Chapitre 17 : Confidences pour confidences

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Samedi 24 septembre 2022, vingt-deux heures.

Elle repose sur son torse, les yeux grands ouverts, la bouche étirée en un large sourire. Sa cuisse blanche et lisse est posée par-dessus ses jambes musclées, l’empêchant de bouger. Il lui caresse le ventre, comblé et repu. Il n’y a pas un bruit dans la pièce, à part le rythme de leurs souffles tranquilles. La nuit est tombée au dehors. Le soleil se couche de plus en plus en plus tôt, au fur et à mesure que l’été s’enfuit.

— Emma est chez son père ?

— Oui, elle rentre demain soir. Je dois être à Nantes pour dix-huit heures.

— Cela nous laisse peu de temps, dit-il, déçu.

Il n'a aucune envie de la laisser repartir, s'éloigner. Cette perspective le terrorise, il a l'impression qu'il ne le supportera pas.

— Je peux demander à Manuella de la récupérer, suggère-t-elle en comprenant sa déception.

Elle n'a aucune envie de le quitter. Maintenant qu'elle est dans ses bras rassurants, le monde sans lui lui paraît insurmontable.

— Tu crois qu’elle acceptera ?

— Bien sûr. Pourquoi ne le ferait-elle pas ?

— Il vaut mieux que tu ne lui dises pas la vérité. Si elle sait que c’est pour rester avec moi, elle sera peut-être moins conciliante.

— Elle sait déjà que je suis là. Quand elle a appris que j’avais débarqué en Bretagne au petit matin et qu’on allait se revoir, elle m’a dit de profiter du bon air marin.

— Ah bon ? Rien de plus ?

— En dehors du fait qu’elle t’a qualifié de tête à claques ? non.

— Pour changer ! s’exclame-t-il, hilare. Cela dit, c’est sympa de sa part, même s’il y a un truc que je ne comprends pas. Pourquoi essaye-t-elle de nous réconcilier si elle me déteste autant ?

— Comment sais-tu qu’elle te déteste ?

— Elle a été… franche, en avril dernier.

Et c’est un euphémisme.

— Ne me dis pas qu’elle t’a fait son sketch ?

Il éclate de rire au souvenir de tous les noms d’oiseaux qu’elle lui a envoyé.

— Oh que si ! Tu te rends compte qu’elle m’a même traité de salpêtre ?

Gwendoline pouffe de rire à son tour. Si elle lui a servi le même lexique imagé qu’elle avait vociféré lors de sa visite à l’hôpital, Erwann a dû découvrir avec surprise toute l’étendue de son imagination.

— Elle m’a contacté par Messenger, lorsque tu étais au CHU, reprend-il, toujours sur le ton de la plaisanterie. Elle m’a insulté, ensuite elle m’a dit où tu étais et ensuite, elle m’a re-insulté derrière. Et elle l’a fait tous les jours pendant deux semaines. Après, elle m’a dit que de toute façon, elle ne voulait plus gaspiller d’énergie ni perdre de temps avec mon cas désespéré de Breton buté, borné et con comme une bite.

Gwendoline s’esclaffe à nouveau, de plus en plus hilare. Elle reconnaît bien là le style fleuri d’une Manuella dont la verve est aussi aiguisée qu’une lame de rasoir. Pourtant, malgré son fou rire, elle reste gênée par l’attitude virulente de sa meilleure amie. Heureusement qu’Erwann prend ses propos sans concession à la rigolade.

— Elle a abusé, Erwann, je suis désolée, s’excuse-t-elle en essayant de ne plus rire autant. Elle n’aurait pas dû. Je vais la disputer quand je rentrerai à Nantes.

— Non, ne le fais pas, s’il te plaît. Même si cela va être difficile, j’aimerais rentrer dans ses bonnes grâces. En plus, elle avait raison et puis… j’aimais bien.

— Qu’elle t’insulte ?

— Non, mais quand elle a arrêté, ça me manquait, dit-il en souriant, nostalgique. C’était mon dernier lien avec toi. Après, ça a été le vide absolu. Tu avais disparu de ma vie. Mais pas de mon cœur.

La jeune femme ressent un coup puissant en elle, comme si on lui avait administré une estocade. Bien qu’elle soit désormais au creux de ses bras, elle sait le mal qu’elle lui a fait en refusant de lui pardonner. La culpabilité lui enserre les entrailles.

— Je suis désolée Erwann, j’aurais dû être plus indulgente…

— Tu étais dans ton droit. Si c’était à refaire, j’aurais agi différemment.

Si je pouvais revenir en arrière, j’agirais différemment pour beaucoup de choses.

— J’aurais été plus inspiré, continue-t-il, en lui caressant le visage. Je t’aurais fait envoyer des fleurs avec un mot d’excuses en te demandant à l’avance si tu voulais que je vienne plutôt que de m’imposer comme je l’ai fait. C’était très intrusif. Mais… j’ai eu tellement peur.

Erwann avale difficilement sa salive, replongé dans ses souvenirs douloureux, à cet instant où il avait reçu le message alarmant. Un violent sentiment d’effroi l’avait alors saisi, en imaginant le pire.

— Manuella ne m’avait rien dit, reprend-il presque aphone. J’ai cru qu’un client t’avait fait du mal : qu’on t’avait frappée, que tu étais blessée, ou pire encore… j’ai même envisagé qu’on t’avait violée. Je te jure que j’ai roulé dans un état second sur toute la distance séparant Camaret de Nantes.

Elle n’avait pas réfléchi à cela. Qu’il est idiot de penser que chacun voulait le bien de l’autre, alors qu’ils n’ont cessé de se faire du mal. Il avait été maladroit et inconstant, mais la jeune femme s’était montrée cruelle et obstinée. Dans leur combat fictif, le résultat qui s’affiche la sidère : un partout, la balle de la bêtise au centre.

— Erwann, il faut qu’on parle, dit-elle après un instant de silence.

— Bien sûr, réplique-t-il très sérieusement.

— J’avais pris une décision à mon retour de Crozon.

— D’accord.

— J’avais décidé d’arrêter mon travail.

— Vraiment ? s’étonne-t-il.

— Oui. Sur le chemin du retour, j’ai eu cette sorte de flash, comme cela m’arrive souvent, et je ne pouvais pas continuer. Je t’avais choisi, toi. Je nous avais choisi, nous.

— Gwen, je m’en veux. Si j’avais su… je ne pouvais pas deviner ce qu’il se passait de ton côté.

— Je sais.

— Et tu as repris depuis ?

— Oui et non.

Gwendoline se serre contre lui, cherchant la bonne tournure pour expliquer les récents évènements. Erwann l’encourage avec douceur :

— Oui parce que… ?

— Mes revenus ont chuté, comme tu t’en doutes. Et même si je fais pas mal de shootings, cela reste assez sporadique. C'est trop peu par rapport à mes besoins financiers, pour maintenir le train de vie auquel j’ai habitué ma fille...

— Gwen, je suis là si…

— Non, s’il te plaît, dit-elle en l’interrompant.

Elle met son index sur sa bouche.

— Ne termine pas ta phrase. Ne la termine jamais. Je n’accepterai pas que tu m’aides de cette façon.

Erwann hoche la tête silencieusement et elle retire son doigt, pour découvrir son amant placide.

— D’accord. Mais tu n’as pas répondu à ma question. As-tu repris ?

— J’ai fait trois rendez-vous avec des clients de longue date parce que je les trouve sympathiques et que cela a mis du beurre dans les épinards.

— Ok.

— Mais ce n’est pas tout, déclare-t-elle, gênée.

Elle expire profondément, espérant évacuer l’angoisse qui monte en elle.

Comment va-t-il réagir ?

— D’accord, l’encourage-t-il en passant sa main sur son bras.

Son compagnon avait déjà eu ce geste au phare, lors de ses confessions au sujet de ses avortements.

— Hier soir… hier soir, j’ai accepté une rencontre spéciale.

Le visage d’Erwann se décompose. Il soupçonne déjà que cela ne va pas lui plaire. À quoi doit-il s’attendre ? Quoi qu’elle lui avoue, il s’apprête à encaisser. Vu son comportement de ses derniers mois, il n’a pas de leçon à lui donner. Ni rien à exiger d’elle. C’est déjà merveilleux qu’elle lui soit revenue.

— Un homme ou un client ? demande-t-il avec une pointe de jalousie dans la voix.

— Un client. Qui est, en quelque sorte, devenu… un homme.

La tirade lui arrache une douleur vive au cœur.

— Explique-moi, chuchote-t-il.

— Il m’a proposé une nuit entière à deux mille euros.

Enfoiré. Connard. Sale chien.

Erwann déglutit difficilement, la gorge sèche.

— C’est tentant, parvient-il à prononcer.

— Ce n’est pas tout.

— Je vois…

Tendu, il redoute ce qu’elle va lui confesser. À ce stade, son cœur est déjà bien amoché.

— J’ai laissé l’argent dans la chambre en partant tôt ce matin.

— Les deux mille euros ?

— Oui.

— Pourquoi ? Tu avais travaillé j’imagine.

— Justement, cela a été très étrange… passé un certain moment, je me suis… libérée de mon rôle. Je n’étais plus Mélanie, la masseuse érotique. J’étais juste moi, une moi qui était dans le lit d’un homme pas trop mal, enfin en réalité, plutôt beau, et qui… faisait l’amour avec lui.

Erwann encaisse en silence.

Ne rien montrer, ne rien dire, ne pas broncher.

— Je sais, tu n’aimes pas ça. Mais, aussi étrange que cela puisse être, il nous a aidé à nous retrouver.

— Ah oui ? ben j’aimerais bien savoir comment, réplique-t-il un peu trop goguenard.

— Dans ses bras, je n’ai pas arrêté de penser à toi. Je n’avais pas eu d’intimité avec un homme depuis toi, depuis le phare… et tout ce qu’il faisait ou disait me rappelait notre week-end tous les deux.

Elle se tourne vers lui, hypnotisée par ses yeux sombres et caresse son visage défiguré qu’elle trouve toujours aussi beau. Dans ses bras, elle se sent en sécurité et peut tout avouer.

— Je n’ai pas pu rester à ses côtés, jusqu’au matin, comme cela était prévu. Je me sentais coupable d’être avec lui alors que pas un instant tu n’avais quitté mes pensées.

À ces mots, Erwann lui embrasse le front et la serre plus fort dans ses bras.

— Je vois très bien ce que tu veux dire et contrairement à moi, toi, tu t’es bien comportée. Ça avait l’air romantique, rien à voir avec mon attitude de ces derniers temps…

— Richard m’a raconté.

— Il t’a raconté quoi exactement ?

— Que c’était pas joli, joli…

Mon Dieu, si tu savais…

Son sourire est crispé. Elle se prépare au pire si Erwann se décide à lui en parler.

— J’ai déconné, Gwen. Je me suis comporté comme la dernière des ordures. C’est comme si tous les qualificatifs que Manuella m’avait envoyé à la tête étaient devenus réalité.

— À ce point-là ?

— Pire que ça, Gwen, pire… J’ai honte. Il n’y a pas d’autres termes pour décrire ce que je ressens depuis notre séparation. J’ai honte de t’avoir fait souffrir, j’ai honte de les avoir toutes maltraitées. J’ai honte d’avoir été imbuvable avec mon entourage, avec Manon, avec Richard. Par moments, je bénis ma cicatrice au visage. Car quand je me regarde dans la glace avec cette horreur, je trouve qu’elle représente bien ce que je suis devenu. Un monstre.

— Tu n’es pas un monstre, Erwann. Je te trouve toujours aussi beau. Et même si tu as déconné, j’ai toujours une belle image de toi. Tu l’as dit toi-même à l’hôpital. Tu as chuté, ça arrive. Cela n’entache en rien la belle personne que tu es.

— Pourquoi ? demande-t-il en la regardant avec intensité.

— Pourquoi quoi ?

— Pourquoi me trouves-tu toujours aussi beau ?

Il veut se l’entendre dire. Il se couche sur elle, le visage à hauteur du sien. Son haleine tiède balaie sa peau dorée. Elle sourit, des larmes dans les yeux.

— Pourquoi me pardonnes-tu tout ? murmure-t-il.

Sa bouche est posée sur la sienne et son souffle chaud caresse ses lèvres entrouvertes. Gwendoline rougit. Dans un battement de cils, deux perles s’échappent et roulent sur le côté.

— Pourquoi ?

— Parce que je t’aime.

Erwann ferme les yeux pour savourer son aveu. Puis les rouvre et déclare :

— Je t’aime. J’espère que tu le sais. Je t’aime tellement, dit-il, lui aussi ému.

Jamais mot n’avait été jusque-là aussi intensément ressenti. Il sent son cœur battre et cogner contre sa poitrine, avec une force et une puissance inégalées. Son regard se noie dans celui de sa partenaire, avant qu’il l’embrasse avec ferveur et lui refasse l’amour, pour sceller dans une nouvelle étreinte passionnée, leurs sentiments mis à nu.

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