Le jour du bal (2)
« Persil ! s’écria Cendrillon. Persil, où es-tu ? » La mère, qui était déjà installée dans la voiture, exprima son impatience en soupirant assez fort pour que la jeune fille l’entende. « Persil, continua Cendrillon, ne m’oblige pas à venir te chercher !
—Ce n’est qu’un chien, pour l’amour de Dieu ! protesta la belle-mère, irritée. Il va revenir.
—Ce n’est pas la première fois que Persil disparaît, intervint naïvement Jane.
—On s’en fout ! rétorqua avec indifférence Anne.
—Je n’irai nulle part tant que Persil ne sera pas retrouvé ! affirma Cendrillon en croisant les bras. »
La belle-mère, qui essayait péniblement de garder son sang-froid, descendit de voiture et pressa le pas en sa direction dans l’espoir de la résonner : « Enfin, Cendrillon, tu n’es pas sérieuse ? Il saura retrouver son chemin… nous devons partir, maintenant !
—Comment pouvez-vous le laisser derrière nous ? Alors que peut-être, il est en danger.
—Cette jeune fille a bien raison ! s’en mêla audacieusement le cocher en même temps qu’il crachait vulgairement au sol. Vous savez, les éventreurs de chiens, ça existe… »
Horrifiée par ce qu’elle venait d’entendre, Cendrillon écarquilla grandement les yeux. La belle-mère qui comprit que la situation se gâtait, l’interrompit bien vite, avant qu’il n'en dise davantage.
« Monsieur… euh…, dit-elle en cherchant son prénom.
—Mon nom est Filmard, appelez-moi tout simplement, File !
—Monsieur File, reprit la belle-mère, il est inutile de vous rappeler que votre mission se résume à nous ramener au bal. Ce qui se passe entre ma belle-fille et moi, ne vous regarde pas ! »
Le bonhomme fit mine de reconnaître son erreur en tordant vigoureusement sa lèvre inférieure.
« Allez, Cendrillon, intervint Jane, viens avec nous.
—Tout le monde sait que Persil est un petit farceur, renchérit Anne, alors, pourquoi se prendre la tête ?
—Mais, vous ne comprenez rien de rien ! Je n’irai nulle part sans avoir retrouvé mon chien !»
La belle-mère baissa la tête, désespérée. D’un geste nerveux, elle s’essuya le visage et reprit avec une voix tremblante de colère : « Sois honnête. Tu fais en sorte de nous retarder, n’est-ce pas ?
—Pas du tout ! Je veux seulement retrouver mon chien. Persil ! Persil, cria-t-elle en se tournant dans tous les sens.
—Monte dans la voiture ! exigea la belle-mère en colère. C’est un ordre ! »
Cendrillon n’écoutait pas et continuait à hurler le nom de son chien. Elle n’agissait pas de la sorte pour les retarder ou les provoquer, mais par ce que, elle était incapable de remettre les choses à plus tard. La procrastination n’était pas dans son dictionnaire. Au contraire, tout le monde lui connaissait cette obstination qu’elle avait en cherchant à résoudre un problème dans l’immédiat. Mais, aujourd’hui, la belle-mère semblait l’avoir oublié et s’était laissé embarquée dans une fureur sans limite.
« Si tu ne montes pas tout de suite, déclara-t-elle à bout de souffle, nous partons sans toi ! »
Sa belle-fille qui ne la craignait, nullement, continuait à l’ignorer comme à son habitude et poursuivit ses cris.
Hors d’elle, la belle-mère retourna dans le carrosse et ordonna au cocher de s’en aller. Celui-ci, tout surpris, demanda : « Et l’autre fille alors… on ne l’attend pas !
—Faites ce que je vous dis ! commanda-t-elle sévèrement en tapant un grand coup sur la porte. »
Quand Cendrillon se rendit compte qu’elles s’en allaient, elle leur hurla en suivent le carrosse : « C’est ça…barrez-vous ! Vous êtes sans cœurs, aucune compassion pour les animaux ! »
Elle revint sur ses pas et disparut aussitôt dans la forêt.
La belle-mère qui avait du mal à retrouver son calme, bougeait constamment sur son siège tout en soliloquant. Ses filles, qui étaient assises en face d’elle, ne parlaient pas de peur d’attiser sa colère. Anne maudissait intérieurement Cendrillon et lui reprochait d’avoir gâché ce début de soirée. Quant à Jane, elle n’arrivait pas à croire qu'elles aient pu partir sans elle.
« Ça suffit ! cria d’un coup la belle-mère. Ne dites plus rien ! »
Les deux filles se regardèrent curieusement ; aucune d’elle ne parlait. La mère reprit : « Je sais ce qui se passe dans vos têtes, vous vous dites sûrement que j’ai dû exagérer. Mais, elle m’y a poussé, je n’avais pas le choix ! »
Sans aucune raison particulière, la mère se leva. Le plafond du carrosse l’empêchait de se tenir droite, ce qui l’obligea, à se rassoir aussitôt. Elle regarda anxieusement sur sa droite ; puis, sur sa gauche et continua : « Tenez, par exemple, je lui avais proposé de m’occuper de sa robe, pensant qu’elle en avait une et, à la dernière minute, j’apprends qu’elle n’en possédait pas ! Et elle ose me le reprocher…
—Elle m’a piqué l'une de mes robes préférées, l’interrompit Anne en grimassent un air contrarié. »
La mère hésita à prendre l’intervention de celle-ci en sa faveur, puisqu’elle en était responsable de ce conflit. Elle décida de poursuivre en ignorant sa remarque : « Cendrillon est tout le temps en train de nous reprocher de mal faire les choses. On ne sait jamais sur quel pied danser avec elle…
—Cendrillon est une peste ! intervint, sans aucune retenue, Anne. Mère, vous vous laissez trop faire. Elle vous mène souvent en bateau ! »
La mère se tut quelques instants, ne sachant quoi répondre. Elle ne voyait pas d’inconvénient à ce qu’on veuille bien prendre sa défense, mais faire des remarques sans fondement ne l’intéressait pas non plus. Même si cela avait été dans son propre intérêt. Elle savait qu’Anne ne pouvait être une oreille attentive. Elle avait déjà une idée toute faite de sa grande sœur et puis, à quoi bon sert de gagner ses faveurs si elle se trouve déjà dans son camp ?
« Elle me reproche de vous aimer plus qu’elle ! reprit-elle, croyant détenir un argument suffisant à mettre tout le monde d’accord. Je n’y peux rien de faire du favoritisme entre mes propres filles et Cendrillon, c’est la nature qui est faite ainsi ! Je n'y suis pour rien, Jane, je n'y suis pour rien ! »
Elle prononça le nom de Jane, dans l’espoir qu’elle approuve son opinion. Mais, comme celle-ci n’intervenait pas, elle se sentit obligée de reprendre en s’adressant à elle avec insistance : « Jane, tu me comprends, n’est-ce pas ? »
Cette dernière ressentait avec peine la détresse de sa mère. Elle voulait intervenir dans l’espoir de la calmer et, pourtant, elle ne le fit pas. Une étrange sensation venait d’éclore dans le jardin de ses sentiments. Une prise de conscience que son opinion comptait. Toute fière de cette découverte, elle laissa sa mère dans son désarroi, le temps de jouir du pouvoir qu’elle détenait sur elle. Mais, plus la mère insistait avec des Jane par-ci et des Jane par-là, plus sa fille se délectait de sa nouvelle position. À la fin, elle eut pitié d’elle et lui dit ce qu’elle pensait : « Il est vrai que Cendrillon dépasse les limites parfois, mais de là à la laisser derrière nous, c’est inadmissible ! »
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