Chapitre 82 : Les gardes du corps

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Erwann scelle leur accord par un tendre baiser, puis la relâche doucement, avant de la reconduire à son fauteuil, en l’aidant à s’installer. Il se place face à elle, le visage plus lumineux et confiant que jamais, ragaillardi par leurs étreintes passionnées et la promesse d’éternité qu'elle vient de lui offrir. Gwendoline se repositionne sur son siège, encore toute chamboulée par l'intensité de leurs derniers échanges. Leurs mains se joignent au centre de la table, aimantées et inséparables. Après cette agréable interlude, Gwendoline s’oblige à revenir à leur enquête, pour laquelle ils n’ont que peu avancé. Le temps joue contre eux, et les minutes passées ensemble au parloir semblent s’égrener deux fois plus vite qu’à l’extérieur.

Cependant, Erwann ne l’entend pas de cette oreille et contrecarre à nouveau ses plans en abordant le sujet de son déménagement. Les yeux brillants de joie, il lui demande si elle avait pris le temps de réfléchir à ses propositions qu’elle jugeait encore indécentes quelques jours auparavant. Elle lui annonce qu’elle en avait longuement parlé à sa fille, qui se montre plus qu’enthousiaste à l’idée d’honorer toutes ces « faveurs ». Gwendoline avait d’ailleurs déjà écrit sa lettre de préavis, sans avoir encore osé l’envoyer. Pourtant, cette dernière est toujours dans son sac. Mais mue par une peur insondable, Gwendoline n’avait pu se résoudre à la poster jusque-là.

— Fais-le, l’enjoint-il posément. Tu n’as pas d'inquiétude à avoir. Je sais que la situation t’effraie mais je ne veux pas que tu continues à galérer. Et je serai rassuré à l’idée que tu t’installes chez moi, enfin chez nous si tu préfères. J’ai besoin de te savoir en sécurité.

— En sécurité ? répète-t-elle, étonnée. Tu penses que je suis en danger ?

— Je ne le pense pas. Mais quand je vois tout ce qui m’arrive, si quelqu’un essaie de me détruire et que je suis déjà en taule, alors la meilleure façon de m’atteindre serait de te faire du mal. À toi ou à mes enfants, évidemment. Néanmoins, je ne veux pas envisager ce genre de scénarios. On n’a pas de raison de se monter le bourrichon car aucune menace de ce genre ne pèse sur toi. C’est juste une précaution. Mon appartement est ultra-sécurisé, il y a un gardien à l’entrée et le garage souterrain est fermé. Autant prendre les devants et te mettre à l’abri.

Dans la foulée, il lui explique qu’il avait demandé à Richard de se montrer plus attentif aussi, concernant Manon-Tiphaine et sa propriété de Crozon, également protégée par un lourd dispositif de sécurité. Même si à l’heure actuelle ses craintes ne sont pas justifiées, il préfère se montrer vigilant et rester sur le qui-vive, étant donné la gravité de la situation dans laquelle il se trouve. Richard lui avait par ailleurs ri au nez, en lui demandant s’il comptait aussi leur assigner des gardes du corps. Il avait rétorqué à Erwann que ses peurs dépassaient l’entendement bien qu’il put comprendre qu’à force d’être enfermé dans son bocal à ruminer, le photographe finisse par devenir parano.

— Parano, répète Erwann en s’esclaffant. Il en a de bonnes ce con ! C'est pas lui qui est au placard !

Gwendoline sourit en écoutant cette anecdote. Elle reconnaît l’habituelle légèreté d’un Richard au caractère désinvolte.

— J’adore quand il se fout de toi, et j'aime vous entendre vous chambrer.

— Ouais, ben il ne perd rien pour attendre celui-là, déclare Erwann en riant.

Il lui fait un clin d’œil pour souligner la complicité qui l’unit au coiffeur, avec lequel il est toujours prompt à se chamailler. Puis reprend son sérieux.

— Tu ne risques rien, ajoute-t-il d’un ton persuasif. Je souhaite juste faire de mon mieux pour veiller sur toi. Sur ta fille et sur le bébé aussi, bien entendu. Avec tout ce que tu fais pour moi, laisse-moi te rendre la pareille. Emménager chez moi, c’est tout ce que je peux te proposer pour t’épauler en ce moment. Par la suite, quand je sortirai, les choses seront différentes, mais aujourd’hui, je suis limité par ma condition.

Son ton implorant touche sa compagne, qui réalise combien Erwann s’inquiète pour elle. Elle se maudit de lui infliger de tels tourments et décide une bonne fois pour toutes de mettre un terme à ses préoccupations. Elle se somme intérieurement de s’occuper de ce courrier dès sa sortie du parloir.

— Je vais le faire, lui promet-elle, sincère. Je vais poster mon préavis dès que je sors d’ici.

— Merci mon amour. Crois-moi, je mettrai toute mon énergie à faire en sorte que tu n’aies jamais à regretter cette décision.

Ils échangent un regard rempli de gratitude l’un pour l’autre. Puis Gwendoline, en bonne élève disciplinée, reprend son enquête :

— À présent, il faut qu’on retourne à ton affaire, Erwann. Je sais que cette discussion n’est pas des plus agréables pour nous deux mais on doit s’efforcer de découvrir l’origine de cette folie. J’ai besoin de donner des pistes de réflexion à ton nouvel avocat pour orienter ses recherches.

Erwann acquiesce, affichant l’air de celui qui s’apprête à monter à l’échafaud.

— Eh bien, pour répondre à ta question au sujet de mes « ennemis », à part Jocelyn, je ne vois pas qui d’autre m’en voudrait, déclare Erwann en soupirant. Pour moi, Quentin est exclu, mais je peux me tromper. Et concernant les femmes qui m’accusent, c’est Anaïs la plus virulente d’entre toutes.

Pour expliciter ses propos, Erwann lui relate leurs différentes rencontres et comment la jeune femme, qu’il qualifie de teigneuse, avait essayé à maintes reprises de s’immiscer dans sa vie, d’abord en lui demandant d’officialiser leur relation, puis en débarquant sans prévenir sur son lieu de résidence. Il insiste sur le fait que c’est celle qui avait été la plus acharnée dans ses demandes intimes, et qu’elle avait profité de leur dernière nuit pour le piéger.

— Te piéger ? répète Gwendoline, interpelée.

Erwann lui parle pour la première fois de la vidéo dont il avait découvert l’existence lors de son audition. En entendant cette histoire de « sextape » réalisée à l’insu de son compagnon, Gwendoline sent une nausée l’envahir. Sans lui toucher un mot de son malaise latent, elle se met à respirer plus profondément pour tenter de s’apaiser. Tandis qu’Erwann continue son exposé, relatant quelques détails de son interrogatoire musclé, elle reprend contenance. Pour chasser les dernières traces de son trouble, elle se râcle la gorge et intervient :

— C’est un complot, Erwann. Quelqu’un est à la tête de tout ça.

Elle poursuit son argumentation en faveur de cette théorie. Tout cela lui semble trop bien ficelé pour ne pas y voir un coup monté. Il ne fait plus de doute pour elle que cette histoire a été orchestrée depuis le début par celui qu’elle nomme d’ores et déjà « le cerveau ». Même si Erwann reconnaît qu’Anaïs lui en veut sûrement, il réplique qu’il ne la croie pas assez maline pour organiser elle-même ce coup fourré. Cela dit, à l’heure qu’il est, il n’a pas d’autre suggestion à lui soumettre. Tous les deux se sentent soudainement impuissants à trouver l’identité de la personne venimeuse qui opère d’une main de maître en coulisses. Qui qu’elle soit, elle a fait un parcours sans faute et Erwann redoute d’avoir sous-estimer cette personnalité, probablement plus intelligente, perverse et manipulatrice qu’ils ne s’y attendent.

Gwendoline réfléchit, avant de reprendre son ersatz d’interrogatoire :

— Bon... faisons un tour d’horizon plus large. Solvène, la mère d’Anthony, elle t’en veut aussi, si j’ai bien compris ?

— Elle a seulement une dent contre moi. Je l’ai...

Erwann s’arrête, se demandant s’il est bien nécessaire d’exhumer tous les fantômes de son passé. Lui qui essaie de convaincre Gwendoline de lui faire une totale confiance, avec toutes ces révélations, ne risque-t-il pas de se tirer une balle dans le pied ?

— Je l’ai trompée à l’époque, avec Alice. Erreur de jeunesse, désolé... Elle m’a retrouvé au plumard en train de...

Forniquer ?

Sa compagne lève la main, en rictus au coin des lèvres. De toute évidence, elle n’a pas besoin de mots pour deviner dans quelle position compromettante son homme a été surpris. Elle souhaite à présent s’épargner de nouvelles images qu’elle ne pourra plus chasser de son esprit par la suite. La découverte de la sex tape lui en a suffisamment apporté. Pas besoin que des descriptions supplémentaires au sujet de l’infidélité de celui qu’elle aime viennent encore s’y ajouter. C’est déjà plus qu’il ne lui en faut pour se faire d’horribles films.

Consciencieuse, elle poursuit :

— On ne peut pas l’exclure alors. Elle a quand même un mobile pour te faire tomber. Ne dit-on pas que la vengeance est un plat qui se mange froid ?

Erwann sourit malgré lui.

Dix-huit ans, c’était il y a dix-huit ans !

— Une vengeance glacée, alors, dans son cas.

— Une vengeance est une vengeance. Certains ne vivent que pour ça. Je la mets sur la liste des potentiels suspects. Une femme blessée et humiliée est tout à fait capable de fomenter des représailles salées. Et Loïc ? La dernière fois que je vous ai vus ensemble, on aurait dit qu’il allait t’étriper. Vous vous êtes déjà battus ?

Sous l’œil inquisiteur de sa compagne, Erwann lui raconte qu’ils en sont déjà venus aux mains deux fois, avant d’être rapidement séparés, par Quentin lors de leur première altercation, puis par Richard à la seconde. Gwendoline éclate de rire.

— C’est pas nous qui avons besoin de gardes du corps, mon chéri, c’est toi !

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