Chapitre 75 : Un ami qui vous veut du bien
Rennes-Vézin, le vendredi 25 Novembre 2022,
Ma chérie,
J’espère que toi et Emma allez bien et que ta grossesse se déroule pour le mieux. Ici, le moral est bon, bien meilleur qu’il y a quelques jours. Depuis ta venue au parloir, je me sens revivre, à tel point que mon nouveau colocataire n’arrête pas de me chambrer avec ça, mais il a raison. Grâce à ta visite, mon énergie a changé et je suis plus apaisé et heureux qu’auparavant. Je sens ta présence près de moi comme si tu étais réellement à mes côtés, et cela me fait du bien.
Qu’il me tarde de te revoir mardi prochain pour te serrer à nouveau dans mes bras. Comme tu le sais, ce sera le jour de mon anniversaire et je ne peux imaginer recevoir meilleur présent que de te tenir contre moi. Ton sourire et ta chaleur m’apportent tellement... Tes belles vibrations m’accompagnent à tout moment de la journée, me tirent vers le haut et m’aident à garder confiance en l’avenir. La nuit, je m’enveloppe dans la douceur de ton souvenir, et je repense à tout ce que nous avons partagé jusque-là. Tu sais combien je te suis reconnaissant de tout ce que tu fais pour moi mais je ne cesserai jamais de te le dire. Ma gratitude envers toi est infinie et je vais passer le reste de ma vie à te remercier.
La perspective d’une sortie prochaine, grâce aux espoirs que nous plaçons en Le Tonquédec, me réjouit plus que je ne saurais l’exprimer. Et la confirmation d’un bébé à venir me comble encore davantage. En dépit de cette sournoise petite voix qui me souffle que ce dernier est potentiellement celui d’un autre, attendre un enfant avec toi est une bénédiction. C’est pour cela que je choisis uniquement de me concentrer sur le positif et de m’envisager d’ores et déjà comme le grand gagnant de cette course à la paternité. La vie est un challenge et il faut toujours s’imaginer en vainqueur (tu excuseras mes analogies douteuses avec la compétition, mais mon nouveau colocataire, qui est féru de football et chauvin de surcroît, doit déteindre sur moi ! J’ai l’impression de vivre en permanence avec un commentateur sportif). Malgré ces doutes, avec toi à mes côtés, je me sens plus fort que jamais et ne peux rêver à autre chose qu’un dénouement heureux. Quand bien même cet enfant ne serait pas de moi, je réitère ma proposition de l’élever comme le mien. Mon amour, je te promets que je serai là, quoi qu’il arrive.
Concernant les dernières nouvelles, j’ai eu le plaisir de revoir Anthony avant-hier et Manon aujourd’hui. La venue de mon fils au parloir était presque inespérée, car je ne pensais pas qu’il accepterait de me rencontrer dans ce décor sordide. Comme Richard a accepté de l’accompagner, cela a peut-être pesé dans la balance pour le rassurer. Je sais bien que mon fils est presque un homme mais c’est dur pour un gosse de venir ici. C’est pareil pour Manon mais elle s’est montrée très courageuse, au regard de notre dernière entrevue. Richard l’a de nouveau emmenée, et cette fois, tout s’est bien passé. Même si la situation est compliquée, tout le monde fait preuve de bonne volonté et je suis extrêmement fier de mes enfants. Et tellement reconnaissant envers Richard pour tout ce qu’il fait.
Anthony n’avait pas l’air trop déstabilisé par ma situation pour sa première visite. D’ailleurs, lors de notre entrevue en tête-à-tête (Richard nous avait laissé seuls), je l’ai trouvé moins réservé et plus détendu qu’à notre précédente rencontre. Même s’il garde toujours ses distances, il s’est montré plus loquace, ce qui me semble être bon signe. De toute façon, peu importe sa manière d’être à mon égard, le simple fait qu’il ait accepté de faire le déplacement pour me voir est déjà un cadeau. Pour le reste, nous allons avoir besoin de temps pour nous apprivoiser.
Il m’a beaucoup parlé de ses études, qui lui demandent un investissement considérable, mais quasiment pas de sa vie privée. Il semblait gêné à l’idée de m’en dire plus. J’imagine que comme il s’agit de son intimité, cela nécessite qu’une plus grande complicité s’établisse entre nous. Je respecte cela et je serai vigilant à l’avenir à ne pas me montrer trop intrusif. Lorsque j’ai perçu son malaise, je n’ai pas insisté. Plus j’apprends à le connaitre, plus je le trouve génial. Je le trouve très intelligent, réfléchi et beaucoup plus mature que moi à son âge. En comparaison, j’avais l’air d’une vraie tête brûlée.
Si tout se déroule bien, la probabilité d’une prochaine sortie de prison s’accompagne de belles perspectives et j’aurai la possibilité de développer une véritable relation avec lui à l’extérieur. Pour le moment, c’est grâce à l’intermédiaire de Richard si je peux espérer nouer de vrais liens avec mon gamin, car je sais que Bud plaide ma cause auprès d’Anthony, pour que celui-ci me laisse une chance malgré ma situation. J’ai conscience que ma position actuelle ne joue guère en ma faveur, et peut-être Bud a-t-il dû mettre les petits plats dans les grands pour le convaincre de venir me voir, mais Anthony avait l’air de s’en accommoder et de ne pas m’en tenir rigueur. Il ne m’a rien reproché ouvertement en tout cas, mais m’a, au contraire, posé beaucoup de questions sur mes conditions de détention. Je ne sais pas trop ce qu’il pense de tout ça, car il ne m’en a rien dit, mais j’espère sincèrement qu’il ne me croit pas capable du pire.
Contrairement à mon ex, Solvène, qui m’a bien plombé auprès de mon gosse, Richard a dû lui dire ce qu’il faut pour remonter ma côte. De même qu’il s’est toujours montré disponible pour Manon, je suis persuadé qu’il fait de son mieux auprès de mon fils. Sans son intervention, je réalise que ma vie familiale serait un désastre. Je lui dois énormément. Depuis le début, il est sur tous les fronts. Il a volé à ton secours le jour de mon interpellation, a soutenu ma fille lors de notre parloir catastrophique, a convaincu mon fils de me rendre visite, et maintenant, il gère à distance la future rencontre entre mes deux enfants. C’est mon roc, ce mec, celui sur lequel je peux toujours compter. Je viens de lui écrire pour le remercier mais j’aimerais faire plus pour qu’il sache combien son aide m’est précieuse. Je me demande sans cesse comment je pourrais lui renvoyer l’ascenseur, quand je serai dehors. Pour l’instant, je suis impuissant ici, avec la sensation d’être pieds et poings liés. Je n’ai, à l’heure actuelle, pas d’autres alternatives que de m’en remettre à vous deux et je m’excuse par avance si je vous en demande trop. Toi et Richard faites ce que vous pouvez pour me soutenir et je vous en suis infiniment reconnaissant à tous les deux. Vous êtes mes piliers.
Si je n’ai pas tellement de solutions pour rendre la pareille à mon pote, en revanche, te concernant ma chérie, tu connais mes volontés. Je t’en ai fait part lors de notre parloir et elles sont toujours d’actualité. Il me tarde d’avoir ton retour à ce sujet. Je sais que tu voulais en discuter avec Emma avant de te lancer dans l’aventure et, si tu l’as déjà fait, j’espère que ta fille a répondu favorablement à mes suggestions. Malgré ta peur légitime de faire le grand saut, sache que tu peux avoir confiance, mon amour.
Lors de notre discussion, tu avais accepté ma proposition de procuration sur un de mes comptes courants, alors j’ai d’ores et déjà fait le nécessaire par courrier auprès de mon banquier. Reste à ce dernier à te transmettre les documents officiels pour que tu puisses les signer. Concernant le véhicule, il est à toi, tu le sais, et je suis ravi que tu aies fini par changer d’avis. J’ai pris les devants et écrit à mon assurance et à la préfecture dont je dépends pour changer le nom du conducteur principal. La seule chose pour laquelle tu ne te sois pas encore prononcée à l’heure actuelle concerne l’emménagement à mon (ou à notre) appartement. Mais comme je suis devenu très optimiste, grâce à toi, j’ai bon espoir de te voir t’y installer prochainement avec Emma...
Gwendoline arrête sa lecture et sirote son café au lait, une main posée sur son ventre. Elle jette un œil au mur devant elle, sur lequel trône sa dernière création. C’est avec un sourire serein qu’elle se lève et s’approche pour détailler de plus près son tableau de vision. Ce dernier, réactualisé depuis peu, reflète les nouvelles perspectives qui s’ouvrent à elle et à sa fille, par l’entremise de son compagnon. S’y trouvent épinglés dessus, pêle-mêle, plusieurs éléments constituant les faveurs du Breton : une photo du très bel appartement de standing, apparaissant en arrière-plan sur un selfie pris par Erwann ; une grande image imprimée du collège du Loquidy où Emma rêve de faire son entrée en sixième auprès de ses amies ; et enfin, l’imposant SUV noir aux jantes chromées. Tout autour sont collés les phrases inspirantes et autres visuels issus de son premier découpage, et qui ont pour objectif de symboliser la future sortie de prison de son compagnon.
Malgré les difficultés qu’ils rencontrent, Gwendoline se sent de plus en plus confiante face à tous les changements qui s’annoncent. Les yeux rivés sur leur avenir prometteur, elle n’entend pas Emma arriver. Cette dernière, aussi discrète et féline qu’un chat, l’observe à la dérobée, appréciant la quiétude sur le visage épanouie de sa mère. Postée dans la pénombre, elle se délecte à l’avance du mauvais tour qu’elle s’apprête à lui faire, mais auquel elle ne peut résister. C’est en se retenant d’éclater de rire qu’elle se tient cachée dans le noir, prête à surgir du couloir comme une figurine à ressort.
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