Un petit ami nommé Brieuc
Sa journée de travail terminée, elle ne pensait qu’à une chose : dormir. Pourtant, à sa grande surprise, elle trouva Brieuc qui l’attendait devant son appartement.
— Tu t’es perdu ? ironisa-t-elle en ouvrant sa porte.
— Très drôle. Je m’en veux pour hier. Je viens me faire pardonner, répondit le jeune homme en costume.
— Alors qu’as-tu fait de beau hier soir du coup ? lui demanda-t-elle tout en lui faisant signe de s’assoir.
Le visage de Brieuc s'assombrit et il soupira d’agacement. Maïwenn comprit alors qu'ils allaient se disputer encore une fois.
— Ça y est, j'en étais sûr. Tu n'as mis que deux secondes pour m'interroger comme un criminel ! C'est toujours pareil avec toi. Tu veux un rapport complet, c'est ça ?
— Mais non, je te demandais juste ce que tu as fait, c'est tout, tempéra son amie.
— Ouais, tu n'as pas confiance en fait, tu penses que j'ai fait n'importe quoi, s’énerva le jeune homme avant de voir dans les yeux de Maïwenn qu’elle s’apprêtait à le jeter dehors.
Il changea alors instantanément son comportement et rectifia :
— Excuse-moi, je suis fatigué, le boulot qui me stresse. J'ai un apéro ce soir avec des gens du travail, ça ne finira pas tard. Ce serait cool si on pouvait se voir après. Je te jure, je ne rentre pas tard, on se réveillera ensemble demain matin, suggéra-t-il d’un ton mielleux.
Au fond, elle savait que la meilleure décision était de dire non, mais elle n’avait pas envie de se retrouver seule après ce qui lui était arrivé la nuit précédente. Alors, il aurait droit à son énième dernière chance, mais à peine avait-elle acquiescé, qu'il quittait l'appartement, la laissant face à sa télévision. En attendant son retour, elle décida de se faire un plateau repas devant une série policière, mais des flashs de son rêve lui revenaient régulièrement en mémoire, accompagnés des sensations d'angoisse qu'elle avait ressenties.
Mais où est-ce que je vais chercher des histoires pareilles. Reprends-toi !
Soudain son portable vibra.
— Oui, c'est moi, Brieuc, put-elle entendre, je t'appelle parce que j'ai trop bu pour prendre la voiture, je vais rester dormir ici, c'est plus prudent.
— Je t'ai attendu toute la soirée. Tu savais que tu devais prendre la voiture et tu as bu ? Tu te fous vraiment de ma gueule là !
— Oui ben, je me suis pris dans l'ambiance voilà. Tu veux que je vienne, ok j'arrive, mais si j'ai un accident ou si je suis arrêté par les flics tant pis pour moi. C'est ça que tu veux ? rétorqua le jeune homme avec agressivité.
Brieuc avait un don inouï pour retourner les situations à son avantage et manipuler les mots pour la culpabiliser dès que cela servait ses intérêts. Bien sûr que non, elle ne voulait pas qu'il ait un accident surtout qu’en y réfléchissant à deux fois, elle n'avait pas envie de le voir, alors elle lui raccrocha au nez. D'un naturel indépendant, elle n'arrivait pas à expliquer cette crainte de l'isolement qu'elle ressentait depuis qu'elle l'avait rencontré. Parfois, elle pensait que personne d'autre que lui ne s'intéresserait à elle, comme il le lui avait déjà fait remarquer d'ailleurs. Se sentant encore une fois pitoyable, elle s'assoupit devant la télévision.
Son premier réflexe au réveil fut d'attraper son portable pour vérifier l'heure, trois heures trente du matin.
Soudain, une vague de froid lui traversa le corps et la glaça tout entière. Quelque chose avait changé. Encore un peu endormie, elle s'assit en tailleur sur son canapé et regarda autour d'elle : tout avait gelé dans son appartement, de sa télévision à sa table basse, de la glace partout. Des cristaux s'étaient formés et avaient même cassé la porte de son réfrigérateur pour continuer leur progression sur les murs. Terrifiée, elle tenta de se lever, mais le froid du sol lui brûla les pieds et la contraint de rester à sa place. C'est alors qu'elle remarqua que la porte de la salle de bains était ouverte et qu'une épaisse paroi de glace s'y était formée. Derrière ce mur de givre, se trouvait l'homme de son précédent rêve qui cognait du poing pour attirer son attention et esquissait un rictus satisfait en la voyant effrayée. Il remuait les lèvres, mais aucun son ne parvenait jusqu’à Maïwenn. Elle put tout de même deviner qu’il lui disait « tu es folle » tout en tapotant son index sur sa tempe comme le ferait un enfant pour mimer la folie. Ils se regardèrent ainsi pendant plusieurs minutes avant qu'on ne frappe à la porte d'entrée. Elle tourna la tête vers celle-ci et se réveilla encore une fois en sursaut : le coup venait en réalité de la série policière à la télévision.
Tout était redevenu normal, plus une trace de glace. Le cœur battant à cent à l’heure, elle n’était pas prête à retrouver le sommeil.
Les quelques heures durant lesquelles elle avait pu dormir n’avaient pas suffi et le matin suivant, le poids des derniers évènements lui pesait davantage que les autres jours. Elle avait l’impression d’avoir un nuage noir au-dessus de la tête que chaque personne qu’elle croisait pouvait voir. Pourquoi me regarde-t-elle ainsi, ragea Maïwenn intérieurement lorsque Brigitte, l’agent d’accueil de l’entreprise, la salua.
— Oh my god ! C’est de pire en pire, tu as vu ta tête ? plaisanta Ludo à son entrée dans leur bureau. — Et toi, tu as vu la tienne, rétorqua sa collègue, piquée au vif.
— Calme toi, c’était de l’humour, se justifia-t-il.
— L’humour, c’est censé être drôle, non ? continua-t-elle.
— Ok, j’ai compris, fais-moi signe quand tu seras de meilleure humeur, finit Ludo, vexé par sa réaction.
Mais Maïwenn n’était pas près d’aller mieux. Une rage l’envahissait, un peu comme si le monde entier lui en voulait. En fin d’après-midi, juste avant de rentrer chez elle, elle reçut un appel de Brieuc auquel elle ne répondit pas. Elle le savait maintenant, leur histoire était finie, mais elle tenait à le lui signifier de manière officielle. Maigre consolation pour la façon dont il l’avait traitée. Dans le message que son futur ex lui avait laissé, il l’invitait à dîner le soir même pour se faire pardonner. Ce serait le moment idéal pour clore le chapitre, s’était-elle dit en acceptant l’invitation.
À l’heure convenue, son téléphone sonna :
— C'est moi, je suis en bas, je t'attends, lança Brieuc à l’autre bout du fil.
— Ah d'accord, tu ne veux pas monter ?
— Je n'ai pas trouvé de place pour me garer. Dépêche, vociféra-t-il.
— J'arrive. La rupture va être beaucoup plus facile que prévu, pensa-t-elle en raccrochant.
Brieuc ne lui avait pas dit à quel endroit il avait réservé, aussi Maïwenn fut très surprise lorsque son futur ex gara sa voiture sur le parking de la cafétéria d'une grande surface, vantant la simplicité et la convivialité des lieux. Une fois installés à leur table, la conversation avait du mal à démarrer. La jeune femme ne savait pas comment aborder le sujet de la rupture et Brieuc, qui souffrait d'une allergie très virulente à l'arachide, était souvent peu loquace lors du choix de ses plats.
— Tu n’as pas eu le temps de réserver un resto en fait, c'est pour cela qu'on est ici ? demanda Maïwenn sur le ton de la plaisanterie.
— Oui bon, c'est vrai… J'avais la tête ailleurs, dit-il dans un rire nerveux.
— Moi non plus ça n'a pas été de tout repos ces derniers temps. J’ai fait des cauchemars avec un homme qui vient me dire que je suis folle.
— Tu devrais l’écouter, lança Brieuc à voix basse sans quitter des yeux son menu.
— Comment ? bondit Maïwenn. Il souffla en posant sèchement le livret sur son assiette.
— Ce qui t’arrive, c'est simple : tu es stressée, préoccupée et puis c'est tout, rien de surnaturel là-dedans. J'ai quand même des soucis plus importants, tu m'excuseras, affirme-t-il d'un air dédaigneux.
— Oh vraiment ? Comme quoi par exemple ? l’interrogea-t-elle.
— Hier soir, je me suis mis minable si tu savais !
Minable, marrant, c'est exactement ce que j'étais en train de me dire, remarqua la jeune femme intérieurement.
— J'ai remonté le moral d’une collègue qui venait de se faire plaquer, précisa-t-il ensuite. On a beaucoup bu, ça l'a aidée à lui faire oublier son chagrin. En plus, je ne vois pas ce qu'elle lui trouve. Vous les filles, vous avez le don pour rester avec des connards.
Je ne te le fais pas dire… Il lit dans mes pensées ou quoi ? s’interpela Maïwenn.
— Et ensuite nous sommes allés chez elle et nous nous sommes endormis dans les bras l'un de l'autre, complètement bourrés ! Quelle soirée !
Maïwenn eut le souffle coupé quelques secondes, se demandant si elle avait bien entendu.
— Tu as fait quoi ? C’est pour ça que tu n’as pas pu venir hier ? demanda-t-elle.
Brieuc lui avait tellement répété qu’elle l’étouffait, qu’à la longue, elle en venait à se dire qu’il avait raison. Ce dernier, comprenant que Maïwenn n’allait pas en rester là, s'emporta et tapa du poing sur la table, attirant ainsi l'attention des autres clients.
— Ah ça y est, j'en étais sûr. Tu vas me piquer une crise, c'est ça ? Parce que j'ai remonté le moral d'une collègue ? Mais comme je le lui ai dit, elle est tellement belle et drôle que n'importe qui voudrait être avec elle, elle sera vite recasée ne t'inquiètes pas sale jalouse !
— M'inquiéter ? Mais pourquoi ? Après tout mon copain s'est juste bourré la gueule avec une jeune fille éplorée pour ensuite s'endormir dans ses bras. Sans que rien ne se passe bien sûr... Tu me prends vraiment pour une conne. Ramène-moi tout de suite.
— Avec plaisir, tout le monde nous regarde maintenant à cause de ton comportement de toute façon. Contente de toi ?
Maïwenn lui aurait arraché les yeux si elle avait pu. Beaucoup de questions tournaient dans sa tête, avait-elle vraiment été excessive ? En six mois, cet homme avait réussi à la faire douter de tout et surtout d'elle-même.
Après plusieurs minutes, qui lui parurent des heures, elle vit enfin le coin de sa rue. La superbe voiture de Brieuc s'arrêta au pied de son immeuble et en ouvrant la portière pour en descendre, Maïwenn lâcha la phrase qu'elle venait de se répéter plusieurs fois pour se donner du courage :
— Je crois que là, nous nous sommes tout dit.
— Quoi ? Putain, pendant tout ce temps tu cherchais un moyen de me larguer en fait, c’est pour ça ta crise.
— Non. Ma crise, comme tu dis, c’est parce que tu n'as aucun respect pour moi.
— Combien de fois va-t-il falloir que je m'excuse pour le lapin ? T'es lourde là !
— Je suis lourde ? Tu me laisses en plan pour te bourrer la gueule avec une collègue et c'est moi la lourde ?
Maïwenn allait sortir de la voiture lorsque Brieuc la saisit par le bras pour la retenir.
— Attends, attends. Je m'exprime mal, c'est pour ça... Je suis désolé. Es-tu prête à ne plus jamais me revoir ? Parce que c'est ce qu'il se passera. Si tu me quittes, je ne voudrai plus jamais te voir. On peut juste faire une pause pour voir. Qu'en penses-tu ? Réfléchis à ça... Je... Je ne veux pas te perdre bordel !
— Non, c'est fini, n'insiste pas. Tu me prends pour une abrutie depuis trop longtemps, ça suffit.
Mais alors qu'elle se dégageait de l’étreinte du jeune homme, le visage de ce dernier se durcit.
— Tu penses pouvoir me laisser comme ça ? Seulement quand je l'aurai décidé, tu m'entends. Je n'en ai pas fini avec toi, je ne vais pas te lâcher.
— Mais qu'est-ce qui te prends ? Tu es malade ou quoi ?
— C'est ça oui. Allez dégage de ma bagnole, tu auras assez tôt de mes nouvelles, finit-il par lui dire.
Elle s'exécuta, abasourdie, et s'enferma à double tour dans son appartement avant d'aller vérifier à la fenêtre qu'il était bien parti. La réaction qu'il venait d'avoir l'avait choquée, elle n'avait vraiment pas besoin d'un harceleur dans sa vie réelle, elle en avait déjà un dans ses rêves.
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