais l'appel devait être sûrement important si la personne insiste comme ça, ce que je fis remarquer à Will mais au lieu de prendre le téléphone, il caressa mon dos avec son doigt puis y déposa plein de baisers. C'est à ce moment là que la sonnerie décida de s'arrête, mais seulement pendant dix minutes. N'en pouvant plus, je me déplaçai pour prendre ce maudit téléphone, malgré les protestations de mon collègue. Alors que j'allais décrocher, j'arrêtai mon geste devant le nom qui s'affichait sur l'écran.
Maëlle.
Qu'est-ce qu'elle lui voulait celle-là ?
- Will ?? s'écria l'horrible voix de cette blonde lorsque je décrochai.
Je n'eus même pas le temps de dire quoique ce soit, qu'elle embrayait déjà.
- Tu es toujours vivant ? Mon dieu oui !! J'ai eu si peur pour toi, Orthon nous a expliqué ce qu'il s'est passé ! Je t'avais dit de m'appeler de temps en temps mais tu ne l'as jamais fait ! Je me suis fait un sang d'encre pour toi ! Enfin bref, je t'appelle pour te dire que mes parents t'ont invité à venir souper dès que tu rentres, ils veulent te parler d'un truc, mais je t'en dis pas plus.
Puis là j'eus droit à son rire qui ressemblait à un cochon que l'on égorgeait.
- Quand est-ce que tu comptes rentrer de ce pays de dingues ? Je ne comprends toujours pas pourquoi tu as voulu absolument faire ce voyage avec cette fille qui n'a fait que te bousiller la vie pendant des mois…
Puis, elle se tut enfin, attendant sans doute une réponse.
- Bonjour Maëlle.
- Qui est à l'appareil ? Où est Will ?
- C'est Amalia et Will est à côté de moi, il dort.
- Passe le moi !
Elle ne pige pas le français ou quoi ?
Will me prit le téléphone des mains et me lança un regard fâché.
- Qu'est-ce qu'il y a Maëlle ?
Je me levai et me dirigeai vers la petite salle de bain, n'ayant pas envie d'entendre leur discussion débile.
Nous avions une grosse journée aujourd'hui. On devait rencontrer un homme qui habitait à quelques kilomètres de la ville. Cet homme est un ancien militaire, il aurait arrêté car il était trop dégoûté de la façon dont procédaient certains soldats. Ce témoignage allait nous être très précieux et très utile pour la suite de notre enquête.
J'étais en train de sortir de la douche, un essuie autour de moi quand Will débarqua dans la salle de bain et m'entoura de ses bras.
- Vous sortez ensemble ?demandais-je.
Il se recula et me regarda avec un air étonné.
- Qui ? Moi et Maëlle ?
- Oui.
- Pourquoi tu poses cette question ?
- Réponds moi Will !
- Non, je ne sors pas avec elle, Amalia ! Comment peux-tu poser cette question avec ce qu'il s'est passé cette nuit…
Il allait quitter la pièce, mais je l'en empêchai.
- Je… Will… Je suis désolée.. C'est juste que quand Orthon t'a dit qu'il avait envoyé Maëlle à Nice tu avais complètement paniqué et donc je…
- Lia… Maëlle et moi on se connaît depuis le jardin d'enfant, oui c'est vrai que ses parents rêvent de me voir devenir leur gendre mais ça n'arrive pas. Jamais, tu m'entends ?
Je fis oui de la tête.
Nous étions arrivés devant une petite maison en bois, si nous étions en Belgique, cette maison serait perçue comme insalubre mais ici, c'est une maison tout à fait normale pour un homme qui a réussi à gagner un peu sa vie.
Nos sacs à dos étaient remplis de provisions pour plusieurs jours ainsi que de deux trousses de secours car après avoir entendu cet homme, nous avions décidé d'aller visiter quelques villages.
Effoloko nous avait amené jusqu'ici puis était reparti en ville car l'ancien militaire parlait français.
L'homme qui vint nous ouvrir était assis dans une chaise roulante et paraissait grand, très grand même. Il était chauve et son visage était illuminé d'un grand sourire qui faisait voir des dents blanches impeccables.
- Bonjour, vous devez être Amalia Roosevelt et William Tudor, enchanté, je m’appelle Mahiba Watou, mais appelez moi juste Mahiba.
Il nous fit entrer dans un petit salon décoré avec des objets typiques du pays, un grand tapis coloré couvrait une grande partie de la pièce. Les fauteuils avaient déjà vu défiler pas mal de monde au vu de l'état dans lequel ils étaient, un seau qui servait à récolter les quelques gouttes qui tombaient en cas de pluie était placé au milieu de la pièce près d'une table en bois. La maison était petite, mais elle était jolie et accueillante.
- Vous voulez boire quelque chose ? Du café ?
Will accepta, je refusai.
Pendant que notre hôte était parti chercher du café, William s'occupa de sa caméra tandis que moi je préparai mon carnet de note et mon enregistreur.
- Cela ne vous dérange pas que l'on filme ? Demanda Will devant le visage hésitant de Mahiba.
- Et bien… Vous cacherez mon visage ?
- Oui et nous pouvons même changer votre voix si vous voulez, lui expliquais-je.
Il parut rassuré alors Will mit la caméra en marche et on commença.
- Vous nous avez annoncé que vous vouliez rester dans l'anonymat, nous allons donc vous donner un nom d'emprunt, nous allons vous appeler Jo, cela vous convient-il ?
- Oui.
- Pourquoi voulez-vous rester dans l'anonymat Jo ?
- Car s'ils me trouvent, ils n'hésiteront pas à me tuer…
- Qui ça « ils » ?
- Les soldats de l'armée nationale, ceux que l'on voit patrouiller partout dans la grande ville.
On se regarda avec Will, Milo avait donc raison.
- Quand avez-vous commencé à porter les armes Jo ?
- La première fois que j'ai tué un homme j'avais 14 ans.
Cette réponse me fit froid dans le dos.
- Vous étiez donc un enfant soldat ?
- Oui, mais pas comme vous pouvez le penser. Je n'ai pas été kidnappé, je me suis engagé à l'âge de douze ans de mon plein grè. Par envie de vengeance.
- Que voulez-vous dire par « envie de vengeance » ?
- Les Shebab avaient violé et tué ma mère et mes deux sœurs alors qu'elles étaient parties chercher de l'eau au lac à l'entrée du village. Je me suis donc engagé dans l'armée pour pouvoir les retrouver et les tuer.
- Avez-vous pu assouvir votre vengeance ?
- Malheureusement non, car j'ai découvert assez vite que l'armée n'était pas si blanche que ça.
- C'est-à-dire ?
- L'armée passait des accords en secret avec les Shebab. Dès qu'une personne les dérangeait, ils faisaient appel au Shebab.
- Pourquoi parlez vous au passé Jo ?
- Car maintenant, ce n'est plus un secret pour personne.
- Malheureusement si, c'est pour ça que nous sommes là. Peut-être que les habitants de Mogadiscio et des autres villes et villages du pays sont au courant des agissements de l'armée, mais nous, européens, nous ne sommes pas au courant de tout ceci, vous savez. Votre gouvernement cache toutes ces horreurs. Nous pensions, par exemple, que les enfants soldats c'était terminé depuis le début des années 2010 alors que c'est toujours bien d'actualité. La Somalie est l'un des pays le plus corrompu du monde…
- Oui, les enfants soldats sont toujours d'actualités, des dizaines d'enfants se font arracher des mains de leurs parents pour aller combattre en Éthiopie ou ailleurs… J'ai déjà vu des enfants âgés seulement de 7 ans ! Si vous voulez avoir des preuves, je vous donnerais l'adresse d'un camps, il se trouve pas loin de la capitale.
- Parlez-nous un peu de votre vie là bas, dans l'armée. Que faisiez vous quand vous êtes arrivé ?
- Au début, tous les soldats, qu'ils aient 7-10-15-20 ou 30 ans doivent apprendre à survivre. On nous emmène dans les bois et on doit survivre durant deux semaines seuls ou à plusieurs si on a la chance ou la malchance de retrouver d'autres jeunes débutants.
- Et vous deviez faire quoi exactement ?
- On devait trouver de la nourriture et tenter de ne pas se faire tuer… Des soldats étaient déployés un peu partout dans les bois et ils nous traquaient comme du bétail. C'était un jeu pour eux. Ils n'hésitaient pas à nous tuer, à nous torturer. Après avoir passé ses deux semaines dans l'horreur, des soldats venaient nous chercher et nous rentrions à la base. Nous étions partis à 25 nous étions rentrés à 12, ils en avaient tué 13 dont des enfants…
- C'est atroce…
- Heureusement, c'était il y a 20 ans. Le gouvernement a interdit ce genre de chose. Maintenant, ils leur apprennent à manier des armes et à se protéger mais pas assez à mon goût. Bon nombre d'enfants soldats se font tuer.
- Comment avez vous fait pour survivre ? Vous n'aviez que douze ans…
- Je me suis caché dans une grotte. J'ai marché pendant des heures et des heures, je connaissais la forêt comme ma poche car mon père était bûcheron pour une petite usine de bois à Mogadiscio. Je savais qu'à une dizaine de kilomètres se trouvait une grotte sous terre car je m'y cachais souvent pour y jouer pendant que mon père abattait les arbres. Alors je suis resté caché là dedans durant les deux semaines. La journée j'allais chasser car je savais que les soldats « s'amusaient » la nuit. Je comptais les jours en marquant un arbre de lignes et quand les quinze jours s'étaient écoulés, je m'étais rendu là où ils nous avaient lâchés.
- Vous étiez un petit garçon très intelligent, remarqua Will assis à mes côtés.
- Je me débrouillais. J'ai découvert que les soldats passaient des accords avec les Shebab, j'avais alors 19 ans à cette époque-là. Le chef de notre groupe m'avait choisi moi ainsi que quatre autres soldats pour l'accompagner dans une mission, avait-il dit. Une mission qui consistait à rencontrer des Shebab pour planifier avec eux un attentat suicide.
- Vous l'avez fait ?
- Oui. J'étais trop faible pour refuser. Je savais que si je ne les écoutais pas, j'allais me faire tuer. Les Shebab voulaient foncer avec un camion piégé contre un complexe ministériel à Mogadiscio. Nous, on devait s'occuper de louer le camion et de le remplir d'explosifs. Il y eut plus de 70 morts, des étudiants en grande partie car ils attendaient leurs résultats d'examens. Après ce jour, ça n'a pas arrêté. Des soldats exécutaient, avec l'aide des Shebab, de nombreux civils qui ne voulaient pas écouter ou qui ne travaillaient pas assez vite dans les usines. Lorsque, quelques années plus tard, le Chef de notre armée fut tué dans une bataille en Éthiopie, je pensais que cela allait s'arranger. Que nous n'irions plus massacrer de simples civils pour le plaisir de certains. Mais ce fut pire… Le nouveau chef, Hargon Palitum était un homme assoiffé de pouvoir et de sang. Il ordonna la mise à mort d'une cinquantaine de soldats qu'il trouvait trop lents, trop paresseux ou pas assez bon tireurs. Il aida souvent les Shebab dans des exécutions.C'est lorsqu'il est arrivé que les femmes commencèrent à se faire violer par les soldats. Il n'y avait plus aucune loi parmi nous, tout nous était permis. Les soldats devenaient fous avec toutes les horreurs qu'ils avaient vues. J'ai vu des femmes enceintes se faire égorger par des Shebab et notre chef assistait à tout ça en riant et nous, nous devions surveiller les environs. Alors j'ai fait la même chose que mes frères d'armes,encore un peu conscients, faisaient.
- Qu'avez-vous fait ? Demandais-je inquiète.
Il tira la couverture qui lui couvrait ses jambes.
Mais il n'y avait pas de jambes.
Juste deux horribles moignons.
- Alors que nous étions partis combattre dans une ville en Éthiopie, le bâtiment dans lequel nous étions, s'est écroulé et sans réfléchir une seule seconde je me suis jeté sous un pan de mur qui allait tomber. Je savais que ça n'allait pas me tuer mais ça allait sûrement me blesser.
- Et comme vous étiez devenu infirme, vous ne pouviez pas continuer à être soldat… Concluais-je.
- C'est exact, sauf que je ne pensais pas que l'on allait devoir m’amputer des deux jambes…
- Vous regrettez votre geste ?
- Pas une seule fois. Maintenant je suis enfin libre. Je ne participe plus à ces massacres ignobles.
- Serait-il possible de nous emmener près de votre ancien camp ? Demandais-je.
- Lia, tu es complètement malade ! Nous sommes ici en tant que membres d'une association, de je ne sais même plus quoi d'ailleurs, si nous allons là-bas, ils découvriront très vite que nous sommes des journalistes. On risque de se faire tuer.
- Votre ami a raison, c'est beaucoup trop dangereux, mademoiselle.
- Je veux que l'on y aille, si nous avons des photos ce sera encore plus vrai et notre reportage sera parfait. Will, avec l'interview d'aujourd'hui et des photos du camp, nous pouvons penser à rentrer chez nous ! Nous allons faire éclater au grand jour un truc énorme ! Est-ce que tu imagines un peu ?
- Lia, moi je pense plutôt à notre vie !
- Si nous faisons ça Will, c'est pour sauver des gens par après. Tu penses à ça ?
- Mais…
- Will, tu ne me feras pas changer d'avis ! Emmenez-nous Mahiba.
L'ancien militaire sembla hésiter mais devant mon air déterminé, il accepta tout en soupirant.
Alors que nous allions arriver près de la base, Will m'arrêta.
- Tu ne peux même pas imaginer comme j'ai envie de te donner deux gifles Lia, tellement tu es inconsciente, on peut mourir à n'importe quel moment ! Ces personnes sont entraînées pour voir les espions. Ils nous verront, j'en suis presque sûr. Mais au lieu de te donner une gifle, je préfère faire ça.
Et il m'embrassa.
- Je t'en supplie Lia, on prend juste quelques photos, puis on s'en va OK ?
- OK.
On passa pas loin du camp, mais Mahiba dit à Will de continuer.
- Si vous voulez voir ce qu'il se passe vraiment au sein de mon ancienne armée, je dois alors vous emmener autre part…
Son visage qui était tellement joyeux lorsqu'il nous avait ouvert, était maintenant, totalement fermé.
- Vous devez faire très attention une fois là-bas. Ils n'hésiteront pas à vous tuer s'ils vous voient.
- Où est-ce que vous nous emmenez Mahiba ? Demandais-je.
- Là où ils exécutent ou torturent les gens qu'ils kidnappent.
L'endroit était à une trentaine de kilomètres de la ville, ce n'était rien d'extra-ordinaire. Évidemment, ils ne vont pas construire un bâtiment, ça attirerait l'attention. C'était une forêt fort dense, mais en se rapprochant un peu, on vit des tentes et beaucoup d'animations. On se rapprocha encore et on se planqua derrière un arbre immense et des buissons. Une petite dizaine de soldats étaient présents ainsi que des terroristes.
Soudain, trois soldats arrivèrent avec un groupe de personnes. Will mitraillait avec son appareil photo. Les personnes étaient traînées jusqu'à un homme avec un fusil. Un soldat. Il y avait trois hommes et une femme avec un bébé. Il n'allait quand même pas tuer un bébé ?
Will prenait toujours plein de photos.
Les trois hommes et la femme se placèrent devant l'homme au fusil. Ce dernier prit la parole durant quelques minutes, puis leva le bras et tira une première balle dans la tête d'un des trois hommes. Je mis ma main sur ma bouche pour ne pas crier. Je vis la tête de l'homme qui devait avoir 18 ans, éclater comme une tomate trop mûre. Puis vint le tour du plus vieux des trois. Ils étaient tous terriblement maigres, ils ne devaient pas avoir mangés depuis des jours. La femme avait l'air d'avoir été battue et elle tentait de protéger comme elle le pouvait son bébé. Quand le soldat tua le dernier hommes, il se mit devant la femme et caressa la tête de l'enfant, la maman était terrorisée. Il lui prit le bébé des bras, elle commença à hurler en tendant les bras, mais le militaire la fit taire une balle entre les deux yeux. J'eus envie de vomir.
Le bébé alla dans les bras d'un autre soldat qui se dirigea vers le lac. Il n'allait quand même pas le noyer ?? Mais je fus soulagée quand je vis qu'il dépassa le lac, il déposa simplement l'enfant près d'un arbre et s'en alla. Je voulais aller le chercher, mais je savais que si j'y allais je me ferais repérer directement. J'allai dire à Will que nous pouvions rentrer, nous avions tout ce dont on avait besoin, quand j'entendis des voix qui se rapprochaient, je me retournai et vis deux soldats qui nous regardaient.
Merde.
Will prit ma main on se mit à courir jusqu'à la voiture, mais je ne pouvais pas abandonner cet enfant. De toute façon ils nous ont repérés. Je lâchai donc la main de William et courus le plus vite possible vers l'arbre. Les soldats tentaient de tirer sur moi, mais ils étaient encore trop loin.
- Lia ! Hurla Will.
Je ne me retournai pas. Lorsque j'arrivai près de l'arbre, je pris l'enfant dans mes bras et me dirigeai vers la voiture qui avait déjà démarré. Je sentis une balle siffler contre mon oreille, puis je sentie une douleur atroce dans mon épaule. Je faillis faire tomber l'enfant mais le rattrapai à temps. Je sautai dans le coffre de la jeep et me laissai tomber dedans.
- Mademoiselle vous êtes blessée ! s'écria Mahiba.
Will ne se retourna pas, il roulait comme un fou pour nous sortir de là. J'avais l'impression que mon épaule allait se décrocher du reste de mon corps tellement j'avais mal, mais au moins l'enfant est en sécurité dans mes bras.
- Ma… Mahiba, donnez-lui de… de l'eau et à manger…
- Tenez-la éveillée, Mahiba ! Moi je vais appeler Orthon pour qu'il nous sorte de là, parce que on est vraiment dans la merde ! Pourquoi a-t-il fallu qu'elle aille chercher ce gosse, s'écria Will en tapant contre le volant.
- Ce qu'elle a fait, Mr Tudor est un acte héroïque. Elle a sauvé cet enfant.
- Oui et elle a failli mourir… Elle peut encore mourir, on ne sait pas l'étendue de sa blessure !
Mahiba regarda mon épaule en déchirant mon chemisier.
- De ce que je vois, ça n'a pas l'air très grave, la balle a traversé l'épaule.
- Orthon ? Oui c'est Will, on est dans la merde ! Il faut venir nous chercher ! Tout de suite ! Lia est blessée. Oui, elle est blessée, elle a reçu une balle dans son épaule. On a tout ce qu'il nous faut de toute façon, on peut rentrer. Mais faites vite ! Car on s'est fait repérer ! Oui ! Là je retourne à l'hôtel en espérant que des soldats ne nous y attendent pas déjà, je prends toutes nos affaires et on se dirige vers l'aéroport. Il n'y a pas de temps à perdre !
Puis il raccrocha.
- Lia.
Je commençais à partir, je le sentais.
- Lia, reste avec moi, je t'en supplie. Orthon nous envoie un avion, il sera là dans environ deux heures avec un médecin. Mahiba, est-ce que vous sauriez faire quelque chose ?
- Oui, je…
Mais je n'entendis pas la fin car je sombrai dans les ténèbres, le bébé dans les bras.
Lorsque je me réveillai, je me trouvais dans l'avion.
- Will…
- Je suis là Lia.
- Le bébé.
- Il va bien, l'infirmière s'est occupée de lui, il dort maintenant.
Will me caressa le visage puis laissa tomber sa tête sur ma poitrine.
- Lia… Tu m'avais promis de ne plus jamais me faire un coup pareil, j'ai eu si peur si tu savais.
- Ce sont les risques du métier Will…
Je me sentais faible, tellement faible.
- Dors, le docteur t'as injecté des calmants car tu bougeais trop quand il voulait te soigner. Je te réveillerais quand on sera arrivé.
Quelques secondes plus tard, mes paupières se refermaient.
Will me réveilla un peu avant que l'on atterrisse. Je me levai difficilement, encore un peu dans les vapes.
- Amalia, allez vous asseoir dans ce fauteuil roulant le temps d'aller à l'hôpital, vous êtes encore trop faible, me pria le médecin.
L'infirmière me donna le bébé et me dit :
- Ce que vous avez fait là, mademoiselle, est un geste héroïque. Cet enfant n'a pas du être nourri depuis des jours, si vous n'étiez pas intervenue, il serait mort à l'heure qu'il est. Prenez-en bien soin.
- Je m'en occuperai comme si c'était mon propre enfant, disais-je en regardant cette petite frimousse trop maigre.
Will se pencha et embrassa le sommet de ma tête.
- Nous nous en occuperons, rectifia-t-il.
Je le regardai ; ses yeux étaient baignés de larmes.
- Je t'aime Lia, murmura-t-il.
Puis on sortit de l'avion.
- Oh mon dieu ma chérie !
Ça c'était ma mère.
- Amalia Catherine Harry Roosevelt !
Et ça c'était mon père.
Ma mère se jeta sur moi, j'eus juste le temps de donner le bébé à Will.
- Tu nous as fait si peur ! Quand Orthon nous a appelé la première fois pour nous dire que tu avais été prise dans un attentat, j'ai cru mourir ! Mais là, chérie qu'est-ce qui t'as pris ?
- C'est ce que je n'ai pas arrêté de lui répéter, madame Roosevelt, dit derrière moi Will, puis en tendant sa main vers ma mère, enchanté, je suis William Tudor, le partenaire de votre fille.
- Enchanté William.
Ma mère le regardait de haut en bas, puis me fit un clin d’œil, je sentis mes joues devenir rouges. Je lui fis les gros yeux, mais elle me sourit comme une gamine. Ma mère a toujours été une gamine.
- Enchanté William, je ne saurais jamais vous remercier assez pour avoir sauver la vie de ma fille deux fois, dit mon père, Je sais qu'elle prend un peu trop à la légère ses missions, ajouta-t-il.
- Je suis d'accord avec vous, et je n'ai cessé de le lui répéter. Mais ce que vous ne savez pas, c'est qu'elle a risqué sa vie pour sauver cet enfant. Et même si au début je lui en ai voulu, car elle aurait pu se faire tuer, l'acte qu'elle a fait est héroïque. Cet enfant allait mourir, s'il n'était pas nourrit et soigné très rapidement.
Ma mère prit l'enfant dans ses bras et le berça. Moi je regardais Will et lui serrai fort la main, il la monta jusqu’à ses lèvres et y laissa un baiser. C'est à ce moment là qu'une hystérique arriva et se jeta dans les bras de Will.
Maëlle.
- Oh Will chéri ! J'ai eu si peur ! Tu n'as rien ça va ?
Elle le tâta un peu partout, moi je voyais rouge.
Will ria et la prit dans ses bras.
- Non, Maëlle, je n'ai rien.
Voyant mon malaise, ma mère me rendit le bébé et poussa mon fauteuil jusqu'à la voiture. Au moment d'entrer, le médecin nous dit qu'il fallait que je retourne à l'hôpital pour faire des examens, vérifier que tout aille bien, que je n'ai pas attrapé un virus ou autre. Et l'enfant devait aussi y passer.
Mon père alla s'asseoir à côté de moi et me prit tout contre lui.
- Content de te revoir bien vivante, ma chérie. Tu nous a fait terriblement peur. Je ne vais pas te dire de ne pas recommencer car je sais que tu ne m'écouteras pas.
- C'est mon job papa.
- Que c'est-il passé ? Orthon ne nous a rien dit.
Je lui racontai tout ce qu'il s'était passé après la rencontre avec Mahiba.
- On ne pouvait pas rester un jour de plus, car ils nous avaient sans doute reconnus. Deux blancs dans une communauté de noirs ça ne passe pas inaperçu et puis après l'attentat, Will m'a emmené à l'hôpital, et même si j'ai donné un faux nom, ils auraient tout de suite fait le rapprochement.
- Vous avez su reprendre toutes vos affaires quand vous êtes repassés à l'hôtel.
- Will m'a dit que non. Il était tellement paniqué que je ne me réveille pas, qu'il a repris toutes nos affaires de travail mais il a laissé quelques vêtements et des petites choses comme nos brosses à dents ou bien des provisions. Mais toutes nos photos, mes notes, les enregistrements et nos ordinateurs sont revenus, c'est le principal.
- Et pourquoi l'homme est venu avec vous ?
- Mahiba ? Car il était en danger, les soldats l'on sûrement vu dans la voiture et s'ils ne l'ont pas vu ils comprendront très vite, car Mahiba est un de leur ancien soldat.
- Et vous pensez qu'il pourra rester ici ? Et le petit aussi ? Demanda mon père.
- Nous allons devoir faire une demande d'asile mais normalement il n'y aura pas trop de souci car Mahiba était en danger de mort à cause de nous et l'enfant et bien… Will et moi on compte l'adopter…
Ma mère se retourna et me fixa avec son regard qui me donnait la chair de poule.
- Je sais ce que tu peux penser maman. Je suis trop jeune, j'ai un travail qui met ma vie en danger sans cesse. Mais cet enfant… Je ne peux pas l'abandonner dans un orphelinat. Ils le renverront sûrement d'où il vient et il se fera tuer. Il n'a plus aucune famille là-bas. Will s'est renseigné quand nous étions dans l'avion. Il a eu notre guide au téléphone et Effoloko lui a dit qu'il le rappellerait après avoir été en parler au maire de la ville.
- Je n'ai absolument rien dit ma chérie. Je veux juste que tu saches qu'avoir un enfant ça demande beaucoup d'attention et est-ce que William est prêt à faire ça avec toi ? Il s'est passé quelque chose avec lui pendant que vous étiez là bas ? Parce que si je me souviens bien, tu le détestais encore au moment de monter dans l'avion.
Je rougis et ma mère me fit un clin d’œil.
- Qui était cette fille alors ? Demanda mon père, ils avaient l'air fort proches.
- Richard !
- Maëlle France. Une de nos journalistes. Je ne l'ai jamais supporté cette fille.
- Ne serais-tu pas un peu jalouse ? Ria mon père.
- Moi ? Pas du tout…
Nous étions arrivés devant l'hôpital, et mes parents me regardaient en riant.
- Bon d'accord, je suis jalouse ! Mais c'est normal non ?
Mes parents éclatèrent de rire.
5.
Un médecin et une infirmière s'occupèrent du bébé pendant qu'un autre médecin me fit des prises de sang et me posa plein de questions.
- J'imagine que ce ne sera pas la dernière fois que je te verrai ici, Lili.
Benjamin était un ami d'enfance, c'était toujours lui qui s'occupait de moi quand je rentrais d'un voyage.
- D'habitude je dois juste te faire de simples vérifications mais là, une balle dans les épaules et un morceau de fer dans le bassin, tu m'épates Lili, ria-t-il. Tu as rapporté quelque chose au moins ?
- Un truc énorme Benji ! Tu liras le journal dans une ou deux semaines car on doit tout rassembler et faire le reportage plus l'article. Ça va prendre du temps. Surtout que Orthon veut que j'arrête de travailler pendant un petit temps.
- Et il a raison Lili, je vais changer ton bandage, parce qu'il est plus que temps. C'était quand la dernière fois que tu l'as changé ? Ce genre de truc là, ça se change plusieurs fois par jour. Mais comme d'habitude, tu n'as rien écouté. Enlève ton chemisier.
Je l'enlevai et me retrouvai en sous vêtement devant Benjamin. Il commença à défaire mon bandage et c'est à ce moment là que Will débarqua dans la chambre.
- Je suis désolé William, mais vous ne pouvez pas rester ici. Je suis occupé avec Lili, dit calmement Benjamin, sachant que je ne supportais pas Will.
- C'est bon, il peut rester Benji…
- Tu es sûr ? Me demanda Benjamin étonné.
Je fis oui de la tête.
- OK, j'ai raté quelque chose.
Il retira le bandage que Will m'avait fait.
- Putain Lili, c'est pas beau à voir, ça s'est de nouveau infecté ! Si tu écoutais de temps en temps. Attends j'arrive, je vais chercher de quoi désinfecter tout ça.
Et il partit.
Will était toujours debout près de la porte et quand Benjamin partit, il referma la porte derrière lui.
- Pourquoi tu es partie si vite Lia ?
- Je devais aller à l'hôpital. Le bébé avait besoin de soin.
- Tu es jalouse.
- Moi ? Pourquoi tu dis ça ?
- Je t'ai dit qu'il n'y avait rien entre Maëlle et moi, Lia. Pourquoi tu ne me crois pas ?
- Je sais… C'est juste que… J'ai jamais pu supporter cette fille. Mais c'est ton amie alors je vais faire un effort.
Il vint s'asseoir à côté de moi et je posai ma tête sur son épaule.
- Il faudra que l'on discute de… nous, murmurais-je.
- Que veux-tu dire par là ?
- Et bien, que va-t-il se passer une fois que j'aurai passé les portes de cet hôpital, le bébé dans les bras ? Vais-je…
- Je vais te présenter à mes parents. Ensuite nous trouverons un nom à donner à cet enfant. Et nous nous occuperons de son adoption et du cas de Mahiba.
Il me regarda, se pencha et m'embrassa.
- Désolé de vous déranger tous les deux, mais si je ne veux pas que la blessure de Lili s'empire, il faut que je la soigne, dit Benjamin en entrant dans la chambre.
Le bébé avait dû rester un peu plus longtemps que moi à l'hôpital. Il était si maigre. Les médecins l'avaient soigné, vacciné et nourri. L'infirmière m'avait dit qu'il faudra beaucoup de temps et de patience pour qu'il guérisse complètement et qu'il retrouve un poids correct. Ma maman m'avait donné mon petit lit ainsi que des biberons et d'autres objets pour bébés.
Will m'attendait devant l'entrée de l'hôpital, il mit le petit dans son maxi-cosy et démarra la voiture.
Moi je stressais comme une malade à l'idée de voir ses parents. Maëlle avait eu la gentillesse de me prévenir qu'ils l'avaient toujours vu sortir avec leur fils, merci Maëlle ! Vraiment.
- Tu es sûr que c'est une bonne idée ?
Will prit ma main et me dit :
- Bien sûr que oui, enfin Lia, tu n'as pas à stresser comme ça. Ils sont très gentils et ma mère n'arrête pas de me demander quand est-ce que tu viendras à la maison. Elle veut voir le bébé aussi.
Je m'enfonçai un peu plus dans le siège de l'auto.
- Tu es vraiment dingue Lia, ria-t-il, aller voir des terroristes qui sont prêts à te tuer, aucun problème, mais tu es morte de trouille à l'idée de rencontrer mes parents.
On arriva devant une jolie maison en pierre, je pris le bébé dans mes bras et Will porta les sacs avec les affaires du petit.
Will sonna.
Je poussai un long soupir et essayai de me rassurer moi-même.
Un couple vint ouvrir, la dame portait un tablier sale et avait des cheveux aussi noirs que la nuit. Elle me prit dans ses bras et me dit :
- Bienvenue à la maison Amalia, Valérie, la maman de William et Albin, le papa de William. Je suis si heureuse de pouvoir enfin te rencontrer !
- Maman, laisses là, tu vas l'étouffer.
Sa mère se recula et son père arriva près de moi. C'était un homme très grand et ses cheveux étaient rassemblés en une tresse dans le dos. Je savais au moins que les longs cheveux, c'était de famille.
- Enchanté Amalia, excuses ma femme, mais elle était complètement folle à l'idée de rencontrer la femme qui avait enfin réussi à s'emparer du cœur de notre fils. Entrez, entrez !
On entra dans un joli petit salon, la petite table du salon était remplie de verres et de petites dégustations. On alla s'asseoir dans les fauteuils en cuir et Albin nous servit à boire.
- Puis-je…, demanda Valérie en regardant le petit.
- Bien sûr, prenez-le.
Elle prit le bébé dans ses bras et le regardait avec tellement d'amour et de tendresse que j'en fus émue.
- Comment vous l'avez appelé ? Demanda-t-elle, le regard toujours fixé sur l'enfant.
Je regardai Will, nous n'avions même pas encore parlé de ça. Nous avions été très occupés tous les deux, et l'enfant venait tout juste de sortir de l'hôpital.
- Et bien, je pensais à Milo.
- J'aurai aimé Milo.
On avait parlé en même temps. Je me tournai vers Will, les yeux ronds.
- Tu… Tu serais d'accord ? Demandais-je les larmes aux yeux.
- Oui.
- Oh Will, c'est… Enfin…
- C'est très joli comme prénom, pas très courant, mais joli, dit le père de William.
Valérie me rendit le bébé et partit dans la cuisine.
Je caressai sa joue et murmurai :
- Milo Roosevelt Tudor.
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