Ron

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Hermione laissa s'écouler un mois. Elle prit congé à son travail. Elle emménagea dans un hôtel pour que personne ne puisse la joindre. Et surtout, pour que personne ne puisse la retrouver.

Elle écrivit à ses enfants, à Harry et à Ginny, presque tous les jours. A Ron aussi. Elle lui écrivit qu'ils ne pouvaient pas couper les ponts aussi brusquement, et qu'elle viendrait lui rendre visite lorsque leurs émotions seraient retombées.

A Drago, elle n'écrivit pas un mot. La brûlure de ce qu'elle lui avait fait la hantait jour et nuit. L'abandonner comme ça... C'était sans doute la pire chose qu'elle pouvait lui faire. Mais elle n'avait pas le choix. Il n'était plus question de lui ou d'elle. Elle n'était pas libre. La seule chose qui comptait, c'était le bonheur de ses enfants, et par conséquent, la survie de sa famille.

Elle tentait de s'empêcher d'imaginer ce qu'il pouvait ressentir, la façon dont il pouvait réagir... Ce qu'il avait réalisé lorsqu'il s'était réveillé seul chez elle, et qu'il n'avait plus eu de nouvelles... Qu'il n'avait plus su où la trouver, sans personne vers qui se tourner pour le demander...

Hermione voulait mourir de honte pour ce qu'elle lui avait infligé. Mais elle n'avait pas le choix. Sa décision était prise, elle ne pouvait pas revenir en arrière. Elle avait cédé à la passion une fois. A présent, elle devait lui résister.

Ron ne lui avait pas répondu, ce à quoi elle s'était attendue. Les enfants lui avaient envoyé de jolis dessins, et des « Je t'aime maman » de leur écriture encore hésitante. Hermione remerciait Ginny intérieurement pour prendre soin d'eux. Harry ne lui avait écrit que de brèves missives où il exprimait son incrédulité. Hermione percevait le ressentiment de son beau-frère derrière ce mutisme. De toute évidence, Ron lui avait parlé, et sans prétendre comprendre ce qui s'était passé, Harry la tenait pour responsable. Et il avait bien raison : qui ne l'aurait pas fait ?

Ginny se montrait plus compréhensive. C'était une femme. Elle l'encourageait souvent à venir leur rendre visite à la maison, pour voir les enfants, et parler avec Ron. Elle insistait pour qu'elle se livre et dévoile l'identité de son amant. Les demi-vérités ne pouvaient pas faire de bien. On devait retirer tout le poison d'une plaie si l'on voulait qu'elle guérisse. Si seulement elle savait...

A présent qu'elle avait pris sa décision, et qu'elle avait eu le temps de se couper de tout sentiment, Hermione avait élaboré un plan et elle comptait bien s'y tenir. Elle ne pouvait rien dire pour Drago. Les conséquences seraient terribles, pas seulement pour lui. Si Ron et Harry le laissaient en vie, sa carrière serait finie, et il n'aurait plus rien à attendre de l'avenir. Mais surtout, l'affaire éclaterait forcément au grand jour, et alors leurs vies à tous seraient finies. Hermione Granger, trompant son mari avec Drago Malefoy, un Mangemort... Elle voyait déjà les titres des tabloïds.

Non, Hermione ne pouvait rien dire. D'autant plus que Drago venait tout juste d'obtenir la promesse d'une nouvelle vie. Il fallait qu'il la saisisse. Il avait juste besoin d'un peu de temps pour renoncer à elle... Alors, il pourrait se libérer de toutes les attaches que le monde avait jetées sur lui. Il serait libre. Il pourrait enfin devenir celui qu'il méritait d'être.

Hermione avait donc laissé passer un mois. A présent, il était temps de sortir de son exil.

En cette froide fin de janvier, elle transplana devant le domicile des Potter. Elle n'avait pas prévenu de son arrivée, pour que Ron ne puisse pas s'éclipser en douce. Elle frappa à la porte, et ce fut Harry qui ouvrit :

– Oh, dit-il. Salut.

Il ne savait visiblement pas comment réagir. Une part de lui était content de la voir, malgré les événements. Mais il s'était établi entre eux une distance qu'il n'y avait jamais eu auparavant. Hermione comprenait pourquoi. Naturellement, il avait pris le parti de son meilleur ami, qui était venu vivre sous son toit. Elle ne pouvait pas le lui reprocher.

– Tu es venue voir les enfants ? lui demande-t-il au bout d'un moment.

– Les enfants et Ron.

Hermione fut satisfaite de constater que sa voix ne tremblait pas. Elle était ferme. Elle avait véritablement pris sa décision. Une voix dans sa tête lui dit que sa décision avait été scellée quatre semaines plus tôt, mais elle repoussa cela dans un coin de son esprit.

– Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, dit Harry en toute franchise. Pour Ron. Les enfants bien sûr, ils seront ravis de te voir. Ils ne... Ils ne comprennent pas très bien la situation.

– Cela vaut sans doute mieux.

Hermione s'autorisa un sourire timide qui ne toucha pas ses yeux :

– Je t'en prie, Harry... Je sais que tu veux le protéger. Je le comprends. Je ne sais pas... comment je réagirais à ta place. Mais je te jure que je ne veux pas lui faire de mal. Au contraire. Je veux une chance de réparer mes erreurs.

Harry secoua la tête :

– Je ne suis pas sûr que ce soit possible.

Il la regarda longuement, puis finit par hausser les épaules et s'écarta :

– Entre.

Harry la conduisit dans le salon. Les enfants jouaient devant le feu : Hugo et Rose, avec leurs cousins James, Lily et Albus. Dès qu'ils la virent, son fils et sa fille se jetèrent sur elle et l'embrassèrent à grands cris. Elle fut surprise de se trouver émue aux larmes. Elle avait eu le temps d'apercevoir Ginny, et Ron, mais plus rien ne comptait à cet instant : elle tenait ses enfants dans ses bras, elle les aimait, et chaque battement de leur cœur était comme un baume de chaleur sur son âme douloureuse. Elle sut qu'elle avait fait le bon choix. Sûrement, il n'y avait pas d'autre solution. Comment aurait-elle pu vivre sans eux ?

Au bout d'un moment, elle dut se résoudre à les écarter tout en gardant leurs mains serrées dans les siennes. Ginny la salua avec son sourire très doux. On voyait qu'elle était heureuse qu'Hermione soit venue, fière de son courage, et toujours un peu inquiète de ce que cette visite allait donner.

Enfin, elle se tourna vers Ron. Ginny fit signe à Harry et aux enfants :

– Nous allons vous laisser.

Elle emmena tout ce petit monde à l'extérieur pour une balade prolongée. Hermione ne dit rien pendant de longues secondes. Ron la dévisageait, et elle le laissait faire. Pour la première fois, son regard lui faisait l'effet d'un produit corrosif qui se posait sur tout ce qu'il touchait. Elle savait les détails qu'il recherchait. Des cernes. Les marques d'un autre homme laissées sur sa peau. Les premiers signes de grossesse. Il ne trouva rien de tout cela. Il finit par lui demander :

– Qu'est-ce que tu veux ?

Cette fois, il n'avait pas retenu l'agression dans sa voix.

– Tu as reçu mes lettres ? demanda-t-elle.

– Oui.

Il n'ajouta rien, et elle n'osa pas renchérir.

Le silence s'installa de nouveau, horriblement gênant. C'était une torture pour tous les deux. Dire qu'elle avait préparé cet instant depuis tellement longtemps, et que maintenant, les mots lui échappaient... Comment lui dire ? Finalement, ce fut lui qui craqua le premier :

– Pourquoi es-tu venue ici, Hermione ? lança-t-il, presque avec désespoir. Qu'est-ce que tu attends de moi ? Je ne t'empêcherai pas de venir voir les enfants, mais je ne te les donnerai pas.

Il avait dit « donner », et non « rendre ». Elle préféra ne pas se lancer dans ce débat. Elle dit simplement la vérité :

– Je veux recoller les morceaux avec toi.

Il ricana :

– « Recoller les morceaux »... Je ne vois pas dans quel monde parallèle ce serait possible.

– Je t'aime toujours.

Ces mots le firent exploser de colère :

– Vraiment ? Tu aurais pu y réfléchir avant de me laisser tomber, moi et les enfants ! Tu aurais pu y réfléchir avant de me tromper dans les bras d'un autre !

Elle leva les mains devant elle. Il était sobre, mais elle avait peur qu'il la frappe. Ron ne l'avait jamais frappée. Elle devait passer au-dessus de sa terreur, la faire disparaître, s'ils voulaient survivre :

– J'ai commis des erreurs que je ne peux pas effacer, murmura-t-elle. Je ne vais pas le nier. Mais c'est terminé. Je t'ai choisi toi.

– Qui c'était ?

La question qu'elle redoutait...

– A quoi ça t'avancerait de le savoir ? répondit-elle. Ça ne ferait que retourner le couteau dans la plaie.

– Tu te fous de moi ? Tu te pointes ici, la bouche en cœur, tu me dis que tu m'aimes et que tu veux recoller les morceaux, que tu m'as choisi, et tu refuses de me dire le nom de ton amant ? Tu refuses de me dire avec qui tu m'as trompé ? Tu oses te pointer ici et refuser de me le dire ?

Elle demeura muette. Il balaya l'air d'un revers de la main :

– Tu sais quoi ? Tu peux remballer tes illusions et repartir là d'où tu viens. J'ai le droit de savoir !

– Je ne peux pas te le dire.

– Pourquoi ?

– Ça n'apporterait aucun bien ! Je ne veux pas que tu ailles le trouver, que ça te torture...

– Evidemment, que ça me torture ! Ça me torture déjà ! Pourquoi est-ce que tu ne veux pas me le dire ?

– Je ne peux pas.

– Pourquoi tu...

Il se figea. Hermione devina le cours de ses pensées, avant même qu'il ne les dise :

– Je le connais..., murmura-t-il. C'est pour ça que tu ne veux pas me le dire. Je le connais.

Elle fut incapable de lui répondre, et il y vit une confirmation. La vérité devait se lire sur son visage. Il l'agrippa par les épaules et la plaqua contre le mur :

– Dis-moi qui c'est ! Quelqu'un qui travaille au Ministère, forcément ! J'ai toujours su que ça se tramait à ton travail... Alors qui, dis-moi ! Finnigan ? Dean Thomas ?

– Ron, je t'en prie... Tu me fais mal !

Une nouvelle révélation le figea soudain, et il la fixa avec une horrible détresse :

– Par pitié, dis-moi que ce n'est pas Harry...

– Bien sûr que non, ce n'est pas Harry !

Elle se dégagea. La violence de cet interrogatoire avait fait rejaillir ses larmes :

– D'où peux-tu encore tenir des âneries pareilles ?

– Oh, excuse-moi de croire à toutes les possibilités ! Il y a six mois, si on m'avait dit que tu me tromperais avec un autre homme, je ne l'aurais jamais cru. Pourtant c'est arrivé, et ça a beau m'être paru incroyable, ça m'est bel et bien tombé dessus. Je n'en suis plus à une nouvelle extraordinaire près !

Il se mit à rire, d'un rire nerveux, sinistre :

– Et tu attends un bébé de lui... Tu refuses de me dire son nom, je le connais, et tu attends un bébé de lui...

– Il n'y a plus de bébé.

Ron mit plusieurs secondes à comprendre ce qu'elle avait dit :

– Quoi ?

Hermione ravala ses larmes. Chaque mot lui faisait mal. Chaque mot l'assassinait comme l'enfant qu'elle avait refusé de porter :

– Il n'y a plus de bébé, répéta-t-elle. Je suis allée à Sainte-Mangouste il y a quatre semaines et j'ai avorté.

– Mais pourquoi tu...

Elle le fit taire. Elle s'avança vers lui sans retenir les larmes qui coulaient librement sur ses joues, et elle lui prit les mains. Elle tremblait :

– Comme je te l'ai dit, articula-t-elle en le regardant droit dans les yeux, je t'ai choisi. Alors oui, je t'ai trompé. Je ne l'avais pas prévu. Je ne l'ai pas fait à cause d'une chose qui se serait mal passée entre nous. Je suis tombée amoureuse de quelqu'un d'autre, sans que je ne puisse l'empêcher. Alors oui, je l'ai aimé. Et je l'ai quitté. Pour toi. Pour Rose et Hugo. Je me suis débarrassée de l'enfant de cet homme que j'ai aimé, parce que je t'aime toi aussi. Parce que je ne veux pas te perdre. Parce que je veux croire en nous, et en ce serment que nous avons prononcé. Pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la mort nous sépare. Je le pensais le jour où je l'ai prononcé. Je le pense encore aujourd'hui. Je veux vieillir avec toi. Je veux croire que je n'ai pas tout gâché, et que nous pourrons nous aimer à nouveau, comme avant.

Elle s'interrompit avant que sa voix ne flanche. Elle ne le regardait plus. Elle ne sentait que la pression de ses mains sur les siennes, ces mains qu'elle avait serrées et aimées tant de fois. Elle murmura :

– Je me suis débarrassée de cet enfant... C'est la preuve de l'étendue de ce que je ferais... Je ferais n'importe quoi pour...

Elle essuya ses larmes. Ron la lâcha, trop choqué pour réagir.

– Je t'en prie, ne me demande plus qui était le père, ajouta-t-elle seulement.

Ron secoua la tête :

– Je ne sais pas ce que...

Il haussa les épaules en signe d'impuissance :

– Comment espères-tu que ça marche entre nous ? Après tout ce qui s'est passé ? Comment espères-tu que les choses s'arrangent ?

– Je ne m'attends pas à ce que tout se résolve du jour au lendemain. Il nous faudra du temps pour guérir.

Elle refit un pas vers lui :

– Mais je t'ai dit ce que je ressentais, et ce que j'espérais. Je t'aime. Je n'ai jamais cessé de t'aimer. Et je veux être avec toi. Réfléchis. Je sais que tu m'aimes, toi aussi. Je sais que ta colère, ta fierté, et toutes les raisons du monde, te poussent à me bannir de ta vie. Mais tu m'aimes, alors réfléchis, réfléchis bien. La seule chose qui se dresse entre toi et moi maintenant, c'est toi.

Elle se mit sur la pointe des pieds et l'embrassa sur la joue :

– Je vais repartir. Ecris-moi. Ce sera un bon début.

Elle le laissa là, tremblant tout autant qu'elle, et son cœur se serra d'espoir et de désespoir mêlés. Elle avait lu cette lueur dans les yeux de Ron, qui brûlait de la retenir. Elle savait qu'ils avaient une chance. Ce serait dur, mais ils pouvaient y arriver.

Alors pourquoi avait-elle l'impression de revenir en arrière ?

Parce qu'elle tentait de récupérer son ancienne vie. Pourtant, ce ne serait plus jamais tout à fait la même. Elle devait faire le deuil de Drago. En songeant à lui, à ce qu'elle lui avait fait, à tout ce qu'ils avaient vécu, une citation qu'ils avaient parcourue ensemble lui revint en mémoire, et elle pleura.

« Tous les changements, même les plus souhaités, ont leur mélancolie. Car ce que nous laissons derrière fait partie de nous-mêmes. On doit faire le deuil de sa vie passée, avant d'entrer dans la nouvelle ».

Anatole France.


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