Les loups, le renard et la brebis
Un troupeau de moutons, par un terrible hiver,
était souffre-douleur d’une bande de loups.
Le bélier, excédé par des mois de calvaire,
près de maître Renard, osa un rendez-vous.
Celui-ci, aussitôt, huma la bonne affaire.
Lui-même était maigri et ses huit renardeaux
chouinaient à fendre cœur dans sa froide tanière.
— Je consens, leur dit-il, à traiter ce fardeau,
mais je me sens bien seul, avec ces loups en face.
Afin de me prêter le courage et l’audace,
je veux à mon côté le plus fort d’entre vous.
À ces mots le troupeau se mit au garde-à-vous.
Les plus gros des béliers offrirent leur service.
Le renard les chassa, les trouvant décatis.
Le rusé en effet n’était pas un novice,
il était dans ses plans de nourrir ses petits.
Il aperçut alors une grasse brebis
qui avait conservé, en ces temps de disette,
un corps appétissant sous ses pauvres habits.
— Voilà, s’exclama-t-il, une adjointe parfaite.
À nous deux, c’est certain, nous vaincrons les méchants.
La belle fut séduite, et nullement inquiète :
ils partirent joyeux à travers bois et champs,
puis, des loups intrigués, on vit enfin les têtes.
Des gueules affamées les cernèrent bientôt.
— Maîtres Loups, mes amis, déclara le renard,
votre garde-manger a fui incognito.
Il ne reste pour vous, que ce mouton traînard,
trop gras et trop dodu pour pouvoir détaler.
Aussitôt un grand feu brûla sous le chaudron.
L’infortunée brebis, habilement salée,
mijota dans son jus, touillée par le patron.
Un vieux loup s’approcha pour humer la marmite.
— Allez-vous empâter ce vieillard parasite,
qui vient pour vous ôter le mouton de la gueule ?
Cet hiver est trop long pour nourrir les aïeuls.
J’offre à la compagnie un repas délicieux,
mais bien trop d’estomacs sont autour de la table,
qu’on ne pourra combler d’un déjeuner copieux.
Ayant ainsi parlé d’une voix raisonnable,
le renard s’installa pour contempler la suite.
Car si l’on ne peut pas agrandir la marmite,
il reste à raccourcir la liste d’invités.
Le vieux loup fut occis avec célérité.
Sans mentir, nous sommes, à chaque coin de vie,
le vieux de quelqu’un d’autre ou bien son benjamin.
Il n’en fallut pas plus pour que, sans préavis,
les jeunes crocs tranchants affrontent les anciens.
Coups de dents, meurtrissure, entailles et balafres,
déchirures et plaies : le repas fut piquant.
Il n’y eut bientôt plus, quand cessèrent ces affres,
qu’un dernier rescapé, un mâle suffoquant,
que Renard sans vergogne expulsa promptement.
Puis, vers sa maisonnée, il hala le chaudron ;
On trouva le mouton d’un fumet excellent.
Je veux m’inscrire en faux. On dit dans mon village,
qu’entre messieurs les loups, il n’est point de carnage.
Mais quand la faim est là, et en toute saison,
les jours de pénurie, les loups entre eux se mangent.
Je voudrais ajouter, pour finir cet échange :
qu’importe à la brebis le nombre de convives
quand elle a mijoté sur des flammes bien vives.
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