Déchirures
La rencontre eut lieu sur un terrain neutre. Leur maison à la campagne. Ce lieu qui n'avait appartenu qu'à eux. Ce lieu où Drago Malefoy n'avait jamais pénétré, autrement qu'en livre.
Hermione avait inspiré à fond ce matin-là, avant de transplaner. Elle savait que cette rencontre était inévitable. Ron et elle devaient se retrouver à 10h. Le reste de la famille les rejoindrait dans l'après-midi.
Le temps de les laisser discuter tranquillement, entre eux, des termes de la séparation. Avant de laisser la tempête les engloutir.
Par tempête, Hermione entendait surtout Arthur et Molly Weasley. Molly, surtout. Molly ne comprendrait pas. Molly ne lui pardonnerait jamais.
Des mots très durs seraient prononcés cet après-midi, elle le savait. Mais elle s'y était préparée. Elle avait dressé une barrière, tout au fond de son cœur. Quoi qu'il se dise, elle ne se laisserait pas atteindre. Elle avait mérité tout ce qu'elle entendrait. Mais elle demeurerait calme. Elle serait forte. Elle s'était réveillée dans les bras de Drago ce matin, dans l'hôtel où il logeait depuis son retour à Londres, et si elle voulait connaître cette sensation merveilleuse à nouveau, chaque jour de sa vie, elle devrait se battre. Elle devrait endurer. Ce serait une longue journée, mais lorsqu'elle s'achèverait, une nouvelle vie se lèverait.
Hermione déverrouilla la porte, et trouva Ron déjà en train de l'attendre, devant la cheminée allumée. Il lui adressa un petit sourire, plus poli qu'autre chose. Puis il l'invita à s'asseoir.
C'était étrange. Ils étaient chez eux, sans plus l'être vraiment. Comme retourner dans un lieu dans lequel on a habité, rempli par les meubles d'un nouvel occupant. Ils avaient leur lot de souvenirs ici. Leur lot de bonheur. Mais ce n'étaient plus, justement, que des souvenirs.
– Comment vas-tu ? demanda Hermione en croisant ses mains devant elle.
– Aussi bien qu'il est possible d'aller, répondit-il.
– Comment vont... les enfants ?
Il soupira. Mais elle n'avait pas le choix. Autant aborder les sujets difficiles tout de suite. Ron se massa la nuque, et déclara sans la regarder :
– Hugo ne comprend pas grand-chose. En même temps, il n'a que neuf ans. Mais il n'a même pas l'air surpris. Je crois qu'inconsciemment... nous l'avions préparé à ce moment. Il m'a dit qu'il savait que ça arriverait. Qu'on se séparerait. Quant au fait que tu partes avec Malefoy...
Il s'interrompit, les yeux fermés, sourcils froncés. Il lui fallut un moment pour reprendre son calme. Puis il ajouta :
– Il ne sait pas qui c'est, alors il n'en a encore plus rien à foutre.
Il continua, sans la laisser s'insurger :
– Rose par contre, c'est autre chose. Autant être honnête avec toi : ce ne sera pas facile. Elle t'en veut à mort, et je ne dis pas ça pour te blesser. Elle hésite encore entre te hurler dessus, et ne plus jamais te parler. Elle ne voulait pas venir, cet après-midi. Mais elle viendra.
Hermione avala sa salive :
– Tu crois qu'il y a une chance que ça s'arrange un jour ?
– Je ne sais pas, Hermione, répondit-il sèchement.
Il dut prendre conscience de son ton, car il reprit :
– Je ne peux pas lui reprocher sa réaction. Moi-même, je la partage. Mes parents la partagent. Mes frères. Il n'y a que Ginny qui ait l'air d'y comprendre quelque chose, ça doit être la fameuse solidarité féminine...
– Et Harry ?
Ron secoua la tête :
– Il est présent. Il me soutient. Je sais très bien ce qu'il se dit : il n'ose pas venir vers toi par crainte de me blesser moi. Mais il cache mal son jeu. Il n'a pas été assez surpris. Je crois qu'il se doutait de quelque chose depuis déjà bien longtemps... Depuis qu'il a lu ce foutu bouquin... Il a dû en parler avec Ginny. Et il ne m'a rien dit...
– Ce n'était pas à lui de le faire, murmura doucement Hermione.
– Je le sais bien. Mais j'en ai assez de... de toujours... m'efforcer de comprendre ce que les autres ressentent. Comment les autres réagissent. J'en ai assez de me contenir, sous prétexte que je dois me montrer compréhensif. J'aimerais que pour une fois, on soit compréhensif à mon égard.
– Rien ne t'empêche... de te défouler, une bonne fois pour toutes. Même sur moi. Je suis prête, je peux tout encaisser...
Ron fit lentement non de la tête, et une ombre passa sur son visage :
– Je ne peux pas faire ça. La dernière fois que je me suis laissé aller, Hugo a failli mourir. Plus jamais.
Il ricana, ce qui brisa le cœur d'Hermione :
– Moi entre tous les autres, je n'ai pas le droit de me plaindre. Je ne peux que la fermer. Je ne suis bon qu'à ça.
Plus que jamais à cet instant, Hermione prit conscience de ce qu'elle avait détruit. De l'égoïsme dont elle avait fait preuve, en revendiquant son bonheur ainsi, au détriment de celui des autres. Mais elle ne reviendrait plus en arrière. Elle l'avait déjà fait une fois. Et elle savait aujourd'hui qu'elle ne pourrait passer toute une vie loin de celle qu'elle était vraiment :
– Je suis vraiment désolée, dit-elle, et c'étaient les mots les plus justes qu'elle pouvait s'accorder.
Ron ricana de nouveau :
– Ne le sois pas. Il est trop tard pour ça. Depuis le temps, je peux tout supporter.
Il se redonna une contenance, plongeant soudain ses yeux bleus dans les siens :
– Toi en revanche, tu vas devoir en supporter beaucoup, aujourd'hui. Le dialogue avec Rose sera difficile, celui avec mes parents encore plus... Mais avant ça, il y a quelque chose dont je voulais te parler.
– Je t'écoute.
– Nous sommes d'accord pour vendre cette maison, et nous partager équitablement tous nos biens.
– Jusque-là, oui.
– Mais pour la garde des enfants...
Il inspira de nouveau à fond, puis déclara :
– Rose ne veut pas vivre avec toi, et encore moins avec Drago Malefoy. Et pour te donner franchement mon avis... Je ne veux pas que mes enfants aillent vivre la moitié de l'année avec ce type non plus.
Hermione fronça les sourcils :
– Qu'est-ce que tu suggères, exactement ?
– Je ne veux pas te donner la garde, Hermione. Je ne veux pas que mes enfants aillent vivre avec Drago Malefoy. Même si ce n'est qu'en alterné. Que tu partes avec lui est une chose... Mais qu'il me prenne mes enfants... ça je ne pourrai pas l'endurer.
Hermione attisa la vague de colère qui venait soudain de la posséder toute entière. Elle garda le silence, le temps suffisant pour se contrôler. Pour se mettre à la place de Ron. Elle comprenait son point de vue, évidemment. Mais quelle solution pouvait-elle y apporter ?
– Tu ne peux pas m'enlever mes enfants, Ron, dit-elle simplement. Déjà parce que le juge ne te l'accordera pas, et tu le sais. Pas après la publication du livre. Et ensuite, parce qu'ils ont besoin de leur mère... Même s'ils pensent le contraire... Comment veux-tu que les choses s'arrangent avec Rose, si nous n'avons pas la chance de nous voir ?
– Justement, je ne peux pas vraiment lui donner tort de t'en vouloir...
– Et tu lui souhaites de rester en conflit avec sa mère pour le reste de sa vie ?
Ron soupira :
– C'est du chantage affectif, que tu me fais là. Ce n'est pas juste.
– C'est la vérité pourtant.
– Tu comptes t'installer avec lui, à terme. Je me trompe ?
Hermione ne put se retenir de rougir devant ce brusque changement de conversation :
– Oui, avoua-t-elle, comme la responsabilité ultime de sa décision.
– Alors tu as dû penser au battage médiatique que les enfants vont subir. Que je vais subir.
– Nous attendrons un peu avant de rendre ça officiel...
– Ça ne change rien. Ça ne fait que retarder l'échéance.
– Et tu crois qu'ils en seront protégés s'ils restent avec toi ? Mais réveille-toi ! Il suffira à Rose de faire deux pas à Poudlard pour en entendre parler !
La colère revenait, elle la musela :
– Drago a un fils lui aussi.
Ron tiqua à la mention de ce prénom. Elle n'y fit pas attention :
– Comme Hugo, Scorpius était préparé aux événements. Il m'a acceptée, il était même content. Il m'a avoué être prêt à endurer quelques semaines de potins, si cela pouvait permettre à son père d'être pleinement heureux.
– Et le bonheur de tes enfants, tu y penses ? cria Ron.
Il se renfonça aussitôt dans son siège, conscient d'avoir été trop loin. Hermione répondit doucement :
– Quoi que tu puisses en penser maintenant, ils seront plus heureux avec leurs deux parents qu'avec un seul. Je t'en prie. Je ne veux pas me battre avec toi. Ça te fait peut-être mal de l'entendre, mais Drago est un bon père pour Scorpius. Il ne cherchera pas à prendre ta place. Mais il s'occupera bien de nos enfants quand même.
– Je ne veux pas entendre parler de lui, murmura Ron en détournant son regard d'elle. Je ne veux pas le voir, je ne veux pas le croiser... Jamais, tu entends ?
– Je suppose que tous les deux, vous ferez tout pour... Et je comprends tes raisons. Mais il ne faut pas fuir la réalité pour autant. Je sais que c'est cruel de te dire ça, j'en ai conscience, mais... Drago va faire partie de ma vie, à présent. Et mes enfants aussi. Accepte-le maintenant, ou tu en souffriras dix fois plus.
Il eut un rictus :
– C'est toi qui me dis ça...
– Je sais que je n'en ai pas le droit. Mais je veux notre bonheur à tous, Ronald.
Elle lui caressa la joue :
– Y compris le tien.
Il la regarda avec une tristesse désabusée :
– Mon bonheur, c'était toi. Il s'est envolé le jour où tu as croisé cet enfoiré dans le métro. Je ne connaîtrai plus jamais rien de comparable.
Il se leva pour ne pas lui laisser le temps de répliquer. Elle ne le retint pas. Elle se sentait déchirée, mais il avait besoin de respirer. D'apprendre à respirer sans elle.
Il revint avec les papiers du divorce, qu'ils signèrent dans un silence funèbre. Quelle étrange sensation. La renaissance pour l'une, la mort pour l'autre. C'était ainsi qu'elle le percevait. Et elle le regrettait, plus qu'elle ne pourrait jamais l'exprimer.
℘
En début d'après-midi, le bruit des transplanages les avertit de l'arrivée des familles Potter et Weasley. Hermione inspira profondément. Elle n'avait revu personne de sa belle-famille depuis le départ de Ron.
Molly Weasley entra, et la gifla sèchement :
– Tu n'es qu'une petite ingrate ! hurla-t-elle.
Sa voix était terrible et très forte. Hermione se crispa, n'ayant même pas le réflexe de se protéger, attendant la suite. La fureur de Molly Weasley se congestionna, brûla pour s'étouffer elle-même. Elle rougit, et d'une main, son mari la retint. Son émotion était telle qu'elle ne parvenait plus à articuler un seul mot.
Harry et Ginny entrèrent enfin, et alors elle cracha :
– Faire ça à mon garçon... Traiter ainsi mon pauvre garçon, le trahir ! Comment as-tu pu faire ça ? Comment as-tu pu nous faire ça à tous ? A tes enfants ? Est-ce que tu y as pensé une seule seconde ?
Hermione ne répondit pas. Face à tant de ressenti, toute objection était inutile. Elle méritait ce qui lui arrivait. Elle méritait de perdre tous ceux qu'elle aimait. Tous ceux dont elle avait trahi la confiance.
Ginny passa une main autour des épaules de sa mère, et lui enjoignit de se calmer. Pour toute réponse, Molly Weasley alla embrasser son fils, puis disparut dans le jardin, suivie par son mari qui n'avait pas pu placer un seul mot.
Ginny vint serrer Hermione dans ses bras. Harry échangea d'abord une poignée de main avec Ron, puis, timidement, il enlaça son amie à son tour :
– Ça va ? demanda-t-il.
– Non, répondit-elle. Mais ça viendra.
Rose et Hugo s'aventurèrent sur le pas de la porte. Insouciant, Hugo se jeta dans les bras de sa mère et rit aux éclats lorsqu'elle l'embrassa dans le cou. Rose, elle, s'avança à pas lents, hésitant à soutenir son regard, les yeux pleins de morgue.
Arrivée à sa hauteur, elle articula :
– Tu n'es qu'une sale garce.
Hermione n'avait jamais entendu un tel mot dans la bouche de sa fille. Elle en fut tétanisée. Et, en dépit de sa barrière, terriblement blessée. Mais elle comprenait. Que pouvait-elle répondre ?
– Ma chérie..., commença-t-elle.
– Non, ne me touche pas ! Tu n'es pas digne de Papa ! Comment tu as pu lui faire ça, alors que tu avais tout ?
– Je n'ai pas choisi, mon cœur.
– Tu aurais pu choisir ! Tu aurais pu dire stop ! Tu aurais pu tout arrêter avant qu'il ne soit trop tard !
– C'est vrai, tu as raison. Mais je ne l'ai pas fait. Je vous ai fait beaucoup de mal, à tous, je le sais. Tout ce que nous pouvons faire, c'est nous reconstruire au mieux de cette nouvelle...
– Je ne veux plus te voir ! Plus te parler ! Je ne veux plus que tu fasses partie de ma vie !
– Rose...
– Tu ne nous mérites pas !
Des larmes coulèrent sur les joues de Rose. Elle courut vers son père, qu'elle serra dans ses bras, fort. Il lui rendit son étreinte, sans vraiment savoir comment réagir. Puis elle sortit dans le jardin rejoindre ses grands-parents.
Hermione ne pleura pas. Elle se sentait vide au fond d'elle-même. Mais elle ne pleura pas.
Ron et elle échangèrent un regard éloquent. Ginny perçut sa détresse, car elle revint l'enlacer, uniquement pour lui murmurer à l'abri de tous :
– C'est difficile pour elle. Donne-lui du temps. Prouve-lui que tu la mérites.
– Merci, Ginny...
La jeune femme lui adressa un sourire tendre, et Hermione se dit que depuis le début, sa belle-sœur avait été le seul visage amical dans cette guerre qu'elle avait traversée. Ginny ne l'avait jamais jugée. Elle avait toujours deviné ses émotions, parfois avant même qu'elle ne se les avoue. Elle l'avait percée à jour, et malgré tout, elle lui avait laissé la liberté d'agir comme elle l'estimait. Elle l'avait comprise, en dépit du mal qu'elle avait fait à son frère.
Comme si elle avait pu lire une nouvelle fois dans ses pensées, Ginny ajouta :
– Je crois qu'il vaut mieux pour vous deux que vous soyez séparés, plutôt que de vous forcer à vivre l'un à côté de l'autre, malheureux de ce que vous avez perdu, de ce que vous auriez pu être, et de tout le mal que vous vous êtes infligés. Séparés, vous pouvez vous reconstruire. Vous pouvez trouver votre propre voie. Et un jour, Rose le comprendra.
– Merci...
Hermione pleura dans les cheveux de Ginny. Harry demeura auprès de Ron, qui aurait plus que jamais besoin de soutien.
Le soir venu, le soleil se coucha sur cette terrible journée, et sur les liens qu'elle avait déchirés à jamais. Mais Hermione se réfugia dans les bras de Drago Malefoy. Elle sentit son odeur, elle sentit son étreinte. Il l'embrassa, et la brûlure de son amour lui rappela pourquoi elle avait fait tout cela. Elle s'était damnée. Mais pour le meilleur et pour le pire, elle l'assumerait, jusqu'à la toute fin.
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