Chapitre 70 : Les faveurs

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En entendant la dernière tirade de sa compagne, Erwann s’écarte un peu, offensé.

— Je t’ai menti à quel sujet ? interroge-t-il sur la défensive.

— Je n’ai pas dit que tu m’avais menti, j’ai dit que tu ne m’avais pas tout dit.

Un moment de flottement s’installe entre eux, au cours duquel la confusion se lit sur le visage d’Erwann. Il scrute Gwendoline, dans l'expectative, essayant de deviner à quoi elle fait allusion. Il y avait de nombreux non-dits de part et d’autre avant son interpellation, alors il sait qu'elle dit vrai. Et le temps est venu de les mettre à plat.

— Qu’est-ce que tu me reproches ?

— Rien. Mais j’ai découvert la vérité à propos de deux choses.

Merde.

— Les modèles... et ton fils.

Aïe.

— Ah... oui, soupire-t-il... Effectivement... Je suis vraiment désolé de ne pas t’en avoir parlé. Comment as-tu su pour Anthony ?

— Richard a gaffé. Ce n’est pas de sa faute, ne lui en veut pas. Il ne savait pas que tu ne m’en avais pas encore parlé.

— Je ne lui en veux pas, t’inquiète. C’est moi le fautif. Si j’avais su ce qui m’attendais, j’aurais clarifié les choses de suite...

— Je sais, oui. Je vais être honnête avec toi. Tu m’as demandé si j’avais confiance en toi et si je te croyais, et c’est le cas aujourd’hui, oui, mais... le jour de ton arrestation, lorsque Richard a fait cette gaffe, j’ai perdu pied.

Elle lui raconte la panique qui l’avait gagnée lorsqu’elle avait appris l’existence de son fils. Cela s’était ajouté à ses relations avec les modèles qu’il avait délibérément passées sous silence. Elle en avait conçu de la rancœur et l’envie de tout plaquer. Mais Richard l’avait ramené à la raison, argumentant pour son meilleur ami, le défendant corps et âme, plaidant sa cause auprès de sa compagne. Mais Gwendoline n’avait pas été si dure que ça à convaincre. Son amour pour Erwann surpassait les doutes, d’autant qu’elle non plus n’avait pas été honnête envers lui. Elle s’était contrainte au silence car elle avait eu peur de le perdre, exactement comme lui.

— On venait à peine de se réconcilier, renchérit Erwann, abondant dans son sens. Concernant les modèles, j’avais répondu sincèrement à toutes tes questions sur mes « conquêtes ». Je ne voulais pas en rajouter. Tu avais déjà l’air tellement... déçu. Je préférais que tu digères mes aveux avant d’en remettre une couche. Mais j’ai eu tort, je le sais. Je m’en excuse, j’aurais dû te dire la vérité à ce moment-là.

— Tu as voulu m’épargner.

Erwann rejette cette hypothèse, reconnaissant que c’était une excuse qu’il s’était longtemps donnée pour faire passer la pilule. Il avait conscience à l’époque que s’il n’avait pas tu tous ces « détails », elle aurait pu faire demi-tour... D’ailleurs, il se repropose de lui en parler sur-le-champ, de tout lui raconter et d’être honnête avec elle, ce à quoi Gwendoline oppose un deuxième veto. « Pas pour le moment », rétorque-t-elle en baissant les yeux sur le sol douteux de la pièce microscopique dans laquelle ils sont parqués. « Je ne suis pas encore prête ». Erwann réitère ses excuses, arguant qu’il avait juste voulu se protéger lui-même et que cela avait été un tort. Il avait été lâche et irrespectueux.

— Tu mérites le meilleur et, clairement, ce n’est pas le meilleur que je t’ai offert jusqu’à présent. Et ne parlons même pas d’ici. Je ne veux pas qu’on se sépare mais je ne veux pas t’entrainer dans cette galère non plus. Je ne sais plus quoi faire, Gwen... J’ai l’impression d’être écartelé. C’est insoluble. Je ne sais plus ce qui est dans ton intérêt à toi. Je suis en taule et tu es enceinte. Si tu restes alors que je suis derrière les barreaux, tu morfles. Si je te demande de ne plus venir, tu morfles aussi. On ne peut pas faire pire comme situation ! Quoi que l’on envisage, tu morfles dans tous les cas. C’est intolérable pour moi. En te demandant de rester, je suis en train de gâcher ta vie. Je ne supporte pas cette idée...

— Erwann… le coupe-t-elle. Je sais que tu veux mon bien, que tu veux me voir heureuse, mais crois-tu vraiment que je peux tourner le dos à notre histoire, après tous ces merveilleux moments que l’on a passé ensemble ? Tu penses que je peux rentrer chez moi après ce parloir et m’installer devant la télé, comme si de rien n’était, en me demandant ce que je pourrais bien regarder ce soir pour me changer les idées ? Crois-tu vraiment que cela soit réaliste ?

Il sourit à peine, de ce sourire sans joie qu’il arbore chaque fois qu’il se sent au plus mal et qu’elle lui pardonne tout. Elle lui avait reproché sa clémence envers Quentin, mais elle a la même générosité et la même bienveillance envers lui, quand bien même il ne les mérite pas.

— Non, tu n’aimes pas la télé.

Elle rit faiblement, déroutée par sa réponse. Mais reprend rapidement son sérieux, consciente qu’ils ont un choix à faire, une décision à prendre pour leur avenir. Il est l’heure pour eux de savoir si oui ou non ils veulent continuer ensemble, si oui ou non, ils sont prêts à prendre le risque de poursuivre cette histoire qui démarre de la façon la plus chaotique qui soit. Elle comprend les tergiversations d’Erwann, sa culpabilité à lui imposer cette vie, mais elle aussi a fait preuve d’imprudence et le met dans une situation compliquée. Tous les deux ont été irresponsables, chacun à leur manière et doivent faire face aux conséquences de leurs actes désormais. Ils sont quittes, mais pour aller de l’avant, ils doivent accepter leurs erreurs mutuelles, et les dépasser. Sans cela, rien ne sera possible. Une mise au point s’avère nécessaire et Gwendoline se lance :

— Cette idée de séparation qui plane au-dessus de nous constamment, comme une possibilité, une option ou une échappatoire... elle me dérange.

Elle reconnait volontiers que la situation est merdique à tous points de vue, mais qu’à présent ils doivent décider de ce qu’ils veulent vraiment. Et le faire maintenant. C’est un pari sur la vie, ajoute-t-elle, et c’est vrai que c’est effrayant, avec ce procès aux assises qui leur pend au nez. Mais cette ultime résolution leur permettra d’utiliser leur énergie dans la bonne direction, au lieu de passer leur temps à douter du chemin à emprunter et à tout remettre en cause.

— Soit on reste ensemble et on se serre les coudes pour s’en sortir, soit...

— Je ne veux pas de cette deuxième option, l’interrompt Erwann. Et même si ça me fait chier de t’imposer ça, si tu es prête à me suivre, je ne veux plus qu’on l’envisage. Tu as raison. Mon choix est fait. Et mon choix, c’est toi.

Elle opine du chef, souriante. Puis l’embrasse, soulagée.

— En plus, tu vas sortir, c’est une certitude. J’ai du nouveau pour l’avocat.

Face au visage intrigué de son compagnon, elle raconte les sacs à mains, la carte de visite et son appel à Maître Le Tonquédec, qu’Erwann allait très bientôt revoir. Elle lui annonce qu’une demande de rendez-vous est actuellement en cours de la part du magistrat et qu’elle allait également le voir pour préparer cet entretien et lui communiquer toutes les informations qu’il a demandées. Erwann éclate de rire, aux anges.

— Une libération sous surveillance est à espérer, déclare-t-elle, émue, les larmes aux yeux.

— Merci, dit-il en la serrant à nouveau dans ses bras. Tout ce que tu as fait pour moi, c’est juste... je n’ai même plus de mot, tu sais...

— Je te l’ai dit. Je suis de ton côté et je vais tout faire pour te sortir de là.

— Et je suis là pour toi aussi. D’ailleurs, j’ai une dernière requête à formuler... si tu veux continuer à m’aider.

Un sourcil arqué, elle le dévisage, attendant la suite.

— J’aimerais que tu acceptes certaines... faveurs.

— Des faveurs ? répète-t-elle surprise.

La première de ses demandes annonce la couleur pour la suite. Erwann souhaite que Gwendoline donne son préavis pour la location de sa maison et qu’elle vienne s’installer avec Emma dans l’appartement de la Jonelière. Que le X5 du Breton devienne le véhicule officiel de sa compagne, privée du sien, laissé aux oubliettes dans la villa du breton. Après l’interpellation de son compagnon, Gwendoline avait dû faire sien son magnifique BMW et, à sa grande surprise, elle se l’était approprié plus rapidement qu’elle ne l’aurait imaginé. Comme elle le lui explique, elle le conduit désormais tous les jours et reconnaît qu’il est très agréable à manipuler, malgré ses dimensions pachydermiques.

— Je suis venue avec aujourd’hui, termine-t-elle en souriant. Je l’adore.

— Ce qui est drôle, c’est que cette voiture dont tu ne voulais pas, il n’y a plus que toi pour la conduire désormais.

Elle lui offre un sourire mutin, qui trahit le plaisir qu’elle prend à profiter de certains avantages.

— Cadeau, déclare Erwann, sobrement. Je vais mettre l’assurance et la carte grise à ton nom.

Une autre de ses faveurs est énoncée dans la foulée. Erwann désire que Gwendoline ait une procuration sur, au moins, un de ses comptes bancaires. De cette manière, elle pourra lui faire des virements sans mettre en péril sa situation financière qui, comme il l’avait appris de la bouche de Richard, était devenue précaire, et ce, en partie par sa faute, lui rappelle-t-il.

Elle éclate de rire avant d’ajouter :

— T’es au courant qu’actuellement je ne dois gérer que quelques centaines d’euros et que j’ai déjà du mal à m’en sortir ? Et tu voudrais me confier la gestion de milliers d’euros ?

Elle part d’un fou rire, avant d’ajouter :

— Tu n’es pas sérieux, Erwann ?

— Si, très. Parce que tu n’auras pas à gérer mes finances à proprement parler. Ça, ce sont mes banquiers qui s’en occupent.

Tes banquiers, évidemment, réplique-t-elle, de plus en plus hilare. Moi, je n’en ai qu’un et il me déteste depuis quelques mois.

Erwann la suit dans son rire communicatif, puis la rassure : par le biais de cette procuration, son rôle consistera uniquement à s’occuper des opérations courantes, comme utiliser une carte bleue pour payer les courses, l’essence, retirer de l’espèce, faire les virements... ou apposer sa signature sur les documents importants, si nécessaire. Tout l’argent dont elle aura besoin au quotidien proviendra du compte de son compagnon, plus des siens. Erwann ajoute que pour tout ce qui concerne Manon ou la villa, il incombera à Richard de garder un œil dessus. Ils se répartiront les tâches, en quelque sorte. Lui s’occupera de Crozon et elle, de Nantes. Pour l’appartement de la Jonelière, Gwendoline et sa fille seront chez elles, et non pas des invités du Breton.

— Chez nous, si tu préfères... reprend-il pour l’apaiser. Mais bon, actuellement ça ne veut pas dire grand-chose étant donné que je suis encore là.

Songeuse, voyant qu’Erwann n’a pas l’air d’en avoir fini, elle se tient prête pour le reste.

— Je voudrais aussi que tu inscrives Emma dans le meilleur collège de Nantes qui, par chance, se trouve sur le même secteur que mon appartement.

— Le Loquidy ?

— Yep.

— À 1700 balles l’année, sans compter la cantine et les à-côtés ?

— Yep. Tu m’as dit dans ta lettre que tu étais en train de prospecter pour lui trouver un établissement pour la sixième. C’est le vingtième meilleur collège de France.

— Ce collège de BoBo et de catholiques intégristes ? Je n’aime pas leur mentalité.

— Ils ont un taux de réussite de cent pour cent aux examens. Pour les études, on ne fait pas mieux. Et tu m’as dit que ses copines y allaient et qu’elle voulait en être aussi.

— Toi, comme t’es là, tu essaies de récupérer le coup de l’annulation à Disney, plaisante-t-elle.

— Non, Gwen.... Je veux ce qu’il y a de mieux pour ta fille... et pour toi aussi, bien sûr.

— Bien. Je peux te demander pourquoi toutes ces... conditions ?

Sans aucune difficulté, Erwann lui expose son point de vue : Si elle voulait venir le voir au parloir deux fois par semaine, comme elle l’avait indiqué dans une de ses lettres, elle ne pourrait plus être aussi disponible pour son travail de modèle. Les visites ayant lieu le matin ou l’après-midi, toujours en plein milieu de la demi-journée, cela réduisait considérablement les créneaux dans son planning. Elle pourra toujours accepter les missions qu’elle souhaite mais elle sera forcément pénalisée par ses visites à Rennes. Deux heures trente aller-retour, sans compter le temps des parloirs, comme le précise encore Erwann. Une demi-journée à chaque fois, deux fois par semaine, ce qui était évidemment ingérable et incompatible avec une activité à temps plein.

— Tu ne pourras pas être partout, argumente-t-il encore. Voilà pourquoi je veux te préserver. Il est hors de question que tu galères dehors alors que je suis à même de t’aider, si ce n’est physiquement, au moins financièrement.

— Erwann... je ne suis pas du tout avec à l’aise avec cette idée de profiter de ton argent. Ça me gêne.

Ce à quoi il répond qu’il n’est pas du tout à l’aise avec l’idée de profiter d’elle, de son énergie, de son temps libre, de sa bonté, sans parler du fait qu’il a l’impression de l’enfermer avec lui dans cette maudite taule...

— À ce stade, Gwen, il va falloir qu’on prenne sur nous chacun de notre côté si on veut que cela fonctionne... Je connais ton point de vue lorsqu’il s’agit de l’argent, tu me l’as assez répété. Et je le comprends... Mais là, les choses sont vraiment différentes... Ce sont des circonstances exceptionnelles qui nécessitent des mesures exceptionnelles.

Le visage impassible, elle le regarde, comme si elle espérait trouver dans ses yeux noisette une autre solution à tous leurs problèmes.... mais rien ne lui vient. Résignée, elle opine du chef presque imperceptiblement.

— Tu es d’accord ?

— J’ai l’impression que tout est très clair pour toi et que tu y as mûrement réfléchi.

— J’ai beaucoup de temps pour me retourner le cerveau ici, tu sais, répond-il en plaisantant.

— Histoire de savoir ce qui m’attends si j’accepte cette proposition indécente, je peux te poser une question sur ta fortune ?

Dans un geste nonchalant, il s’adosse à la chaise, les bras croisés sur la poitrine, un rictus au coin des lèvres. C’est bien la première fois qu’elle s’y intéresse, tiens ! Il hoche la tête, souriant.

— On parle de combien, Erwann ? À quel genre de chiffres vais-je avoir à faire ?

Gwendoline est suspendue à ses lèvres, le cœur de plus en plus rapide. Elle le sait riche, mais n’a aucune idée de l’ampleur de sa situation financière, à propos de laquelle elle n’avait jamais posé de question jusqu’à présent, trop intimidée à l’idée de découvrir ce que cela représentait. Avec un sourire taquin, il lui demande :

— Prête ?

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