Engourdie, Samra reprenait connaissance. Elle se réveillait d'un sommeil plusieurs fois centenaires, voyage plus long que jamais, employée pour une exploration standard, bien qu’aux confins de la Voie lactée. Ses cheveux bruns collaient sur son visage fin, poisseux d'une stase en chambre biologique. Son corps revenait à la vie, battement après battement, lentement, respirant péniblement mais sans douleur, jusqu’à comprendre que ce n’était plus un songe. Elle fût la première à être capable d’aller se nettoyer. Elle passa tout près des caissons d’hibernation où émergeaient les autres. Vivement qu’on sorte de cette mélasse, que l’on puisse discuter. Ses pieds nus sur ce sol gelé fît disparaître son souhait, ce blanc immaculé, l’éclatante lumière artificielle…tout ça lui rappelait chaque fois les laboratoires dans lesquels elle avait grandi. On lui avait enseigné tôt l’origine de son existence, génétiquement adaptée, pour un rôle précis, sans parents. C'est bien plus simple ainsi, admettait-elle. Pour autant, elle n’était pas un robot vivant dénué de sens critique, d’émotions ni de questionnements existentiels. C’est simplement qu’elle savait mieux gérer ces facettes psychologiques.

Samra était spécialiste des portails spatiaux, scientifique et ingénieure. Trois pelotons de cinquante Auxiliaires de Paix encadraient cette mission. Des personnes modifiées elles-aussi, formées et biologiquement enthousiastes à exprimer leur nature. La première escouade fut rapidement prête à débarquer. L’administratrice Donchadn menait l'équipe de sécurisation au point étudié par l’IA la veille, lors de la planification automatisée de l'opération. L'endroit apparaissait dégagé et sans relief, proche d’une mer d'eau douce. Le faible taux de dioxyde de carbone de l'air ne permettait pas à la flore de dépasser le mètre de hauteur. Les autres éléments gazeux étaient convenables pour la respiration humaine. Une gravité légèrement moins forte que g n’était pas une contrainte, bien au contraire. D'après les drones éclaireurs, les seuls êtres vivants sur la terre ferme sont une espèce d’herbe aux reflets bleus, quelques arbustes garnis de feuilles épineuses et l'équivalent d'insectes primaterriens. Les journées comptaient 20 heures environ et paraissaient enveloppées d’une clarté crépusculaire. Le voyage standard depuis l'orbite se faisait en capsule larguée : la réintégration au vaisseau n’apparaissait pas dans le protocole puisqu'ils étaient ici pour construire une porte interplanétaire, ajouter ce monde au monde connu. On avait fait naître Samra dans ce but et cela la contentait sans réserve. Ma onzième construction, se répétait-elle. Comme une raison de vivre, une fierté, un rituel portebonheur. Tout se passa comme d'habitude, la zone fût sécurisée sans encombre, le camp installé selon la procédure : tentes relativement confortables plantées, conteneurs de machines et d’ustensiles en tout genre, simples feux. Cela lui apportait une immense satisfaction de recommencer par le feu, comme une renaissance de la civilisation à chaque colonisation. Le feu qui cuisait la nourriture, qui forgeait des outils, et qui encore aujourd’hui réchauffe, rapproche les gens, encourage le récit d’histoires… Cette simple combustion représentait la première brique d’une société et d’une science qui permet les voyages interplanétaires et Samra gardait cette idée en tête, toujours. L'humidité de l’air et le sol spongieux lui rappelait le troisième astre qu'elle avait ouvert, à quelques années seulement de la Primaterre, qui sert aujourd’hui de champs planétaire nourrissant des centaines de milliards de personnes. La construction devait débuter à l'aube du deuxième jour. L'ingénieure, entourée d'une dizaine de façonniers, vérifiaient les barges contenants les matériaux. Tout semblait complet. L'édification de la structure demanderait une centaine d'heures.