Chapitre 1

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12 avril

19 h 15

Le ciel était étonnamment dégagé pour un jour en Bretagne gauloise. Mais Léo Mercier ne fustigeait pas la météo locale qui le contraignait à changer ses habitudes, bien au contraire. Le temps clément lui avait permis de faire de bonnes affaires en cette journée d’Avril 2039. Son camion-restaurant, ou Food truck, avait été littéralement assiégé par des affamés et gourmands acariâtres de Bois-Cor.

En tant que premier, et seul, fast Food mobile de la ville de Bois-Cors, le Mondial-Bouff monopolisait le marché. Le choix du jeune homme d’ouvrir sa propre affaire était sans aucun doute l’une des rares bonnes choses qui lui soient arrivées. Assis sur le toit de son van, garé sur le parking de la place, Léo sirotait une bière desperados sans alcool, la seule bière qu’il acceptait de boire. Il était vêtu d’un tablier usé et d’un simple survêtement en guise de pantalon. Sous ses oripeaux se cachait un simple t-shirt bleu cyan. Cette journée, bien que fructueuse avait également été des plus usuraires, il fallait bien l’avouer, et il en était très heureux.

Léo appréciait depuis toujours les crépuscules de sa ville natale. De son perchoir, le jeune cuisinier observait le magnifique coucher de soleil qui s’offrait à lui. L’astre écarlate enflammait les toits et la végétation de ses rayons. Les paupières alourdies par la fatigue, le jeune homme s’allongea sur le toit métallique et ferma les yeux. En quelques secondes, il s’endormit.

2031

La voix du pilote grésilla dans l’interphone,

─ Mesdames et Messieurs, nous approchons des côtes d’Irlande. D’ici deux ou trois heures nous atteindrons la Gaule et atterrirons à l’aéroport de Rennes. Nous vous souhaitons une bonne fin de voyage.

À demi endormi, le jeune garçon de douze ans gigote dans son siège de seconde classe. Dans cet avion qui le ramène d’un séjour scolaire aux États-Unis, il s’ennuie ferme. Sa console n’a plus de batterie et il n’a rien pris à lire dans ses bagages. Il se jure que la prochaine fois qu’il prendra l’avion il se préparera un programme d’occupation. Finalement il sombre dans les bras de morphée.

Son esprit nage à présent dans un océan d’obscurité, autour de lui des étoiles exécutent une danse gracieuse. Il se sent en paix. Tout à coup, un éclair illumine les ténèbres. Du néant, une flèche de feu fonce droit sur lui. Une vague d’effroi secoue son corps, une douleur horrible transperce son crâne. Dans un réflexe de préservation, il met ses mains devant son visage. Une lumière blanche l’enveloppe, alors qu’une voix retentit :

-─ Tu ne mourras pas aujourd’hui.

Une violente détonation suivie d’un effroyable son de métal déchiré arrache le garçon à son sommeil. C’est le chaos dans l’avion, à l’avant la carlingue est percée par un énorme trou ! L’air s’y engouffre avec une force proche d’un ouragan.

Paniqué, le garçon attache sa ceinture et s’enfonce dans son siège. Il entend le sifflement du vent et sent l’appareil descendre en piqué vers le sol. Il sent le choc qui arrache son siège, celui de son corps contre l’acier de l’appareil, puis plus rien.

Quand il revient à lui, la première chose qu’il ressent est la douleur. Il ouvre lentement les yeux. Ses membres sont en sang, son corps est atrocement mutilé. Il sent une immense chaleur monter en lui et l’étouffer. La douleur est insoutenable, il sent ses os se remettre en place. Le garçon hurle, hurle de douleur, hurle à la mort.

Léo se réveilla brutalement. Le jeune homme réprima le haut le cœur qui menaçait de lui faire rendre les tripes. Son sursaut manqua de le faire chuter du toit du véhicule. Le corps inondé de sueur, Léo se redressa et reprit calmement sa respiration. Il descendit du van, tremblant de tous ses membres. En levant les yeux, il se rendit compte que la lune s’était levée. En consultant l’heure sur son portable, il constata qu’il était vingt heures passées.

Le jeune homme avait dormi pendant près d’une heure, une chose inespérée pour lui.

« Pour une fois que je n’ai pas besoin de mon traitement, il faut que je me rappelle cette horreur » se dit Léo. Déjà il sentait l’énergie intarissable réveiller son corps et chasser les douces brumes de la fatigue et du sommeil qu’il avait tant de mal à obtenir. Poussant un profond soupir de lassitude, Léo démarra son véhicule et sans perdre plus de temps, roula vers l’épaisse forêt à l’ouest de la ville. Dix minutes plus tard, le vanne s’engouffrait dans la végétation.

La ville portuaire de Bois-Cor, bien que vaste, était cernée par d’immenses forêts, où de nombreuses communautés paganistes et celtiques célébraient leurs rites. Depuis l’antiquité de nombreux dolmens et temples dédiés aux Faes se dressaient dans les immenses bois d’arbres sombres.

Entre les troncs, une route de bitume usée par les années serpentait. Le van-restaurant roula pendant encore quelques minutes avant de finalement s’arrêter devant une étrange bâtisse nichée entre les arbres. À première vue, on pouvait la prendre pour un menhir d’une dizaine de mètres de haut. Pourtant, il s’agissait bien d’une maison à deux étages. En effet deux fenêtres perçaient la roche à mi-hauteur. Léo gara son véhicule à gauche de la maison cylindrique. Sautant de son véhicule sur le sol couvert de gravier, le jeune homme entra dans son domicile d’un pas pressé. Léo monta les marches de son escalier quatre à quatre, il dépassa le premier étage et arriva sur le toit. Là, sur le sol bétonné se dressait un poteau de bois, dans lequel plusieurs bâtons étaient plantés, donnant ainsi au poteau une allure d’être humain. Il s’agissait d’un muk yan jong, un mannequin d'entraînement.

Léo retira son tablier, et sortit de sa poche un bandeau écarlate qu’il noua autour de son front. Saisissant un rouleau d'adhésif, il banda les jointures de ses poings. Le jeune homme inspira profondément, tachant de régulariser son rythme cardiaque. Puis dans un geste aussi gracieux que tranchant, il se mit en position de combat, poings levés et fermés. Vif comme l’éclair, Léo frappa le mannequin, le son mat du poing contre le bois perça le silence nocturne. Le combattant enchaîna avec un coup de pied, suivi d’une autre frappe du poing. Il répéta cet enchaînement de plus en plus vite, au point que si quelqu’un l’avait observé il aurait été incapable de distinguer ses mouvements. Le poteau aurait valsé en tous sens s’il n’avait pas été rivé au sol.

La pratique de l'art-martial Lua-Thai-KwonDo était la seule chose qui permettait à Léo de se libérer de son surplus d’énergie. Ses poings et ses jambes étaient tels des armes mortelles qui frappaient leur cible avec précision et une puissance redoutable. Si le muk yan jong avait été un être humain, il aurait souffert de plusieurs commotions cérébrales et ses côtes seraient en bouillie. Amata Akeola son instructrice martiale aurait était fière de lui.

Il fallut plusieurs heures avant que Léo ne sente la sueur couler sur son corps et que, enfin, il sentit la fatigue pointer. Il s’arrêta et consulta l’heure : une heure du matin.

« Déjà » songea-t-il. Il allait encore une fois avoir mauvaise mine au réveil.

Ne voulant pas manquer cette chance de dormir enfin, Léo redescendit. Il se contenta de retirer les bandages sur ses mains, avant de se vautrer dans son hamac, faisant office de lit, dressé dans sa chambre du premier étage. Comme Amata lui avait appris, il se détendit et se concentra sur sa respiration, pour ensuite laisser son esprit se perdre dans une nébuleuse d’éléments sans importance. En moins d’une minute, Léo sombra dans un sommeil sans rêve.

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