C’est avec une boule au ventre, mélange d'appréhension et d'excitation, qu’Alister suivit le cortège sacré. Entouré d’une dizaine des religieux les plus hauts gradés, affublé de leurs traditionnelles toges blanches et munis de longs sceptres en ivoire veinés d’or, il arpenta Rogobard sous les cris et les vivats de la populace.

Après une heure à parader dans les axes principaux de la cité, ils étaient de retour au palais. Cependant, au lieu d’y entrer, ils s’engouffrèrent au sein de l’imposante cathédrale qui la jouxtait. Debout, près du grand autel surmonté d’une immense statue d’Aemia, Lenaciel les attendait.

− Il est maintenant l’heure de procéder à la phase finale de la cérémonie. Saint Ascensionné, agenouillez-vous, je vous prie, face à notre déesse bien-aimée, s’exclama-t-elle.

Alister obtempéra sans discuter. A l’instant où il posa les genoux à terre et joignit ses mains en losange au niveau du cœur, les prêtres embrasèrent d’un seul geste les petites coupoles remplies d'encens qui surmontaient leurs bâtons. Tous se mirent à chanter un cantique aux allants graves et mélancoliques. Après une dizaine de minutes, le rythme s'intensifia et, au milieu des senteurs boisées qu’ils exhalaient, tous se mirent à danser. Lenaciel s’était écarté sur la gauche de l’autel, elle ne prit aucunement part à l’office. Se contentant de rester debout, les mains jointes au niveau de son giron, elle contemplait d’un œil maussade l’effigie d’Aemia.

Immobile, plongé dans le tumulte de ses pensées, Alister crut percevoir un imperceptible cliquetis. La statue s’éleva alors au-dessus du sol, flottant à quelques mètres de l’autel. Les chants et les danses s'arrêtèrent instantanément, un silence sépulcral présidait maintenant la cathédrale. L'ébéniste, bouche bée, observait tour à tour le miracle dont il était témoin et les visages émus des prêtres qui l'entouraient. En lieu et place de l’idole se trouvait une ouverture, malgré l’obscurité sur laquelle elle semblait mener, un escalier en colimaçon se laissait deviner. La voix de la chancelière se mit alors à retentir avec force et détermination.

‪ − Notre déesse, bénit soit son nom, a répondu à nos prières. Saint Ascensionné, relevez-vous, il est maintenant temps de descendre dans les ténèbres afin de mieux vous élever vers la clarté. Car, comme nous l’ont appris les textes sacrés, nul être ne peut espérer vivre dans la lumière sans avoir fait l’expérience de l’obscurité.

Sur ces mots, les prêtres se prosternèrent autour d’Alister. Ce dernier, quelque peu déboussolé, se releva et s'avança vers le grand autel. Dans un murmure fatigué, la chancelière ajouta.

− Allez sans peur ou appréhension, Alister. Adieux, et qu’Aemia vous bénisse.

Elle se passa une mèche de cheveux derrière l'oreille, sembla hésiter, puis dit d'une voix brisée.

− Je suis heureuse d'avoir pû te revoir.

L’humidité de son regard noisette, empli d’une profonde affection, laissait deviner une intense tristesse. Alister était quelque peu décontenancé par les événements et l’attitude de la chancelière mais, le cœur plein d’espoir et d'excitation, il se mit à descendre les escaliers. Avant de disparaître dans l'obscurité, il se retourna et dit.

− Merci pour tout ce que vous avez fait pour moi, Lenaciel. Vous êtes probablement la personne la plus gentille et attentionnée que j’ai eu l’occasion de rencontrer. Je suis également heureux que nos chemins aient pu se croiser. Adieux, et que la grâce d’Aemia à jamais illumine vos pas.

Il avança alors sans se retourner, sans voir les larmes qui coulaient sur les joues rosées de la jeune femme, sans entendre le chuchotement qui le supplier de rester à ses côtés.