Chapitre 4
L’agent Marion Martel, Kylian McDohl et Amata Akeola entrèrent dans le salon et prirent place dans les fauteuils restants. Un certain malaise s’installa dans la pièce, plus personne ne touchait à la nourriture. Seul Léo était calme, la présence de la policière et de ses deux mentors le rassurait. Pourtant les circonstances dans lesquelles il avait fait leur connaissance, n'avaient rien d’agréable.
En dépit du fait qu’il ait été innocenté par l’enquête, la vie de Léo fut loin de retrouver sa normalité à l’époque. Ses pouvoirs nouvellement acquis gorgeaient son corps d’une énergie intarissable. C’est à cela qu’il devait ses insomnies dont il souffrait encore en tant qu’adulte. Un peu moins d’un mois après le retour de Léo en Gaule, l’agent Marion Martel d’Interpol, accompagnée de Kylian McDohl et Amata Akeola, deux super-héros enquêteurs ayant souvent travaillé avec elle, était revenue vers la famille Mercier. Bien que Léo eût été innocenté, la police gardait un œil sur lui et il ne leur avait pas fallu longtemps pour découvrir les pouvoirs du garçon.
Constatant les difficultés que Léo traversait, Marion avait décidé de mettre en contact ses deux collègues super héros avec la famille Mercier. Les deux justiciers proposèrent d’aider Léo à maîtriser ses pouvoirs et retrouver un équilibre psychique. Amata prit en charge l'entraînement aux arts-martiaux et la maîtrise des pouvoirs de Léo. Kylian, quant à lui, réputé pour être l’un des plus fins limiers d’Europe. Dans l’objectif de canaliser sa peur et surtout son énergie débordante, il lui enseigna toutes les techniques qu’un bon enquêteur se doit de maîtriser. Les leçons de l’un comme de l’autre avaient porté leurs fruits. Deux ans plus tôt, après que Léo eut décroché son bac, ses deux mentors et lui avaient peu à peu pris leurs distances en raison de leur activité professionnelle, sans pour autant perdre tout contact. Ils décidèrent même se réunir tous les trois mois.
Après plusieurs minutes de silence, Kylian prit la parole :
─ Le responsable de la fuite est le responsable du crash d’il y a huit ans Léo.
Cette annonce fit l’effet d’un électrochoc dans l’assemblée.
─ Vous en êtes certains ? demanda Iashida.
L’agent Martel confirma.
─ Je suppose que monsieur Kavanagh est vivant, ajouta Léo.
La famille du jeune cuisinier ne comprit pas de quoi il parlait, en revanche le trio d’enquêteurs savait de quoi il retournait.
─ Tu as fait tes propres recherches je présume ? Répondit-elle.
C’était exact, durant la nuit précédente Léo avait enquêté et ce qu’il avait découvert n’avait fait que confirmer ce qu’il redoutait. En fouillant sur les sites d’information irlandais, il avait appris que Jack Kavanagh, l’homme qui était arrivé en premier sur les lieux du crash, avait été agressé. Cela avait eu lieu moins d’une semaine avant la mise en ligne de l’article dévoilant le secret du jeune Mercier, les deux événements étaient bien trop proches pour que cela soit une coïncidence.
Léo expliqua tout cela à sa famille.
─ Mais pourquoi s’en prendre à lui, demanda Julia, n’avait-il pas effacé la vidéo ?
En effet Jack Kavanagh, ornithologue amateur, avait filmé Léo pendant quelques secondes alors que son corps irradiait de flammes blanches. Cependant lors d’une discussion, les agents d’Interpol avaient fait appel à son sens moral et il avait effacé ladite vidéo, du moins en théorie. Cependant Kavanagh avait vu Léo utiliser ses pouvoirs. Par conséquent il détenait des informations cruciales, susceptibles d’intéresser les responsables de l’attaque.
Lesdits responsables n’avaient d’ailleurs pas mis longtemps à être confondus par les autorités. Dans les mois qui suivirent le drame de l’avion, les investigations d’Interpol mirent à jour un complot qui avait mené à cette attaque meurtrière. La triste vérité était que cela n’avait rien à voir avec des terroristes, il s’agissait d’un contrat visant une cible bien précise. Mais les tueurs à gages envoyés avaient une méthode aussi répugnante qu'efficace : faire un nombre conséquent de victimes dans le but de brouiller les pistes. La seule véritable cible était le fils du chef d’un cartel de drogue. Une fois cette information en main, les enquêteurs ne mirent pas longtemps à trouver les commanditaires du meurtre sans avoir à passer par les exécutants.
Le commanditaire du meurtre, le chef mafieux Dusan Markovitch fut arrêté. Cependant en échange de meilleures conditions d’incarcération, il fournit une information des plus cruciale. Les tueurs à gages, qui était en fait un couple, se nommaient Carla Héming et Walter Héming, dans le milieu on ne les connaissait que sous le pseudonyme des « doubles-faucheurs ». Sous ce pseudonyme, les deux tueurs avaient commis des assassinats partout dans le monde. La plupart du temps dans le milieu du crime organisé, dans le but d’affaiblir des rivaux. Personne jusqu’ici ne connaissait leur véritable identité, pas même leurs commanditaires. Mais Markovitch avait été plus malin qu’eux sur ce coup-là, et après une investigation minutieuse il avait démasqué le couple Héming et gardé cette information en guise de police d’assurance.
Dès qu’il fut arrêté, Dusan Markovitch les dénonça aux autorités mais il rendit également l’identité des « doubles-faucheurs » publique, les exposant ainsi au courroux des organisations contre lesquelles ils avaient exécuté leurs contrats. Une immense chasse à l’homme commença alors, impliquant aussi bien les forces de l’ordre que les grandes organisations criminelles. Hélas pour le couple, ce furent les tueurs qui les trouvèrent en premier. Un an après le drame, Interpol retrouva les dépouilles des Héming, exécutés d’une balle dans la tête.
Mais apparemment en dépit de la mort des deux assassins, Dusan Markovitch n’avait toujours pas digéré l’échec de cette opération. Marion raconta les tragiques événements impliquant Kavanagh. L’ornithologue avait eu la malchance d’avoir été identifié comme le premier témoin du crash se retrouvant dans leur viseur du mafieux. Selon la déposition que le pauvre homme fit à la police : des hommes de main de Markovitch entra chez lui par effraction et le tortura dans le but de lui arracher des informations. Le malheureux passionné d’oiseaux résista quelques heures, mais il finit par céder. Kavanagh dit à son tortionnaire tout ce qu’il avait vu le jour du crash. Puis, alors qu’il avait le dos tourné, l’ornithologue se libéra de ses liens et s’enfuit par la porte de derrière. Le pauvre mutilé réussit à alerter la police, mais le temps qu’Interpol soit informé, le tueur avait mis les voiles et peu de temps après mit en ligne l’article rédigé à partir des aveux de l’ornithologue.
Ce torchon, à défaut d’être qualifié d’article, calomniait ouvertement les autorités, disant que l’enquête avait été falsifiée afin de protéger le vrai responsable de l’explosion : Léo Mercier qui, à l’époque, aurait perdu le contrôle de ses pouvoirs. Un tas d’autres accusations mensongères accompagnaient celle-ci : Interpol en aurait fait un agent, Léo serait en fait le disciple de groupuscule criminel, et d’autres hypothèses toutes aussi peu crédibles les unes que les autres.
Bien entendu les autorités et les pouvoirs judiciaires s'affairaient à démonter chacune de ses accusations, qui, il fallait le dire, avaient des airs de théorie du complot. Des preuves plus que concrètes avaient été récupérées durant l’enquête, et même après la condamnation de Markovitch afin de s’assurer qu’il ne puisse pas échapper à la justice. Le public étant friand de scandales, les journalistes avaient sauté sur l’occasion pour obtenir un scoop. La vérité leur importait peu. L’avenir de Léo était donc des plus incertains.
Lorsque l’agent Martel eut terminé son récit, un lourd silence s’installa. Léo se sentit alors très mal à l’aise.
─ Je monte sur le toit, dit-il simplement.
Puis il se leva sans ajouter un mot. Personne ne protesta, il n’aimait pas le fait de rester sans rien faire ; il avait besoin de se dépenser, de se défouler, peu importait comment. Ses parents et ses mentors savaient cela. Léo arriva sur son dojo improvisé et commença ses exercices martiaux habituels. Plusieurs minutes s’écoulèrent, durant lesquelles le silence n’était perturbé que par le son mat de ses poings contre le poteau de bois. Le combattant était si concentré qu’il n’entendit même pas les pas de ses mentors quand ils le rejoignirent sur le toit. Amata et Kylian restèrent silencieux, observant les enchaînements de leur protégé avec l’œil acéré des héros expérimentés. Ce ne fut que lorsqu’il fit une pause que Léo remarqua leur présence. Il devait faire quelque chose sinon il allait devenir cinglé, sa vie, cette existence simple pour laquelle il avait travaillé si dur était en train de s’effondrer à cause d’un seul article mensonger.
─ Ravis de constater que tu maintiens ton entrainement mon cher disciple, dit Amata en souriant de toutes ses dents. Cependant depuis combien de temps n’as-tu pas affronté un adversaire ? ajouta-t-elle alors qu’elle se bandait les mains à son tour.
─ Trop longtemps, sensei, soupira Léo peu enthousiaste.
Le jeune homme suivit sa mentor jusqu’à un coin du toit aménagé en ring. Les deux combattants prirent position dans le carré vermillon peint sur le sol. Le maître et le disciple saluèrent, puis ils entamèrent leur danse martiale. Amata engagea les hostilités avec un crochet bien placé en direction de l’abdomen de son opposant. Léo esquiva avant de contre-attaquer d’un coup de pied rotatif parfaitement exécuté. Son coup ne frappa hélas que du vent, Amata s’évapora pour réapparaître sur le flanc exposé de Léo. Elle lui décrocha un violent uppercut dans les côtes, le jeune combattant comprima chaque muscle de son torse. L’effet attendu ne fut que minime, la puissance du choc se répercuta dans toute sa cage thoracique. Mais Léo ne flancha pas et il rendit à sa professeure la monnaie de sa pièce.
Il inspira, gorgeant ses poumons d’oxygène au maximum et par extension ses muscles d’énergie, avant de bloquer sa respiration. Le disciple se déchaîna et une véritable tempête de coups s’abattit sur Amata. Léo retrouva son équilibre avant de bondir sur son adversaire comme un fauve sur sa proie. Sa mentor tenta de creuser la distance mais il ne la laissa pas faire, collé à elle comme une sangsue, il ne lui offrit aucune ouverture. L’enchaînement dura pendant plus d’une minute avant que Léo ne sente son souffle s’épuiser, heureusement, cela lui fut suffisant. Il feinta par un enchaînement de directs acérés en tournant autour de son adversaire comme un rapace. Amata le suivit des yeux sans mal et tenta de le stopper d’un coup de pied surprise. Le piège se referma sur elle comme les mâchoires d’un prédateur sur sa proie. Léo se volatilisa au moment où le pied d’Amata allait le toucher, il glissa sur son flanc gauche et avec une vitesse fulgurante lui asséna un violent coup de pied acrobatique en pleine mâchoire.
La puissance du coup fit reculer Amata, malgré tout elle ne semblait pas plus affectée que cela. Léo, qui reprenait sa respiration, n’en fut guère étonné. Des années de pratique les séparaient, sa mentor et lui ; il faudrait qu’il la roue de coups pendant des heures avant qu’elle ne soit au tapis. Amata fit craquer son cou, un large sourire fendait son visage :
─ Je suis fière de toi Léo, tu t’es amélioré, réussir à me toucher dans les premières minutes du combat ! Jamais je n’aurais envisagé ça il y a huit ans ! Markovitch et ses tueurs peuvent venir !
Léo eut un petit rire sans conviction ce détail n’était pas drôle. La possibilité de voir des assassins débarquer chez lui le hantait depuis des années. Après tout, il était la raison même pour laquelle le plan de Markovitch avait été découvert, et maintenant son organisation n’allait pas le rater l’occasion de faire de sa vie un enfer.
─ J’aurais préféré que ce jour ne vienne jamais, avoua-t-il à ses professeurs.
─ On en a déjà discuté, répondit Kylian, inutile de ressasser ça.
Léo savait que l’irlandais barbu avait raison, pourtant cela ne changeait rien pour lui.
— Vous savez bien que je ne veux pas devenir un super-héros.
— Certes, mais ça Markovitch s’en moque. Tu crois vraiment qu’il se contentera d’un article calomnieux ? Et même si c’est le cas, tu penses vraiment que les gens vont oublier que tu as des pouvoirs maintenant ?
Amata changea de sujet avant que les deux hommes ne s’échauffent trop :
─ Nous verrons cela plus tard. En attendant, passons aux choses sérieuses Léo. J’espère pour toi que tu n’as pas laissé tes pouvoirs de côté.
─ J’ai suivi vos enseignements, sensei.
─ Je vais m’en assurer.
— Attendez sensei, on est sur le toit de ma maison, c’est risqué, objecta le jeune homme inquiet.
— Uniquement pour la discrétion, le rassura Kilian, pas pour la résistance.
Sur ces mots il frappa le sol de sa canne et aussitôt d’étranges symboles lumineux le recouvrirent.
— Qu’est-ce que vous… ? demanda Léo éberlué.
— Peu avant que tu emménage, j’ai placé des protections runiques, on n’est jamais trop prudent, tu peux y déployer toute ta puissance sans aucun problème.
— Pourquoi vous ne m’avez rien dit ?
— Tu aurais été moins responsable et moins prudent tu ne crois pas ?
Léo aurait bien voulu en renchérir, mais deux choses l’en empêchèrent : la première était que son instructeur avait en partie raison et l’autre était son combat qui n’était pas terminé.
Amata inspira profondément et sa peau se couvrit de plaques caparaçonnées, hérissées de pointes. Le pouvoir de la combattante de MMA (Arts martiaux multiples) surnommait la « Tortue Alligator » entra en action. Amata chargea et tenta un coup de pied rotatif. Léo ne perdit pas une seconde et à son tour fit appel à ses pouvoirs. La puissance du feu blanc déferla dans les muscles du combattant, et c’est à la dernière seconde que Léo esquiva l’offensive. La puissance du coup, décuplée par sa carapace, provoqua une bourrasque qui secoua tous les arbres entourant la maison.
L’artiste-martial incandescent riposta sans pitié et infligea un déluge de coups de poing dans les côtes de son adversaire. Sans ses pouvoirs, ses poings auraient volé en éclats sur la carapace d’Amata, mais grâce au feu, ils faisaient craquer les plaques osseuses. Mesurant la puissance de son élève, Amata changea de tactique. Elle lança un puissant uppercut en visant l’abdomen de Léo. Il esquiva et effectua un puissant coup de pied rotatif qui atteignit Amata en pleine mâchoire. L’armure naturelle de son visage éclata en morceaux sous la force du coup, digne d’un fléau d’armes.
Léo savait très bien qu’il était loin d’avoir remporté la partie ; son sensei avait affronté et vaincu des ennemis bien plus dangereux et puissants que lui. La carapace d’Amata se régénérait très vite ; les fissures qu’il avait infligées sur les flancs avaient déjà disparu. Les deux adversaires poursuivirent leur affrontement. Chaque coup provoquait une bourrasque, témoignant des forces déployées. Ce pugilat endiablé dura plusieurs minutes, sans qu’aucun des deux ne parviennent à prendre l’avantage sur l’autre. C’est alors que Léo sortit sa botte secrète, il se concentra et fit le vide dans son esprit, le temps sembla se dilater. Le combattant visualisa les points précis qu’il devait atteindre sur le corps de son adversaire. Les épaules, les articulations des avant-bras, et le torse. Le temps reprit ses droits et il passa à l’action. Léo brisa la défense d’Amata et le combo dévastateur s’abattit. Ses poings frappèrent les quatre cibles avec la puissance d’un météore, avant de finalement s’abattre de concert sur le torse d’Amata. Les deux tiers de la carapace explosèrent en mille morceaux.
Amata fut projetée hors du ring et finit sur le dos. Léo respira longuement et ralentit son rythme cardiaque le plus possible. Le feu blanc perdit en éclat et finalement s’éteignit. Le jeune homme ne pouvait pas se permettre de garder son pouvoir en activité trop longtemps, plus d’une catastrophe s'était déjà produite. Amata se redressa ; elle ne souffrait que de simples ecchymoses sur les bras et le ventre.
─ Bien, très bien Léo, dit-elle fière de son disciple.
Kilian s’avança, une étrange canne en main. Il en saisit la poignée et la tira d’un coup sec. Elle se sépara du pied de la canne et dévoila la lame à double tranchant de la canne de combat.
─ À présent nous allons travailler la projection de tes flammes Léo. Il est grand temps de passer à l’étape supérieure.
─ (Ay) Haï, sensei, répondit Léo qui était mort d’inquiétude.
Tremblant, il invoqua ses flammes une seconde fois et un nouveau combat commença, mais Kilian, lui n’eut pas à s’approcher. Le duelliste leva son arme et porta un coup d’estoc dans le vide. Le vent se concentra autour de la lame et fut projeté comme une flèche ! Léo esquiva par réflexe, le projectile ne fit que le frôler mais il ressentit bien la puissance de la lame de vent. Cette dernière était partie pour se perdre dans les arbres, mais avant d’avoir pu atteindre le premier arbre, les runes du bâtiment s’activèrent et un mur invisible stoppa net le projectile. Le Parle-Sylphe, le pouvoir de Kilian, venait d’entrer en action. Il était le limier qui pouvait parler aux fées du vent et en capter le pouvoir.
─ À ton tour Léo, canalise la puissance de ton feu et projette-la ! dit-il en tentant de motiver son élève.
Le jeune homme était inquiet, les rares fois où il avait tenté de projeter ses flammes, au mieux il ne s’était rien passé, au pire il avait déclenché une explosion hors de contrôle. En dépit des protection runiques posées par Kilian, il était terrifié par cette possibilité. Il tenta d’argumenter afin de faire oublier cette idée à son professeur. Mais le maître d’armes comptait bien lui faire franchir le pas.
─ Il est temps de sortir de ta coquille, apprenti ! s’exclama l’irlandais.
Il frappa le sol de son fourreau, une véritable tornade miniature l’enveloppa alors.
─ Touche-moi si tu peux Léo, dit-il sur un ton provocateur.
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