/4/ La petite maison au bord de la forêt
Je sors du bâtiment et ferme l’énorme porte. Il me faut quelques secondes pour trouver la bonne clé sur le trousseau. Je remarque également qu’un petit morceau de bois est attaché avec gravé dessus « Ally ». Peut-être un oubli de Grand Ours ?
J’entends l’énorme verrou qui se tourne en même temps que la clé, scellant l’entrée de la bibliothèque. Ou devrais-je dire ma bibliothèque. Ça sonne faux… Moi, avoir ma propre bibliothèque ? Bon techniquement c’est celle de la ville, mais j’en suis la chef… C’est invraisemblable. Il y a encore quelques heures, je rentrais dans cette ville pour la première fois et me voilà maintenant responsable de la bibliothèque municipale. Rien de tout cela n’a de sens.
D’ailleurs, ai-je vraiment le droit de la fermer ? Je veux dire, c’est encore pendant l’heure d’ouverture. Quoi que, on est déjà en fin d’après-midi… Oh et puis tant pis, après tout il avait qu’à me donner plus d’indications ! Et en plus il a bien précisé que je peux choisir les horaires que je veux. Il me laisse beaucoup de libertés, pour quelqu’un qu’il ne connait même pas…
Je rejette un coup d’œil au panneau "Bibliothèque d’Oddly Bay". Pourquoi avoir nommé cette ville ainsi ? Je veux dire, Odd Bay serait grammaticalement plus correct. Peut-être était-ce juste pour rendre le nom plus joli à l’oreille ? En tout cas elle porte bien son nom, car pour le moment, tout est vraiment étrange ici.
Après être grimpée dans ma voiture, je réalise que je n’ai même pas l’adresse de mon logement. Il m’a dit d’aller en direction de l’est et que je ne pourrai pas me tromper, que la maison était en bordure de la ville. Je sais que la mer est à l’ouest, alors trouver l’est n’est pas bien compliqué. Je démarre ma voiture et commence à rouler parallèlement à la grande étendue bleue, passant à côté des pontons et des bateaux de pêcheurs pour atteindre le bord de ma nouvelle ville d’accueil.
Je remarque assez rapidement un détail qui m’est passé sous le nez en arrivant. Énormément de maisons ont leurs volets fermés. Peut-être est-ce vraiment une ville fantôme après tout ? Personne dans les rues, ni même de voitures qui roulent, et des habitations aux volets fermés. Non c’est impossible… Elles sont toutes trop propres pour être abandonnées. Enfin peu importe, je dois sûrement me prendre la tête pour rien, peut-être est-ce juste une habitude par ici, pour éviter de se faire cambrioler ou pour garder la maison au frais pendant l’été. Mais bon, ce dernier vient juste de commencer et on est loin de la canicule…
Je réfléchis trop.
Je commence à voir les grands arbres de la forêt. Je comprends alors que je vais bientôt quitter la ville. Le vieil homme a dit que mon logement était collé à la forêt, je ne dois plus être très loin ! Je tourne alors et m’enfonce entre les pavillons dans ce coin plus résidentiel. Ici, pas de petites maisons à étage comme dans le centre-ville. Ce sont des baraques de plain-pied probablement plus récentes. Chacune a un porche devant ainsi qu’un petit jardin, comme dans les banlieues des grandes villes. Enfin un paysage qui m’est familier ! Même si les énormes arbres justes derrières rendent le tout assez inédit.
Des épicéas de Sitka… Non, je n’ai pas une incroyable culture générale, je me suis juste un petit peu renseignée sur ma nouvelle demeure avant d’emménager. J’ai pas envie d’habiter dans une zone à risque quand même, genre pas dans une ville où passent 3 typhons par ans, c’est normal.
Ces épicéas, ce sont des arbres à épines qui font généralement cent-cinquante pieds et peuvent atteindre le double. Avoir une maison à côté de la forêt avec ce genre de mastodontes tout autour, ça ne me rassure pas vraiment… J’espère qu’ils sauront rester forts contre vents et marées. Bon, marées, ça ne devrait pas vu que je ne suis pas en zone inondable… Mais je commence à comprendre que tout peut arriver ici.
« Vous ne pouvez pas vous tromper. » C’est ce qu’il avait dit avant de partir. Pourtant toutes les maisons se ressemblent à quelques détails près. Je suis censée chercher quoi, un jardin avec "BIENVENUE À LA NOUVELLE BIBLIOTHÉCAIRE" écrit en gros dessus ? J’exagère bien évidemment, les habitations ne sont pas parfaitement identiques. Certaines ont des belles allées de gravier blanc, d’autres ont des drapeaux qui volent, quelques-unes ont des voitures devant la porte de leurs garages… Mais rien qui me ferait dire « Oh, c’est ma maison ça. »
Jusqu’à ce que j’arrive à une en particulier. Quelque chose agrippe mon attention avec celle-là, pourtant complètement similaire aux autres. Je lâche l’accélérateur pour prendre le temps de comprendre ce que celle-ci a de particulier. Je balade mon regard, observant les autres. Mais bien sûr ! Elle a les volets ouverts !
Oui, alors c’est maigre comme preuve pour affirmer que c’est ma maison, mais il avait qu’à mieux m’indiquer hein ! Je décide de me garer sur le trottoir en mettant les warnings. Après tout, je ne suis même pas sûre que ce soit mon logement, donc je ne vais pas me mettre dans l’allée. Manquerait plus que le propriétaire sorte avec un fusil pour me dire de dégager tiens !
Je coupe le contact et prends le trousseau de clés, produisant un petit cliquetis quand je le mets dans ma poche. Ce logement ressemble à toutes les autres, le cliché américain à son paroxysme. Le même type de maison que dans Les Simpsons ou American Dad, les dessins animés de mon enfance -que je prends toujours un malin plaisir à regarder !-. Une allée de béton mène directement au garage tandis qu’une autre plus petite et recouverte de gravier dirige vers la porte. Elle se trouve sous un long porche qui recouvre toute la façade avant du bâtiment ainsi que deux fenêtres.
Je me dirige vers l’entrée, tout en regardant autour de moi. J’ai vraiment l’impression de faire quelque chose d’illégal ! De toute manière, il n’y a pas âme qui vive dans le coin. Ma main se lève et toque à la vieille porte en bois sombre. Dedans est incrustée une fenêtre à verre structurée, me permettant à peine de discerner l’intérieur. Je tends l’oreille, n’entends aucun son, puis recommence une seconde fois. Toujours rien.
Après avoir essayé toutes les clés, je finis par trouver la bonne ! Alléluia, c’est chez moi ! La porte s’ouvre sans difficulté -elle semble même légère, surtout en comparaison de celles de la bibliothèque-.
« Il y a quelqu’un ? »
Réflexe stupide. Mais mieux vaut ça que de tomber sur quelqu’un. Je rentre à l’intérieur et réalise que c’est un couloir. Mes pieds avancent l’un devant l’autre, doucement, essayant de faire le moins de bruit que possible. Même un cambrioleur ne prendrait pas autant de précautions que ça, alors que je suis chez moi ! J’ai encore du mal à y croire.
À gauche se situe le salon. Une vieille télé cathodique trône contre le mur devant une fenêtre. En face se trouve un grand canapé, assez ancien, mais à l’air très confortable- ainsi qu’un fauteuil. Au milieu de la pièce, incrustée dans le mur, se trouve une belle cheminée en bois massif et graver. À côté de celle-ci sont positionnées de nombreuses étagères vides. Quant au mur, il a des traces rectangulaires, comme si quelqu’un avait enlevé un tableau après des années. Sûrement est-ce le cas.
C’est assez vide, mais c’est logique quelque part. Si Grand Ours vivait ici, je présume qu’il a dû récupérer ses affaires pour aller je-ne-sais-où. Pourtant, tout est propre. Je ne vois pas un poil de poussière et le parquet est en parfait état -bien qu’assez âgé lui aussi-. Tout semble dater d’un autre siècle, probablement que peu de choses ont été rénovées ou modifiées depuis sa construction. Heureusement les papiers peints sont neutres. Je n’ai aucune envie de me retrouver avec des motifs dégeuelasses et multicolores des années 60, beurk ! Un manque de goût horrible qui a dû provoquer un grand nombre de crises d’épilepsie.
Je ne m’attarde pas sur les détails et retourne dans le couloir. En face du salon se trouve la cuisine, elle aussi plutôt vieille. Tout en formica, des placards au plan de travail. Il y a aussi un four avec des plaques de gaz. Au milieu de la pièce se trouve une table en bois aux pieds sculptés ainsi que quelques chaises assorties, très rustiques.
Ce n’est pas vraiment le genre de meubles que j’aime, mais tout a un aspect authentique ici. Comme dans cette ville d’ailleurs ! On est loin de la société de consommation où tout est neuf et parfait. Ici les choses vivent vraiment. Elles ne sont pas superficielles. Une sorte de retour aux sources, à la nature, loin de toute la pollution sonore ou industrielle, loin des publicités omniprésentes et loin de ce connard de Jeff !
Ce n’est pas la maison de mes rêves. Mais elle sera très bien. Je retourne dans le couloir qui va tout droit, puis à droite. Je tourne donc et sur ma gauche se trouvent des portes vitrées. Je décide d’en ouvrir une, histoire de voir mon jardin. Et je ne m’attendais absolument pas à voir ça !
Derrière ma maison se trouve une belle terrasse avec des dalles en pierre où sont posées une table en plastique et des chaises. Juste après, il y a le jardin avec de l’herbe bien verte. Et 30 mètres plus loin commence déjà la forêt ! De grands arbres bien espacés dont les racines passent à la surface avant de replonger sous terre. C’est comme si toute la forêt était mon jardin ! Aucune délimitation, ni barrière ni grillage, rien ! Sûrement que cela aurait gêné quelqu’un d’autre, mais pas moi ! Je sens un sentiment de liberté m’envahir, observant ces géants de bois.
« Mon jardin, c’est toute la forêt » dis-je à voix basse, un sourire fixé sur le coin de ma bouche. C’est génial. Je m’imagine déjà me promener entre les épicéas cet été pour trouver un coin tranquille où lire en écoutant la légère brise de la côte s’engouffrer entre les branches et les faire se balancer, comme une mer de bois, ondulante et lente.
Le soleil doit être en train de se coucher. Tout devient lentement plus obscur. J’ai de plus en plus faim, mais ma curiosité me pousse à finir la visite avant de me faire à manger. Une conserve de ravioli, ça peut attendre, ce n’est pas un repas 5 étoiles.
Au fond du couloir se trouve une porte, qui doit sûrement mener au garage. Cette maison est tout en longueur, c’est assez étrange, mais ça me plait bien ! Sur ma droite se situent les deux dernières pièces. La première : une salle de bain. Les murs sont en carrelage bleu foncé, assez moderne je trouve comparé au reste de la maison. Je me retiens de pousser un cri d’hystérie en voyant qu’il y a une baignoire ! À moi les longs bains chauds de minuit ! Il y a aussi un lavabo avec une glace et -bien évidemment- des toilettes.
Je ressors et ouvre la dernière porte plus au fond pour trouver la pièce où je compte bien passer le plus de temps : ma chambre !
Elle n’est pas trop grande, mais pas trop petite non plus. Le lit est juste sous la fenêtre et semble gigantesque ! Quatre personnes comme moi pourraient dormir là-dedans ! Il n’y a que le matelas, je décide donc de me jeter dessus -pas trop violemment- pour le tester. Une sorte de baptême. Je rebondis légèrement sur le matelas. Il est mou, mais pas trop, exactement comme je les aime !
***
J’ai garé ma voiture dans l’allée et ai commencé à rentrer mes affaires pour la nuit. Le soleil est en train de se coucher. Cela me rappelle ce que Grand Ours m’a dit avant de partir. Le même avertissement qu’il avait écrit dans son livre.
« Ne sortez pas la nuit. »
Dans un autre endroit, je me moquerai éperdument de ce message aux allures de plaisanterie. Mais après l’horrible sensation que j’ai ressentie au fond de la bibliothèque, je préfère rester sur mes gardes. Non pas que je pense qu’il se passe des choses paranormales, je ne suis pas encore complètement folle. Mais j’ai peur que ma fatigue et le stress me jouent des tours. Après mes raviolis, au lit !
Après avoir dégusté cette délicieuse boîte de raviolis réchauffée au micro-ondes, je range mes autres conserves dans les placards juste au-dessus du plan de travail. C’est là que je vois des sortes de marques de griffes dans le bois. Comme si un animal était rentré dans la maison et avait grimpé pour essayer d’attraper les provisions qui se trouvaient là. Peut-être que le surnom de Grand Ours lui provient d’une anecdote bien plus palpitante que je l’aurai imaginé. J’espère bien qu’aucun autre animal sauvage ne viendra fouiller chez moi…
Il fait presque nuit. Je regarde par la fenêtre de la cuisine et vois que les volets des voisins se sont ouverts. Donc ils les ferment la journée et les ouvrent la nuit… Je fais ça aussi, mais seulement quand il y a la canicule ! Or la température est clairement tenable en ce moment, c’est vraiment bizarre… Encore quelque chose à rajouter sur la liste des choses curieuses, dans la Bay Curieuse… Autant ce nom est moche -et peu logique gramaticalement-, autant il décrit assez bien cet endroit.
Je préfère ne pas trop réfléchir et ouvre un pot de confiture de framboise avant de l’étaler sur une biscotte. Oui je ne mange pas des desserts conventionnels, mais mon corps me plait alors je peux me permettre de me faire plaisir ! En pensant à cela, je regarde ma poitrine et sourit, sorte de fierté en pensant à mes amies du lycée qui jalousaient cet amas de graisse.
Le temps de finir mes tartines -et de glander un peu sur mon téléphone, même si le réseau est vraiment très mauvais et coupe sans arrêt-, il fait presque nuit dehors. Les quelques lampadaires de la rue s’allument déjà, projetant une lumière jaune alors que le soleil n’a même pas complètement disparu.
Bon bah voilà ! Il fait presque nuit, et il n’y a pas de morts vivants, de fantômes ou d’autre choses surnaturelles. Tout est normal. Tout est normal… Quoi que… Je vois une ombre de l’autre côté de la rue, très petite. Un chat peut-être ? Difficile de dire. Il s’approche du lampadaire. La lumière l’éclaire et-… Non, mais… Non mais je rêve… Il y a un loup qui me regarde de l’autre côté de la rue !
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