Chapitre 6
20 avril
Il était tout juste huit heures du matin lorsque, Xiong Mao sonna à la porte de sa fille. Sélène lui avait laissé la veille, tard dans la soirée, elle disait qu’elle devait lui parler d’un projet. La porte s’ouvrit sur une Sélène propre et habillée, avec, à ses côtés plusieurs valises.
─ Tu vas où, demanda Xiong Mao à la vue des bagages ?
─ Je vais faire un tour en bretagne maman, j’ai un projet en tête et je dois aller là-bas, répondit sa fille, mais avant cela j’ai besoin de te montrer quelque chose.
Elle tira sa mère par le bras jusqu’à son bureau où son ordinateur portable attendait. Ce dernier était ouvert sur un fichier contenant toutes les informations que Sélène avaient accumulées depuis une semaine entière au sujet de Léo Mercier et du crash.
─ Qu’est-ce que c’est, demanda Xiong Mao circonspecte ?
─ Lis ça s’il-te-plait, dit simplement sa fille en désignant l’écran du portable.
Sa mère ne réfléchit pas et, après avoir mise ses lunettes, elle se mit à lire. Ce document lui apprit que, bien qu’il tentât de le dissimuler, Léo avait bien découvert ses pouvoirs depuis plusieurs années. Mais surtout qu’il était formé aux arts-martiaux, et à d’autres professions qu’un cuisinier classique ne devrait pas maitriser. Les indices qui avaient mené la jeune investigatrice à cette conclusion étaient : la morphologie et gestuelle de Léo qu’elle avait pu analyser sur les différentes images. Cependant cela posait une question vitale, comment avait-il apprit tout cela ? était-il un autodidacte ou bien avait-il eu de l’aide ? Sélène n’avait pas tardé à trouver la réponse.
─ Je suppose que tu connais ces deux personnes, dit Sélène en lui montrant une photo sur laquelle on voyait Kylian McDohl et Amata Akeola à Bois-Cor à plusieurs reprises et à des dates diverses.
En effet Xiong Mao connaissait plus ou moins personnellement les deux héros détectives : elle et son mari avaient fait leurs études avec eux à la FEAH.
─ Qu’est-ce qu’ils font là, s’interrogea l’héroïne ?
─ Je me disais que tu aurais pu répondre à cette question.
─ Navré mais ce n’est pas le cas ma chérie.
─ Bon, je vais devoir leur demander moi-même.
─ Comment ça ?
─ Je vais à Bois-Cor aujourd’hui, mon train est dans deux heures.
En entendant cela, sa mère fit des yeux ronds.
─ Tu es sérieuse ?
─ Tout à fait maman, ajouta Sélène. C’est pour moi une chance de tester mes compétences, et surtout il y a quelque chose que je veux vérifier sur cette affaire. Je me disais que tu pourrais m’aider à entrer en contact avec ses mentors.
Xiong Mao réfléchit quelques secondes, avant de répondre.
─ Je vais voir ce que je peux faire.
─ Merci maman ! s’exclama, sa fille avant de l’embrasser
Puis les deux femmes se séparèrent pour que Sélène puisse se préparer. Li Xiong Mao descendit rapidement jusqu’au parking où ses gardes du corps et sa voiture l’attendaient.
─ Tout s’est bien passé madame, demanda l’un des employés ?
─ À merveille, répondit-elle.
La quadragénaire monta dans la voiture, elle saisit son téléphone et composa un numéro. En tant que déléguée du syndicat, l’autre nom pour la cheffe des triades, la mafia d’extrême orient, Xiong Mao avait de nombreux informateurs et d’hommes sous ses ordres. La tonalité se fit entendre à l’autre bout du fil, il ne fallut cependant pas longtemps avant que le destinataire ne décroche.
─ Allo patronne, dit une voix d’homme à l’autre bout du fil ?
─ Je t’ai déjà dit de ne pas m’appeler comme ça Fei Long, écoute bien : j’ai besoin que tu nous mettes en contact avec McDohl et Akeola, considère ça comme une affaire de première urgence. Mets tous nos agents sur le coup.
─ Tu parles de Kylian et d’Amata, d’accord mais pourquoi ?
─ C’est en rapport avec un projet de Sélène.
─ Je suis sur le coup Xiong Mao, répondit Fei Long tout à coup plus sérieux que jamais.
Cela fit plaisir à son interlocutrice, ce grand gaillard considérait Sélène comme sa nièce, et en sa qualité de garde personnel de sa mère il était prêt à tout pour protéger et aider la jeune femme.
─ Merci Fei Long, je te laisse j’ai d’autre coup de fil à passer.
─ Au revoir, patronne !
Avec un sourire amusé, Xiong Mao raccrocha avant de composer un second numéro. Ce second correspondant décrocha tout aussi vite. Une voix grave mais douce se fit entendre :
─ Allo chérie ?
─ Bonjour Ombre, mon amour peut on se voir ce midi ? J’aimerais te parler de quelque chose.
─ C’est à propos de Sélène n’est-ce pas, dit Ombre ?
─ C’est ton instinct animal qui te l’a soufflé, demanda sa femme ?
─ On peut dire cela. Donc rendez-vous à douze heure trente à notre restaurant préféré ?
─ Très bon choix, à tout à l’heure.
─ À tout à l’heure.
Après avoir raccroché, Xiong Mao ne put s’empêcher de s’inquiéter pour sa fille. Malgré la maîtrise certaine de sa progéniture, le monde extérieur était dangereux et l’affaire à laquelle elle s’intéressait semblait l’être tout autant.
Sélène, elle n’avait pas de temps à perdre, son train partait dans une heure et si elle ne voulait pas le manquer, elle devait s’activer. Elle boucla son appartement, pour ensuite se diriger vers le parking de sa résidence. Quarante minutes plus tard, assise dans le train en partance pour Rennes, Sélène repassait en revue toutes les informations qu’elle avait accumulées. Tout ce qu’elle avait découvert démontrait clairement que Léo était bien plus que ce qu’il laissait paraître. Mais ce qui troublait encore plus la jeune femme était le songe qu’elle avait fait une semaine plus tôt. Pourquoi avait-elle rêvé du jeune homme ? En raison de la culture celtique et chamanique de son père Ombre, Sélène savait que les visions oniriques devaient être prises au sérieux. Tandis que le paysage défilait sous ses yeux, la jeune enquêtrice se demandait comment elle allait amorcer la rencontre avec le jeune homme.
Il était midi passé lorsque Sélène arriva finalement à sa chambre d’hôtel. Elle ne perdit pas un instant et s’installa le mieux possible avant de commencer ses préparatifs pour le lendemain : son billet de train pour Bois-Cor et l’itinéraire jusqu’à la maison de Léo Mercier, ses repas et son matériel de surveillance et enfin sa tenue de combat enfilée sous sa tenue de civil. Sur le plan théorique elle était prête, tout allait se jouer sur la façon dont elle approcherait Léo. Elle se dit qu’elle improviserait après l’avoir observé en chair et en os. Le lendemain, à huit heures du matin, Sélène se tenait devant la maison dolménique. Camouflée dans l’épaisse végétation environnante, comme son père lui avait appris, perchée sur la branche d’un arbre centenaire, elle constata que la petite armada de journaliste était toujours là. La situation s’annonçait des plus complexes, la célébrité de ses parents rendait l’option « passage par la porte et à découvert » caduque.
Alors elle réfléchissait, immobile dans son treillis camouflage et le visage peint dans le même ton, semblable à un esprit des bois. Tout à coup, Sélène perçut du mouvement sur le toit de la bâtisse. Elle y vit une silhouette, et une toison argentée.
─ Te voilà, pensa-t-elle satisfaite !
C’était bien Léo Mercier, le jeune homme vêtu d’un survêtement sembla pris son élan et dans un bond prodigieux se projeta jusqu’à l’arbre le plus proche. Le bruit provoqué par les branches et le feuillage alerta l’un des photographes qui alarma les autres avant de se jeter aux trousses de leur proie. Sélène ne les avait pas attendus : dès que le jeune homme était monté sur le toit elle s’était rapprochée par les arbres avant de le prendre en filature. Si les poursuivants à pied avaient peu de chance de pouvoir le suivre, la jeune guerrière entrainée avait toutes ses chances. Elle voulait en savoir plus sur cet étrange jeune homme qui lui était apparu en rêve, et cela n’allait pas tarder.
***
21 avril
Léo ouvrit les yeux, depuis son hamac il put voir son petit frère et ses parents encore endormis sur un matelas posé à même le sol. En raison de la pression des journalistes, ils avaient décidé de vivre avec lui pendant quelque temps. Le jeune homme quitta son hamac et descendit les marches de l’escalier en colimaçon à pas de loup. Une fois à l’étage inférieur, il consulta machinalement son téléphone. Huit heures du matin, il avait dormi prêt de huit heures d’affilée, c’était une première depuis des années. Le jeune homme se dit que cela était dû au stresse de la situation et aux entrainements intensifs avec ses deux mentors. Ces derniers étaient endormis au rez-de-chaussée, tous les deux vautrés sur le canapé qui pour l’occasion avait été déplié en lit.
Léo s’approcha de sa porte d’entrée et regarda par le judas. Comme il le redoutait, les journalistes étaient toujours là, tel des fauves prêts à se jeter sur leur proie. Le jeune cuistot était excédé, cela faisait une semaine qu’il était cloitré dans sa maison, le frigo était presque vide et surtout il n’avait pas pu faire la moindre rentrée d’argent. Certes ses parents et Interpol avaient décidé de l’aider à couvrir certaines dépenses le temps qu’il faudrait, mais son travail était vital pour son équilibre personnel. Léo était en train d’étouffer ici, il devait sortir.
Sans perdre une seconde, Léo enfila un survêtement, laissa un mot sur la table de la cuisine puis monta sur le toit, sans se préoccuper de réveiller ses invités. Une fois au sommet de sa maison, il chercha le meilleur chemin par les arbres. Il n’était pas un acrobate olympique certes, mais il avait assez de muscles pour faire les quelques pirouettes nécessaires pour contourner le « siège » de son foyer. Il ne mit pas longtemps à trouver la première prise nécessaire à son évasion. Léo activa son pouvoir, prit son élan et bondit en déployant chaque muscle de ses jambes et de son dos comme un ressort. Propulsé comme une torpille, il atteignit le premier arbre en une fraction de seconde. L’un des photographes entendit le bruit des branches et leva la tête.
─ Une seconde… Hey ! je crois que quelqu’un vient de se tirer par les toits, cria-t-il avant de se mettre à courir, suivant les bruits de branches et de feuillage.
Aussitôt plusieurs de ses confères le suivirent de leur mieux dans la végétation. De son côté, Léo coupa à travers la forêt loin des sentiers, semant ainsi ses poursuivants. Mais alors qu’il approchait de la plage, il entendit le son d’une branche brisée derrière lui. Léo se plaqua contre le tronc de l’arbre sur lequel il était perché, et attendit tous ses sens en éveil. Il resta ainsi de longue seconde, mais rien, pas un bruit ou mouvement, pourtant il se sentait observait.
─ La pression des reporters me rend parano, se dit le jeune homme.
Finalement il reprit sa route, sans réaliser qu’à quelques mètres au-dessus une silhouette féminine le suivait du regard, cachée sous l’épais feuillage.
En effet Sélène n’avait eu aucun mal à suivre le jeune homme dans la forêt. En dépit de sa vitesse et de son agilité, la jeune femme avait été entrainée à suivre et à distancer des adversaires bien plus expérimentés dans ce domaine. Durant la poursuite, la jeune fille avait commencé l’évaluation des capacités de Léo Mercier. Pour l’instant, comme elle l’avait soupçonné Léo s’était avéré être un athlète très compétent, et bien entendu il avait bel et bien des pouvoirs. Les veines et Les yeux éclairés d’une lumière blanche ne trompaient pas. L’enquêtrice comptait bien aller au fond de cette histoire, elle devait savoir qu’elle était la vraie nature de ce jeune homme à la chevelure argentée.
Léo, de son côté, continuait sa progression vers la plage sur laquelle il finit par arriver. Mais ce n’était pas une plage comme les autres : sur celle-ci de dressaient une maison blanche et une cabane de pêcheurs. Cela faisait longtemps qu’il n’était pas venu ici, bien trop longtemps à son goût. Léo s’approcha du perron de la maison et s’assit sur les marches usées mais toujours debout.
─ Bonjour grand-père, dit-il doucement.
C’est dans cette maison en effet que sa mère et ses tantes avaient grandi. Son grand-père, Gabriel Mercier, était mort l’année de ses douze ans. Malgré le caractère parfois grincheux du vieux journaliste, son décès avait laissé un vide dans la vie du jeune garçon. Depuis lors, chaque fois qu’il en ressentait le besoin, Léo était venu sur cette plage. Mais depuis ses débuts dans la restauration il y a deux ans et demi, ses passages s’étaient faits plus rares, à cause de son emploi du temps.
Pourtant cet endroit conservait son aura rassurante. Léo resta assis pendant de longues minutes, tentant de faire le tri dans ses pensées. Une chose était sûre : sa vie ne serait plus jamais la même. Mais la question était : comment allait-elle évoluer ? Devrait-il renoncer à sa carrière de cuisinier ? Le pouvoir public allait-il exiger qu’il passe un diplôme de héros ?
Tant de questions et de doutes, et aucune réponse à l’horizon. Léo se sentit tout à coup comme une bouilloire sous pression, toute la frustration de ces derniers jours remontait tout à coup à l'extérieur. Le jeune homme quitta les marches de la maison blanche et s’avança vers la plage. Sa patience était à bout, et les dieux savaient qu’il n’en manquait pas. Il sentait une irrépressible envie d’extérioriser sa colère et sa frustration face à cette situation.
Arrivé au bord de l’eau, Léo n’y tenait plus et il libéra son feu à pleine puissance. Les flammes blanches jaillirent de son corps en colonne et comme il s’était entrainé à le faire ces derniers jours, il les concentra dans son poing. Puis il les expulsa dans un puissant coup de poing cataclysmique, en poussant un hurlement de colère. Le poing de flammes s’entendit sur une cinquantaine de mètres, la surface de la mer bouillonna à son approche, une légère vapeur saumurée s’éleva dans les airs. Le souffle court, Léo se sentait bien plus léger et son esprit était clair.
C’est seulement alors qu’il prit conscience d’une présence derrière lui. Léo se retourna, face à lui se tenait une jeune femme, aux yeux jaunes et aux cheveux châtains. Son visage était peint en un motif de camouflage et le reste de son corps dissimulé par une cape du même motif.
— Qui êtes-vous, demanda-t-il soudain très tendu ?
Au lieu de répondre, l’inconnue passa une main du son visage. Son maquillage brun et vert se liquéfia et son interlocuteur put alors correctement voir son visage. Son sang se glaça et ce fut comme si la foudre le frappait, il connaissait ce visage : c’était celui de la femme dans l’eau qu’il avait vu en rêve.
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