BONUS : Tu honoreras ton père et ta mère
Il y a un a un commandement religieux (auquel je n’adhère bien évidemment pas) qui énonce : « Tu honoreras ton père et ta mère » et ce qui est très intéressant (ou pas) c’est qu’il n’existe pas (sauf erreur de ma part) son pendant concernant les enfants. Aucun commandement n’énonce, à l’intention de parents : « Tu chériras et respecteras ton enfant ».
On part du principe que parce qu’en tant que parent on donne la vie aux enfants, ils nous doivent le respect, l’amour et la loyauté filiale et que pour cela, en retour, nous n’aurions aucun devoir envers eux. Dans la loi française, les parents ont une obligation d’éducation, qui est axée plus ou moins autour du fait de les nourrir, de les vêtir et de les éduquer. Comme le sens de notre éducation est très variable d’un parent à l’autre, chacun peut faire sa petite cuisine en privé sans que nul ou presque n’en soit inquiéter.
En tant que parent, s’il y a bien quelque chose qui m’a frappé le jour de la naissance de ma fille c’est l’ÉNOOOOORMMME responsabilité que moi j’avais vis-à vis d’elle et les très importants devoirs que j’avais envers elle. J’ai réalisé que mon exemple, mon comportement et la manière dont j’allais choisir de l’élever, au quotidien, définiront indubitablement l’adulte qu’elle deviendrait plus tard.
En d’autres termes, que j’en sois consciente ou non, que je le veuille ou non, j’allais la façonner. Consciemment, ou inconsciemment, volontairement ou involontairement, chacun de mes mots, de mes actes et de mes choix ont un impact ÉNORME sur elle, et cela est d’autant plus vrai que je suis là, au quotidien, durant ses premières années (une vingtaine en moyenne donc).
En tant que parent, nous allons créer un socle, une base qui définira, par la suite, tout le reste de leur existence. C’est comme une recette, si tu veux que le gâteau soit réussi à la fin, tu as intérêt à choisir et à bien doser les ingrédients que tu mets dedans.
Pour ma part, j’ai pris le parti de remettre en cause tout ce qu’on m’avait inculquée car j’ai trouvé qu’être suicidaire à seize ans ne faisait pas de moi un gâteau très réussi. Je dirais même que le gâteau était brûlé de toutes parts et je comprenais que personne ne veuille y goûter et que le peu de personnes qui osaient le faire frôlaient l’indigestion. Alors, pour ne pas imposer aux autres mon goût désagréable et calciné de gâteau foiré, j’ai pris le parti de me renfermer sur-même et de devenir une solitaire, m’obligeant à une vie à la saveur bien amère.
Lorsque ma fille est née, voyant l’énorme importance du rôle que j’allais jouer auprès d’elle, j’ai pris la décision de tout faire pour réussir ma superbe pâtisserie, mais comme j’étais une piètre cuisinière, je me suis fait seconder durant tout mon chemin. Si moi j’avais tout raté dans ma vie personnelle, je pouvais encore espérer qu’elle, à contrario, allait tout réussir.
Chaque jour, chaque heure, chaque étape a été un défi. J’avais misé gros et le travail que je devais effectuer sur moi-même au quotidien était colossal. J’ai souvent merdé. Mais ma fille, que je chéris plus que tout, a eu la gentillesse et la bonté de me pardonner mes erreurs chaque fois que me suis excusée auprès d’elle. J’étais terrorisée à l’idée qu’elle soit malheureuse ou qu’elle souffre de l’un de mes manquements. Je la souhaitais confiante en la vie, bien dans ses baskets, heureuse et sereine. Je voulais qu’elle soit pleine de joie, qu’elle se sente aimée et respectée, qu’elle apprenne à s’aimer et à se respecter elle-même, et qu’au-delà de ça, elle ait le maximum de cartes en main pour bien démarrer la vie. Tout cela est en bonne voie, Dieu merci.
Je n’attends pas de mon enfant qu’elle m’honore comme le demande le commandement, j’attends qu’elle s’honore elle-même et j'espère que sa vie d'adulte sera merveilleuse, sans aucune limite, et avec le moins de conditionnements négatifs possible. Si les parents veulent que leurs enfants les honorent, qu’eux-mêmes les chérissent avant tout au-delà du possible, car ils ne sont que le résultat de leur création. C’est à nous, parents, à faire ce qu’il faut, nullement aux enfants de se plier à nos folies et de subir nos défaillances.
À force de persévérance, et malgré mes nombreux faux pas, j’ai vu notre relation s’embellir jour après jour. Certains diront : oui, mais c’est facile, vous êtes deux filles, vous n’êtes que toutes les deux, etc etc (je l’entends souvent). Et pourtant, je peux certifier qu’il y a des mères et des filles qui ont vécu seules ensemble et qui ne s’aiment pas, puisque je l'ai vécu avec ma propre mère. Cela ne suffit pas à créer l’amour inconditionnel, la bienveillance et le respect. Ça, cela vient quand on a le désir profond et sincère d’offrir le meilleur de soi (et non pas les restes immangeables) et que les actes suivent la parole.
Pourquoi je vous raconte tout ça ? Parce que j’ai été "obligée", comme chaque année, de passer le réveillon avec ma mère. Et comme chaque année, j’en suis revenue très heureuse d’avoir revu une partie de mes amis (donc je ne voudrais pas me passer), et complètement dépitée d’y avoir enduré la présence de ma mère. Je ne lui ai presque pas adressé la parole. Ma mère, je la vois lorsqu’elle vient chercher ma fille pour la garder. Cela ne dure que quelques minutes et pourtant cet infime laps de temps suffit en général à me faire disjoncter. Dans le roman, la mère de Gwen n’apparait presque pas. Dans ma vie, c’est presque la même chose, je n’ai quasiment pas de contacts avec elle et le peu que j’ai me mettent systématiquement hors de moi.
Comme je suis en thérapie, ma formidable psy a bien vu que le dossier était très lourd. Jusque-là, on avait beaucoup évoqué la boulimie, la prostitution, mon père, mon frère, mes relations chaotiques avec les hommes et un peu de tout, mais le dossier « maternel » a longtemps été mis de côté et n’a pas encore été creusé en profondeur. Pourtant, c’est celui qui méritera le plus de séances, à n'en pas douter, mais le sujet est tellement explosif qu’il ne peut être amené sur le tapis qu’à grand renfort de précautions. Depuis quelques semaines, on y arrive doucement. Et les séances sont extrêmement éprouvantes et douloureuses. Elles le sont pendant le rendez-vous, mais elles le sont aussi, et surtout, entre chaque rendez-vous. Je sens que tout ce qui remonte me fait mal. Je sens que je suis à fleur de peau, prête à bondir, et qu’il ne faut pas grand-chose pour que je pète un câble. Mais le réveillon m’a projeté dans un état de déprime totale.
Lorsque l’on m’a invitée à passer le réveillon chez des amis, comme chaque année, ma première pensée a été de dire non, pas en ce moment, pas avec ma mère que je ne supporte plus de voir. J’en avais discuté avec ma fille et elle était d’accord pour ne pas y aller. Et puis, je me suis sentie mal de la priver de voir du monde, de passer un bon moment avec des gens que nous aimons. J’ai donné une réponse positive et j’ai expliqué à ma thérapeute ce qui m’attendait. Elle a tout fait pour m’y préparer, armée de ses bons conseils et de sa bienveillance, car elle sait combien ce genre de moments est source de souffrance pour moi. Ce genre de petite sauterie qui nous réunit ma mère et moi a lieu à peu près quatre à cinq fois par an et c’est toujours le même scénario. Je finis par être la méchante fille ingrate envers sa pauvre maman qui a tout sacrifié pour ses enfants. Cela fait quarante ans que cela dure.
Dès mes premières années, on m’a fait comprendre que ma mère faisait tout pour moi, qu’elle était dévouée, généreuse, presque irréprochable. Cette « pauvre Jacqueline » qui avait tant souffert et qui pourtant trouvait encore la force de faire tout ce qu’il fallait pour ses enfants. J’ai grandi avec la sensation que je devais quelque chose à ma mère, que je ne serais jamais à la hauteur de sa grande générosité d'âme. C’était presque une image d’Épinal, cette femme, quasiment la Vierge Marie à genoux au pied de la croix, presque une sainte à deux doigts de la canonisation. J’ai longtemps cru et adhéré à cette vision. Oui, la seule qui merdait dans cette histoire, c’était forcément moi, et si notre relation était pourrie cela ne pouvait venir que de moi, la fille indigne.
Jusqu’à seize ans, je n’ai pas remis en cause cette image de ma mère, puis sont arrivées les premières thérapies et l’image d’Épinal a fortement été écornée.
Le travail de sabotage de ma mère vis-à-vis de nous, ses enfants, a été quotidien, long, lent, et parfaitement imperceptible par l’entourage. C’étaient des mots dévalorisants, des regards noirs où on pouvait y lire de la rancœur, de la haine, de la déception ou du dégoût. C’était des petits actes pour nous rabaisser, pour nous mettre dans la mauvaise posture, de celle de l’enfant qui a tort et ne fait rien de ce qu’il devrait faire pour correspondre à ce que son bon parent dévoué et charitable attend de lui. Ce n’était pas de la violence visible et brutale, c’était de la violence sournoise et silencieuse. C'était pernicieux et pervers. Personne ne voyait rien. Nous n’avions que des reproches, jamais de compliments, jamais d’encouragement, jamais de reconnaissance ou de gratitude pour quoi que ce soit. Nos défauts prenaient toujours le pas sur nos qualités et quoi que nous fassions, il fallait toujours s’attendre au pire car, de toute façon, rien de bon ne nous arriverait jamais. Il y a eu des choses plus graves aussi, mais toujours à l’abri des regards et dont mon frère et moi n’avons jamais parlé.
Ma mère a un talent inné que personne ne connaît : elle joue deux rôles. Je l’ai souvent comparée à Jim Carrey dans The Mask et cela ne peut pas être plus vrai pour parler d’elle. Il y a « elle avec nous », et « elle en société ». Ce n’est pas la même personne. Je l’ai vue par exemple se disputer violemment avec moi avant de recevoir des invités et réussir à ouvrir la porte quelques minutes plus tard en étant tout sourire et accueillante. Moi, j’étais encore tremblante de rage, des larmes dans les yeux, le cœur en morceaux, l’humeur massacrante, et je l’entendais dire à la tablée : « qui veut un peu de brioooooche ????» Ah ça, c’est un don dont je n’ai pas hérité ! Cette capacité à faire volte-face aussi vite et facilement parce qu’il fallait donner le change devant « les gens », je n’ai jamais eu ce pouvoir. Donc bien évidemment, j’étais celle que l’on regardait de travers, parce que moi, ça n’allait jamais. Et le travail de sape continuait alors par l’entourage, ce qui réjouissait ma mère à qui on confirmait que oui, c’était bien sa fille le problème, parce que regardez comme cette mère est généreuse avec sa brioche !
Parfois, je m’interroge : les gens ne voient-ils pas quand un de tes gamins est au cimetière et l’autre en dépression, c’est que, toi, en tant que parent, tu as merdé ? Et bien la réponse est non : les gens ne croient que ce qu’ils voient et ce qu’ils voient ce sont deux « mauvais » enfants qui ont eu une mère qui « a tout fait pour eux ». C'est le deuxième effet kiss cool, la double peine.
J’ai vu mon frère, dans ses dernières années, lever à plusieurs reprises la main sur elle, sur sa propre mère, et je me souviens comme cette idée pouvait horrifier les gens. Mais je me rappelle surtout sa détresse, ses peurs et ses angoisses et je comprends son geste, je comprends l’enfant détruit qu’il avait été et que personne ne voyait. Et j’en veux d’autant plus à ma mère car c’est encore à elle qu’on a attribué le beau rôle, celui de la mère courage.
J’en suis toujours perplexe : pensez-vous que deux enfants peuvent détester leur mère à ce point-là si elle avait fait tout ce qu’il fallait pour eux ? On serait donc méchants avec elle par unique goût de faire du mal ? Par seul plaisir de la maltraiter ? On serait si horribles que ça ? Deux démons seraient sortis par erreur du corps de cette sainte ? Apparemment oui. Comprenez bien, je n’ai jamais entendu de toute ma vie quelqu’un dire : « ces pauvres gosses, avec tout ce qu’ils ont enduré... » Non. Jamais. Nous étions mauvais et elle était sur son piédestal de mère intouchable.
Et après ce réveillon, comme chaque fois que je la vois, je me sens toujours aussi mal, baignant dans ma douleur et ma souffrance, alourdit de cette étiquette de « fille indigne », de « mauvaise fille », d’ingrate, qu’on me colle habituellement. Ça ne s’arrêtera jamais, personne ne verra jamais rien, mon frère restera toujours celui qui est mort d’avoir joué au con et je resterais celle qui a tourné le dos à cette « pauvre Jacquotte ». Nous sommes les monstres de cette histoire. Elle a gagné.
Je lui ai écrit un message en me levant le premier janvier, dans lequel je lui disais que je n’assisterai pas à sa galette des rois de la fin janvier, ni à aucune autre rencontre familiale ou amicale où elle serait présente. Je ne veux plus la voir car à chaque fois, j’en ressors toujours plus mal. J’ai lu le message à ma fille pour lui expliquer mon point de vue, qu’elle a compris et avec lequel elle est d’accord. Elle me soutient.
Je n’ai pas encore envoyé le message.
Nous n’avons pas le droit de détester nos parents.
Ils ont tout fait pour nous.
Nous sommes d’horribles enfants si nous leur tournons le dos.
Quelle ingratitude de couper les ponts après tout ce que leur mère a fait pour eux.
Je suis au bord d’un précipice. Je pleure tous les soirs en allant me coucher et mon cœur et mon cerveau sont constamment coupés en deux : d’un côté, je hais ma mère, de l’autre je me hais de la haïr. Ça tourne en boucle depuis des jours (et avant depuis des années) et cela me paraît insoluble. Parce que le commandement qui nous poursuit depuis la nuit des temps est : tu honoreras ton père et ta mère. Mais je me demande sans cesse : où est donc ce commandement qui dit : « et tu chériras et respecteras ton enfant » ? Parce que la réciproque me paraît quand même inévitable, non ? Je crois sincèrement qu’on a les enfants qu’on mérite. Et que si un parent trouve ceux-ci défaillants, c’est à lui de se remettre en cause et non pas à modeler sa progéniture pour en faire ce qu’il souhaite, ou la dénigrer lorsqu’elle ne lui convient pas.
Pourquoi je vous raconte tout ça aujourd’hui ? Parce que cela affecte ma capacité de concentration et d’écriture. Je n’arrive pas à boucler le tome deux, et le tome trois va aborder des sujets toujours aussi sensibles qui me remuent pas mal. Il mettra notamment en lumière, au fil des séances de thérapie, les raisons et les explications qui ont poussé inconsciemment Gwen à choisir la voie de la prostitution. Ces causes sont nombreuses, multiples, variées et inconnues de tous puisque seules Gwen et sa mère en connaissent la teneur. Elles sont capitales pour comprendre comment on peut en arriver là. Mais de fait, elles sont aussi un peu glauques et dérangeantes, et je ne me réjouis pas à l’idée de partager cette partie-là de ma vie, mais il m’apparaît que cela est nécessaire pour appréhender l’ensemble du personnage. On n’arrive pas à la prostitution par hasard et dans mon cas, mes deux parents ont tous les deux contribué lentement mais sûrement à faire de moi ce que je suis devenue. Et le tome trois sera l’occasion pour moi de mettre tout cela à plat.
Mais voilà, pour le moment, je n’arrive plus à écrire et en relisant les chapitres que je devais vous balancer cette semaine, je me rends compte que cela ne me convient pas. Soit parce que l’état d’esprit dans lequel je suis ne me permet pas d’avoir assez de recul sur ce que j’ai déjà écrit, soit parce que les chapitres ne sont vraiment pas à la hauteur de ce que j’attends de mon "œuvre".
Donc, pour le moment, c’est stand by, voilà où je voulais en venir. Je vois ma thérapeute vendredi, j’espère que cela m’aidera à passer le cap.
D’ici là, je suis au fond de mon lit, abasourdie de tristesse, submergée par mes émotions, tiraillée par l'ambivalence de mes sentiments. J’attends que la tempête passe, car elle passera inexorablement.
Que Dieu me vienne en aide.
Que votre année 2023 soit à la hauteur de vos rêves et de vos espérances.
Je suis sûre que la mienne le sera aussi, malgré ce départ en fanfare.
Keep calm & choose Love.
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