Nuit du dimanche 30 juin 2019 au lundi 1 juillet 2019
Allongée sur le ventre, je paresse sur le lit. Mon corps nu frissonne lorsqu’un souffle d’air nocturne le caresse. Il fait chaud, alors que nous ne sommes même pas en plein été. Mon studio va encore se transformer en fournaise invivable. Rien que d’y penser, je me sens découragée d’avance.
Je ferme les yeux. Il serait bon que je tente de dormir un peu sinon demain, je ne serais pas très performante. Après, il faudrait que j’explique à mon cerveau qu’il peut se mettre en veille malgré les trois jours de fortes chaleurs qu’on nous annonce.
Ma tête cherche un coin frais sur l’oreiller. Si j’avais du courage, je me relèverais pour me fatiguer afin de mieux dormir. Seulement, je n’ai qu’une envie, faire la loque sur mon matelas. Ou alors peut-être que je m’endors à moitié. On ne peut pas vraiment le savoir.
La présence d’un corps chaud à mes côtés… Je reste immobile.
Sa main glisse sur ma peau, me faisant frissonner. Il s’appuie un peu plus contre moi. Je sens ses muscles puissants sur mes omoplates. Ses doigts trouvent les miens. L’espace d’un instant, j’ai l’impression qu’il va se blottir contre mon dos.
Il n’en est rien. Sa paume se plaque sur mon poignet et tord mon bras pour le faire reposer sur mes fesses. Le deuxième suit le même chemin. Je tente de me dégager, seulement il est beaucoup plus fort que moi. Ce n’est plus amusant.
Je veux parler ou crier, mais je ne réussis qu’à me retrouver le nez dans l’oreiller. J’ai du mal à respirer. Je me débats, à la recherche d’air. Je ne sais même plus contre quoi je lutte.
Lui me tient fermement, et je sens combien je ne le laisse pas indifférent, alors qu’il se presse contre moi. Est-ce qu’il va… J’ai très peur de la suite. Au prix de multiples efforts, je parviens à redresser la tête. Ma bouche s’ouvre pour aspirer une grande goulée d’air.
Je ne comprends plus rien. Comment en suis-je arrivée là ?
Ses lèvres s’approchent de mon oreille. Je sens son souffle chaud me chatouiller alors qu’il me parle.
– Tu es à moi, Victorine. Je suis venue pour toi.
Cette révélation me fait frissonner. Plus encore quand il mord la peau de mon épaule, y laissant la marque de ses dents. Je mobilise toutes mes forces pour crier. Alors j’hurle encore et encore.
Je sursaute. Mes yeux s’ouvrent alors que je me tais enfin. Mon souffle est saccadé. Mon cœur bat à cent à l’heure. De la sueur dégouline du dessous de mes seins. Ce n’était qu’un cauchemar. Un foutu cauchemar qui m’a retourné la tête.
Je m’assieds sur le lit. Je me sens mal. Pourquoi ai-je donc rêvé d’un truc aussi stupide ? Je sais qu’on ne peut pas contrôler le monde onirique, on est juste obligé de s’en remettre à lui lorsque l’on dort, mais je ne peux m’empêcher de chercher une signification à ce que j’ai vu.
Est-ce que c’est parce que ça ne va pas fort entre Gautier et moi ? C’est peut-être un moyen que trouve mon esprit pour me dire de régler mes problèmes. J’ai l’impression qu’on est plus ensemble puisqu’aucun de nous n’a envie de lâcher l’affaire que par véritable affection.
Je me laisse retomber sur l’oreiller. Il fait trop chaud, c’est sûrement pour ça que je rêve de telles bêtises. La chaleur doit peser sur mon corps, ça m’amène des songes idiots. Après tout, si j’avais rêvé d’une attaque de zombie, je ne me serais pas autant pris la tête.
Ma main saisit mon portable. Il est cinq heures du matin. J’ai encore un peu de temps avant de devoir me lever. Je vais tenter de me rendormir, mais auparavant je vais prendre un verre d’eau frais. Ça ne me fera pas de mal.
Je me dirige vers mon coin cuisine, approximativement à six pas du lit. Rien n’est jamais loin quand on vit dans un si petit espace, pourtant je ne me plains pas. C’est déjà bien d’avoir un chez-soi. J’ai mon travail, mon appartement, et je ne dois rien à personne. C’est l’essentiel pour moi. Cela fait bien longtemps que je n’ai pas vu ma famille. C’est sans doute mieux ainsi.
J’ouvre le frigo qui me lance des vagues fraiches au visage. Je ne peux qu’apprécier. Si je le pouvais, j’y dormirais.
Dans la porte, je remarque une bouteille de thé glacé au citron. Étrangement, j’avais le souvenir d’avoir terminé la dernière, ce matin. Je hausse les épaules, je me suis sûrement trompée. Si ça tombe, je n’ai même pas pensé à regarder dans le rangement pour les bouteilles. Ça ne m’étonnerait même pas.
De toute façon, elle n’est pas venue toute seule jusqu’à chez moi, et comme personne d’autre n’a les clés, cela limite les possibilités. J’en profite pour m’en verser un grand verre. Il faudra que je me relave les dents avant de me coucher, mais ce n’est pas grave. Je me délecte du goût acidulé dans ma bouche.
« Ton préféré » m’avait dit…
Je me fige. Je ne sais même plus qui m’a dit ces mots. Qu’importe… Si j’ai oublié, c’est que cela ne devait pas être pertinent. Le cerveau fait le tri par le vide. Dans mon cas, il efface beaucoup de choses. J’ai une mémoire de poisson rouge.
C’était un vrai calvaire de voir disparaître toutes les informations qui ne m’intéressaient pas, quand j’étais encore à l’école. Je retenais beaucoup mieux les noms de personnage de série télé que les théorèmes de mathématiques.
On fait ce qu’on peut, diraient certaines personnes. Dommage que dans mon cas, je ne puisse pas grand-chose. C’est sûrement la raison pour laquelle je travaille dans une sandwicherie. Mes collègues rêvent de quitter ce boulot peu valorisant. Tiphaine voudrait passer une formation pour devenir infirmière. Elle réunit actuellement l’agent pour se payer son école. Céline, elle, se forme à la comptabilité par correspondance.
Et moi, je suis là, à mettre des légumes et de la viande dans du pain, sans imaginer plus que ça. Je dois être l’extra-terrestre qui se contente de ce qu’elle a. En vérité, je sais que je ne suis pas faite pour les études. En plus, j’aime bien ce que je fais. Tous les jours, je rencontre des gens différents avec lesquels je discute.
Certains reviennent d’ailleurs plus souvent que d’autres. C’est le cas de Gautier par exemple. Il est vendeur dans un magasin d’électroménager de la zone industrielle où se trouve la fraicherie, la boutique de sandwichs où je travaille. Il a commencé à venir manger tous les midis. A force, je connaissais ses goûts et je préparais d’avance son repas.
C’est Tiphaine qui a décidé qu’on était fait l’un pour l’autre. Elle avait décrété qu’une aussi jolie fille que moi ne pouvait pas rester seule. Je ne me suis jamais considérée comme belle, juste dans la norme. Ma collègue a bien pris soin de me râler dessus en me disant que j’avais un corps de mannequin, une peau de pêche et magnifique chevelure blonde.
Elle a appuyé son propos en me révélant que mon client ne faisait que me fixer quand que j’étais derrière le comptoir. Ensuite, elle m’a envoyé prendre ma pause repas près de lui. C’était un mardi, le jour en plus faible affluence sans qu’on sache comment c’est possible. Il n’y avait que nous deux. Alors la discussion a commencé.
À présent…
Je range la bouteille dans le frigo. Au moins, je suis sûre de l’y avoir remise. Sinon, je vais bien l’oublier sur l’évier adjacent. Cela ne sera ni la première fois, ni la dernière.
Un passage dans la salle de bain, pour me brosser les dents et je retourne dans mon lit. Il est encore chaud de la présence de mon corps. Je vais finir par craquer, et acheter un ventilateur. Ma survie en dépend.
Je ferme les yeux. Les souvenirs de mon rêve se rappellent à moi. Je crois ressentir la main qui maintenait mes poignets serrés. Les doigts qui caressaient l’intérieur de mes cuisses pour remonter toujours plus haut. Cela avait un côté… excitant… Et si jamais ils s’étaient enfoncés en moi, est-ce que…
À cette idée mon corps s’embrasse. Mauvaise idée, je meurs déjà de chaud. Ce n’est pas comme ça que je vais réussir à me rendormir.
Je soupire et bascule sur le ventre. Je tente de chasser l’homme de mon rêve, celui qui n’a pas de visage.
Mes pensées vont vers Gautier. Après tout, c’est à lui que je devrais penser normalement.
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