Suer sang et eau

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Le soleil brûlait mon corps d’une manière nouvelle. Ma peau blanche attirait les regards, dans une région où la majorité des habitants avaient déjà goûté aux affres des rayons qui galvanisaient, quoique parfois dangereusement. Je m’autorisais une pause bienvenue, confortablement allongée dans la terre, à peine protégée par les ombres timides des petites pousses de vigne qui couraient dans mon dos. La Provence m’avait ouvert ses bras. Je ne regrettais pas le moins du monde d’avoir choisi ce travail pour emplir mes journées d’été si fades.

Je n’avais jamais aimé les vacances, je ne supportais pas d’attendre que deux longs mois s’écoulent pour m’animer de nouveau sur les bancs de mon lycée. J’adorais apprendre et découvrir. Je devenais exploratrice ou archéologue quand je voyageais, et historienne, romancière ou journaliste quand je prenais des notes sur tout ce que la nature me donnait à contempler. La poésie des reliefs et leur langage mystique assaillaient mon âme d’images merveilleuses et de mots lumineux. Je me sentais à ma place dans cette vallée, à profiter du soleil matinal et des douces odeurs de vin qui englobaient le domaine.

Mes cheveux dorés tombaient agréablement sur mes épaules, parfois tourmentés par de légères brises. Ma tenue vaporeuse, déjà salie par les activités de vendange, me protégeait les jambes et les bras, de telle sorte que l’on m’avait surnommée « la vampire ». Je préférais m’imaginer en geisha, femme somptueuse et raffinée, désireuse de maintenir une peau blanche, signe distinctif de luxe et de qualité. Je tenais à mon teint pâle.

— On se remet au travail !

Pierre, mon patron, venait de décréter la fin de la pause. Je me relevai avec hâte pour courir jusqu’à mon seau où de belles billes brunes attendaient patiemment mon retour. Mon enthousiasme plaisait à cet homme quelque peu bourru, mais fort sympathique. Je distinguai un fin sourire quand je passai devant lui. Mes autres collègues se remirent également à la tâche en continuant les conversations qu’ils avaient débutées plus tôt. Des jeunes de mon âge côtoyaient des adultes passionnés, nous nous entendions tous à merveille.

Solitaire, je ne m’associais à aucune de leurs plaisanteries ni à aucune de leurs soirées arrosées. Je préférais rester en forme pour profiter des nuits plus fraîches et me balader dans les vignes, sous un ciel rempli d’étoiles. L’absence de nuages et de pollution m’offrait des spectacles magiques que je ne pouvais louper. Ces équipées nocturnes détendaient mes muscles endoloris par les efforts et relâchaient mon corps meurtri par les positions contraignantes que demandaient les vendanges.

Quand je ne marchais pas, je lisais, allongée dans mon lit ou installée dans l’un des fauteuils de la salle commune. Les histoires fantastiques se déroulant dans des univers imaginaires comblaient la plupart de mes maux provoqués par l’éloignement de ma famille. Mes récits préférés demeuraient ceux sur les vampires, pour lesquels je ressentais un attachement tout particulier. Je comprenais leurs angoisses concernant le soleil ou leur envie d’enfermement. Je ne leur jalousais pas leur immortalité qui devait leur enlever tout désir de dépassement ou d’actes courageux, bien qu’elle pût leur laisser le temps de se trouver et de parcourir le monde.

L’après-midi passa rapidement, je ressentis de fortes douleurs dans le dos quand de grandes ombres s’étendirent sur les vignes. Mes pieds me lançaient, je fus soulagée de retrouver Pierre en cuisine. Je m’assis sur un tabouret et tendis l’oreille pour l’écouter chantonner. Les effluves de ses plats envahirent mes narines. Je me laissai bercer par le fracas des casseroles et les ruissellements de l’eau dans les étages, commandés par certains de mes collègues qui prenaient leur douche.

— J’ai sans cesse l’impression d’avoir du sang sur les mains, dis-je tout en fixant mes doigts que je n’avais pas encore lavés.

Pierre versa l’une de ses cuillères en bois dans un mélange savoureux, certainement la sauce d’un plat exquis, puis la porta à ses lèvres. Après des frémissements désapprobateurs, il piocha dans sa réserve de thym et en saupoudra le liquide avec générosité. Ses mains calleuses, fruits d’un dur labeur, m’impressionnaient par leur taille. Elles bénéficiaient, à ma grande surprise, d’une souplesse surprenante et se mouvaient par gestes délicats. Pierre constituait une véritable énigme, je ne savais que penser de lui. À la fois calme en cuisine et fougueux sur le terrain, il savait également se montrer autoritaire quand des jeunes se battaient dans leurs chambres, ou affectueux pour soulager les blessures et douleurs de la journée.

— Ce faux sang… est-ce si désagréable ? me demanda-t-il d’une voix posée, après avoir ajouté un peu de basilic et en continuant de mélanger sa tambouille.

À suivre...

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