Chapitre XX

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Enroulée dans son plaid au fond du canapé, un paquet de chips à la main, Françoise remplissait une grille de mots fléchés en suivant d'un œil distrait la soirée électorale. L'abstention atteignait des taux records. Contrairement au premier tour, Françoise ne ressentait aucune appréhension. Les deux candidats l'écœuraient et elle ne croyait pas plus en l'un qu'en l'autre. Quel que soit le résultat de ce deuxième scrutin, elle serait déçue. Soudain, obéissant à ce que lui dictait la voix dans l'oreillette, le présentateur vedette interrompit la journaliste qui avait la parole.

« Je vous prie de m'excuser, Karine mais c'est l'heure... Mesdames, messieurs, il est vingt heures. Dans quelques instants, nous découvrirons qui de Cédric Kléber ou Francis Fion remporte cette élection présidentielle... »

Françoise leva les yeux de son magazine. Un drapeau tricolore flottait en surbrillance sur le palais de l’Elysée avec la Marseillaise en fond sonore pendant que se dessinaient les traits d'un visage à l'écran. Bientôt, elle reconnut le portrait de Francis Fion. À peine surprise, elle accueillit la nouvelle d'un rictus narquois. La voix du présentateur reprit :

« Et c'est Francis Fion qui l'emporte avec cinquante-huit virgule quatre pour cent des voix ! Chers téléspectateurs, nous rejoignons tout de suite notre envoyé spécial Olivier Gramont à Neuilly-sur-Seine, au QG de campagne du nouveau chef d'état pour son discours... »

« Françaises, Français... Mes chers compatriotes, je tiens ce soir à vous remercier car c'est la victoire de la vérit........ »

Excédée, Françoise empoigna la télécommande pour couper le sifflet du politicien véreux. Féministe dans l'âme, elle trouvait l'abstention ingrate et injurieuse envers les suffragettes, ces héroïnes qui avaient lutté pour le droit de vote des femmes, certaines au péril de leur vie ; elle s'était donc contentée de voter blanc. Désenchantée, Françoise aurait presque trouvé plus de légitimité au candidat nationaliste mais chassa immédiatement cette pensée malsaine de son esprit. À bien y réfléchir, depuis la nuit des temps et aux yeux du monde entier, le Français moyen représentait l'image même du contestataire, du gréviste, du révolutionnaire, de l'insoumis… Les sans-culotte en 1789, Gavroche et les communards en 1870, Zola dans J'Accuse, les résistants pendant la seconde guerre mondiale, les maquisards, les soixante-huitards, les martyrs de Charlie Hebdo, le village d’Astérix... Et voilà que le peuple français tombait dans la résignation. Comment avait-on pu en arriver là ? À quel moment ça avait merdé ? Sentant le spleen l'envahir, Françoise lança un album de Janis Joplin et s'installa devant sa machine à coudre, une activité exigeant toute son attention, tout à fait appropriée pour éviter de broyer du noir.

Plus tard dans la soirée, la viticultrice s’enquit tout de même d’un dernier point sur l’info avant de se coucher. Écouter le résumé du discours et les promesses que Fion ne tiendrait pas. En allumant le poste de télévision, elle fut surprise de constater que des émeutes éclataient un peu partout. La capitale était à feu et à sang ; la place de la République, un champ de bataille... Un peu partout dans les grandes villes, des mutins affrontaient les forces de l'ordre. Perplexe, Françoise monta dans sa chambre. Elle chercha longtemps le sommeil, ne sachant trop que penser de ces affrontements. Sans doute une pseudo-révolte de plus qui échouerait sans tarder face à une mobilisation de forces policières à grande échelle. Néanmoins, ce soulèvement du peuple venait réfuter ses idées noires du début de soirée. Bercée par cette pensée, elle finit par s'endormir.

Comme tous les matins, Françoise dégustait son petit déjeuner en écoutant la matinale de France-Inter avant de s'en aller travailler. Pas d'avortement dans l'œuf à déplorer pour la révolte post-électorale de la veille. Les émeutes avaient fait rage toute la nuit et gagnaient en intensité. Partout, au fil des heures, de nouvelles vagues de manifestants rejoignaient les barricades tandis que pour faire face, les autorités mobilisaient tous les renforts disponibles.

— Merci Dominique. Chers auditeurs, il est sept heures cinquante-cinq et avant notre point sur l'info de huit heures, nous retrouvons Charline pour sa chronique. Charline, c'est à vous.

— Alors je ne sais pas vous, Nicolas mais moi j'ai cherché toute la nuit l'étincelle qui avait pu mettre le feu aux poudres comme ça. Bon ok, Francis Fion est loin d'être blanc comme neige mais nous sommes en démocratie tout de même et il a remporté l'élection présidentielle, non ? On vit quand-même une drôle d'époque dans un drôle de pays, vous ne trouvez pas ? On propulse la pire des crapules à l’Elysée plutôt que de l'envoyer pourrir au cachot et l'heure d'après, on s'insurge... C'est très Français, ça ! Cela dit, vous savez comme moi que pour soulever un troupeau de moutons, il faut un berger, épaulé en général d'un ou deux border-collets... Eh bien figurez-vous que ce berger, je l'ai trouvé ! Il s'agit d'un certain Jacky Pavé qui a posté non pas une étincelle mais un pamphlet incendiaire, que dis-je... une bombe atomique qui fait le buzz sur les réseaux sociaux !

En entendant cela, Françoise faillit s'étouffer avec sa tartine. Abasourdie, elle avala un grand verre d'eau pour apaiser sa quinte de toux et se connecta immédiatement à son compte Facebook. Incroyable ! Plus de huit-cent-cinquante mille mentions "J'aime", soixante-dix mille partages, et ça continuait de grimper. Surexcitée, sa première idée fut de partager cela avec Jacky mais l'instant d'après, la réalité lui rappela que c'était impossible. Comme lors de son escapade en forêt de Mailly la semaine précédente, il était injoignable et cette fois, c'était définitif. Aussitôt, l'excitation céda la place à la mélancolie. Rabattant l'écran sur le clavier de son ordinateur portable, Françoise ne put retenir une larme. Puis, les lèvres tremblantes, elle se figea quelques instants avant de fondre en sanglots.

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