La nouvelle (2/2)
Les filles restèrent silencieuses, déconcertées par la nouvelle. Elles peinaient à comprendre pourquoi un roi, noble et puissant, chercherait à inviter une famille aussi modeste que la leur. La mère, réalisant leur état de désarroi, se sentit obligée de préciser : « Le but de cette invitation, dit-elle en marquant une pause pour créer plus de mystère…est de permettre au prince de choisir une épouse. Ainsi, toutes les jeunes filles du royaume auront cette chance de rencontrer le prince. »
À l’instant où Jane et Anne entendirent cette nouvelle, elles se levèrent, se prirent par la main et sautèrent de joie comme des singes, atteignant presque la hauteur du plafond. Persil, qui, tout excité, s’agita et exécuta quelques galipettes. Quant à Cendrillon qui se trouvait encore allongée dans la même position, se redressa en s’asseyant et tira Persil à ses pieds, perplexe. Elle voyait cette invitation d’un mauvais œil. Méfiante, elle ne put contenir son scepticisme et exprima son opinion à voix haute : « Pourquoi le fils du roi chercherait-il une femme parmi le peuple alors que toute la noblesse l’entoure ?
— Arrête de te poser des questions et viens danser avec nous ! répondit Jane, continuant de sauter avec entrain.
— Vous ne trouvez pas ça étrange ? s’interrogea Cendrillon, étonnée. Tout le monde sait que c’est un prince prétentieux, indifférent aux gens pauvres ! Pourquoi, soudain, voudrait-il une femme parmi nous ? »
Voyant que personne ne prenait ses préoccupations au sérieux, elle poursuivit : « Il a probablement été largué par toutes les bourgeoises de la cour, ce qui le pousse à quémander la main de l’une d’entre nous.
— Pourquoi tiens-tu de tels propos ? interrogea la belle-mère intriguée. Qu’est-ce qui te prend, Cendrillon ?
— Je trouve juste ça louche, qu’il veuille inviter tous les clodos du royaume !
— Clodo, toi-même ! protesta Anne en s’arrêtant de danser.
— Clodette, précisa Jane avec fierté, le féminin de clodo c'est clodette !
— Quoi qu’il en soit, clodo ou clodette, je n’irai pas à cette soirée ! protesta Cendrillon en croisant les bras. »
La belle-mère, sentant sa colère monter, se rassit et soupira longuement avant de reprendre : « Mais qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi le qualifies-tu de tous ces vices ?
— Eh bien ma chère famille, je sais tant de choses que vous ignorez ! Quand je fais les courses… et tout le monde sait que je suis la seule à le faire, dit-elle en lançant un regard lourd de reproches vers ses demi-sœurs, j’entends des tas de choses à son sujet.
— Comme quoi ? demanda Jane, intriguée.
— Par exemple : il se fiche royalement de son peuple ! »
— Tu ne devrais pas écouter ce qui se dit sur les marchés, précisa la belle-mère. Les gens sont prêts à critiquer à tort et à travers ! Et puis, tu vas bientôt avoir vingt ans, tu devrais songer à te marier.
— Certainement pas avec un homme comme lui !
— Ne t’inquiète pas, lança Anne en faisant un tour sur elle-même, dès qu’il me verra, il sera sous mon charme.
— Et pourquoi ne serait-ce pas plutôt moi qu’il choisirait ? rétorqua Jane. J’ai dix-huit ans, tandis que toi, tu n’en as que seize. »
Les deux jeunes filles commencèrent à se disputer, d’abord calmement, vantant respectivement leurs mérites, puis échangèrent des insultes de plus en plus véhémentes. Cendrillon et sa belle-mère les observèrent, amusées par cette querelle qui, bien que répétitive, apportait un peu de divertissement à ce quotidien souvent monotone. L’originalité des échanges était telle que les deux adversaires changeaient constamment de tactique, introduisant de nouvelles insultes avec une certaine bienveillance. Il est essentiel de souligner cette bienveillance, cher lecteur, car elles cherchaient à s’affronter tout en respectant une certaine éthique et veillaient à ne jamais dépasser la frontière de la méchanceté pure. Cependant, dès qu’elles en venaient aux mains, il fallait vite les séparer.
Comme les limites de l’affrontement n’étaient pas dépassées, la belle-mère leur fit signe de continuer leur dispute un peu plus loin. Mais elles ne bougèrent pas. La mère pencha légèrement la tête, écartant d’un geste l’une de ses filles, comme si elle rabattait un rideau, et poursuivit sa discussion. Elle cria pour que Cendrillon, qui se trouvait face à elle, l’entende : « Tu dois venir avec nous… nous sommes toutes les quatre conviées !
— Pourquoi cherchez-vous tant à y aller ? s’écria Cendrillon aussi fort qu’elle le pouvait. Nous n’avons pas de quoi nous montrer en public, et puis il n’est pas possible pour vous de manger là-bas. Souvenez-vous de la dernière fois, chez madame Perrin ! Ce n’était certainement pas ces deux-là qui se sont occupées de vous ! observa-t-elle en désignant ses demi-sœurs.
— Il est impossible de comparer la nourriture qu’on servirait dans un palais avec celle de madame Perrin, voyons !
— Ma décision est prise, je n’irai pas me ridiculiser ! déclara-t-elle fermement. Je n’irai pas me pavaner au milieu de tous ces hypocrites qui n’ont rien à faire de nous ! La seule chose qui les intéresse, c’est de se vanter de leur richesse… un monde trop artificiel pour moi ! »
Aussi pâle qu’une baignoire astiquée, Cendrillon se leva d’un coup et courut vers la cuisine, déclarant que tout cela lui donnait la gerbe. La belle-mère savait que ce n’était pas la seule raison de ses haut-le-cœur ; les trois verres de brandy qu’elle avait bus un peu plus tôt y étaient également pour quelque chose.
Féminin de clodo c'est clodote
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